Les hostilités ont commencé

Après huit ans d’instruction, les audiences ont débuté le 17 mars au tribunal correc tionnel de Paris. Les trois principaux prévenus se contredisent déjà .

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

«On ne vous reproche pas les commissions versées aux États africains liés par des contrats à Elf. L’instruction vous accuse d’avoir perverti ce système officieux, qui existe par ailleurs dans toutes les compagnies pétrolières. » Michel Desplan, le président de la onzième chambre du tribunal correctionnel de Paris, se montre incisif ce 19 mars quand il s’adresse aux prévenus de l’affaire Elf Aquitaine. Le plus gros procès de l’histoire politico-financière française s’est ouvert deux jours plus tôt. L’ histoire d’Elf, véritable feuilleton à rebondissements, sera détaillée point par point jusqu’au 9 juillet. L’instruction, qui a duré huit ans, a débouché sur la mise en examen de trente-sept personnes, l’élite industrielle du pays, des hommes et des femmes diplômés des plus grandes écoles, certains décorés par la République pour bons et loyaux services. À l’apogée de leur gloire au début des années quatre-vingt-dix, ils doivent leur déchéance au travail acharné des juges Éva Joly, Laurence Vichnievsky et Renaud Van Ruymbeke, qui ont décortiqué le fonctionnement de la compagnie jusqu’à sa privatisation, en 1994.
Au premier rang des accusés, juste devant le président, se tiennent les trois hommes présentés dans les six cent cinquante- sept pages de l’ordonnance de renvoi comme la clé de voûte du système des commissions occultes accordées, notamment, aux pays africains. Loïk Le Floch-Prigent, tout d’abord, PDG d’Elf Aquitaine de 1989 à 1993 et incarcéré depuis deux ans, à la suite de sa condamnation en appel dans l’affaire Roland Dumas. Absent le jour de l’ouverture pour raisons de santé, il s’est présenté au tribunal mardi et mercredi, en chemise bleue et pantalon de velours côtelé. Claudiquant et l’air fatigué, il tient toutefois une ligne de défense claire : « Il est clair que dans l’ensemble des pays pétroliers, c’est le chef de l’État ou le roi qui est le bénéficiaire du pétrole de son pays. Les sommes versées bénéficiaient à ceux qu’ils nous désignaient. Après, ils en faisaient ce qu’ils voulaient. La cuisine, ça ne me regardait pas. » Et d’ajouter qu’il n’avait aucun pouvoir pour changer le système.
En costume gris et cravate, Alfred Sirven, directeur des affaires générales du groupe sous Le Floch-Prigent, lui aussi sous les verrous depuis deux ans. La démarche est assurée, mais Sirven s’embrouille lors des interrogations sur les vingt comptes bancaires ouverts à son nom en Suisse, au Liechtenstein et au Luxembourg. Dès le troisième jour du procès, il avoue même « avoir bénéficié personnellement d’une partie de cet argent ». André Tarallo, « monsieur Afrique » d’Elf, est plus discret. L’ancien PDG d’Elf Gabon sait que le tribunal le soupçonne d’être au centre de toutes les commissions occultes et de détenir les ficelles de la « cuisine ». « Tout passerait par vous, à Elf » lui assène le président Desplan. « C’est beaucoup dire », lui répond l’accusé. Mais ses réponses aux questions détaillées sur le fonctionnement des commissions semblent pourtant prouver le contraire.
Les trois hommes ont déjà commencé à se renvoyer la balle, et les regards entre Sirven et Tarallo laissent présager de violents combats verbaux. À n’en pas douter, ce sera désormais « chacun pour soi ». Le 19 mars, Alfred Sirven a ainsi soutenu que son patron savait qu’il avait ouvert des comptes en son nom pour l’usage de l’entreprise. Quelques minutes plus tard, Le Floch-Prigent dément : « Dans mon esprit, il n’y avait que des comptes Elf. J’étais navré d’apprendre, lors de l’instruction, qu’il y avait des comptes personnels et que cela ait eu lieu sous ma présidence. » Emblématiques de l’opacité du système Elf, ces « commissions africaines » auront occupé les débats du 19 au 24 mars. François Mitterrand, Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso, José Eduardo Dos Santos, Jonas Savimbi… les noms de chefs d’État ou de leaders de l’opposition sont souvent cités, mais les politiques resteront les grands absents de ce procès. S’il ne s’agit pas de juger les relations de la France avec certains pays africains riches en pétrole, il y a fort à parier qu’on en apprendra beaucoup, pendant ces quatre prochains mois, sur le fonctionnement occulte – « je préfère le mot « opaque » », a tenu à préciser Loïk Le Floch-Prigent – de la Françafrique.

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