[Tribune] Au Sahel, arrêtons le(s) massacre(s) !

Malgré les moyens, militaires et financiers, déployés, la stratégie actuellement à l’œuvre dans le Sahel s’est révélée incapable d’enrayer la menace jihadiste. Alors que la crise débouche désormais sur des conflits intercommunautaires meurtriers, l’ancien général français Bruno Clément-Bollée dresse un constat sans appel : la communauté internationale fait fausse route.

Un hélicoptère militaire français de l’opération Barkhane, à Inaloglog, au Mali, en 2017.(Illustration) © REUTERS/Benoit Tessier

Un hélicoptère militaire français de l’opération Barkhane, à Inaloglog, au Mali, en 2017.(Illustration) © REUTERS/Benoit Tessier

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  • Bruno Clément-Bollée

    Ancien commandant de l’opération Licorne, en Côte d’Ivoire, et consultant en matière de sécurité

Publié le 6 juin 2019 Lecture : 4 minutes.

Stop, il suffit ! Trop c’est trop ! Mali, Burkina Faso, Tchad, Niger… Mais aussi désormais Côte d’Ivoire ou Bénin. Voilà des années que le Sahel tient la une des médias. Les semaines s’enchaînent, ponctuées de surprises qui n’en sont plus, puisqu’il s’agit toujours de la même chose : les « incidents sécuritaires ». Sauf que ces fameux « incidents sécuritaires » sont le fait de ceux dont on tente d’éradiquer l’emprise.

Enlèvements, attaques de casernes et de campements, engins explosifs improvisés mais finement programmés, embuscades, assassinats… Autant de périls qui mettent sur la défensive les acteurs, tant locaux qu’extérieurs, retranchés dans leur cantonnement et condamnés au mieux à riposter, ne serait-ce que pour sauver leur peau.

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C’est le monde à l’envers. Même le dispositif français Barkhane, force de premier plan s’il en est, a du mal à maîtriser un fléau d’envergure continentale, voire à justifier une présence de plus en plus contestée par les populations qu’il est censée protéger.

Le risque d’embrasement interethnique dit assez combien la situation nous échappe

Pire, ces dernières semaines ont vu éclore les conflits entre communautés – dogons, peuls, mossis, arabes, baoulés, malinkés -, conflits savamment instrumentalisés par les stratèges islamistes, passés maîtres dans l’art d’attaquer, de s’évaporer, de communiquer.

Un tel risque d’embrasement interethnique dit assez combien la situation nous échappe. Situation paradoxale au demeurant : l’état des lieux se dégrade au même rythme que s’accroissent l’attention de la communauté internationale et son implication.

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Arrêtons le gâchis

L'une des images prises par un membre de Tabital Pulaaku dans le village d'Ogossagou, où au moins 154 civils peuls ont été massacrés dans une attaque, samedi 23 mars 2019. © Tabital Pulaaku/AP/SIPA

L'une des images prises par un membre de Tabital Pulaaku dans le village d'Ogossagou, où au moins 154 civils peuls ont été massacrés dans une attaque, samedi 23 mars 2019. © Tabital Pulaaku/AP/SIPA

Admettons-le : nous nous sommes lourdement trompés. Arrêtons le gâchis

C’est à n’y rien comprendre. Malgré la génération de forces locales ou étrangères, le renforcement des contingents, les réponses globales combinant subtilement les impératifs de sécurité et de développement, les engagements financiers colossaux, on s’enfonce.

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>>> À LIRE – Bakary Sambe : « Les jihadistes attisent les conflits intercommunautaires »

À n’y rien comprendre, donc, sauf que nous faisons fausse route. Au-delà du drame quotidien vécu par les peuples sahéliens, le milliard de dollars dépensé annuellement pour la Minusma [la mission onusienne déployée au Mali], les 700 millions d’euros requis pour Barkhane, les sommes astronomiques qu’exige la force G5-Sahel – Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie et Tchad -, la facture des missions de formation de l’Union européenne doivent, au regard des brillants succès engrangés à ce jour, nous interpeller.

Admettons-le, quoi qu’il nous en coûte : nous nous sommes lourdement trompés. Arrêtons le gâchis.

Pour autant, faut-il renoncer à agir alors même qu’affleurent déjà les fléaux d’un Sahel plongé dans le chaos, massacres intercommunautaires, immigration incontrôlable, anarchie sociale généralisée, extension régionale de l’insécurité, effondrement économique, émergence de régimes liberticides sous l’autorité de prêcheurs radicaux à la propagande mortifère ?

Force est de revoir en profondeur notre copie. L’engagement massif imposé par l’extérieur et dirigé de l’extérieur ne convient pas. L’ONU, l’UE, la France, les États-Unis ou l’Allemagne doivent cesser de dicter leur point de vue. Tentons d’imaginer autre chose.

Écoute et responsabilité

Mamadou Sinsy Coulibaly, dans ses locaux du quartier ACI 2000, le 30 août 2017. © Emmanuel Bakary Daou pour JA

Mamadou Sinsy Coulibaly, dans ses locaux du quartier ACI 2000, le 30 août 2017. © Emmanuel Bakary Daou pour JA

Mamadou Sinsy Coulibaly considère que la solution ne peut venir que des nations sahéliennes

J’ai rencontré récemment à Bamako un personnage étonnant, dont l’abnégation, la compétence et le courage ne font aucun doute. Mamadou Sinsy Coulibaly, le président du Conseil national du patronat malien (CNPM), avance une proposition, longuement mûrie, qui mérite l’attention. Confronté à l’impasse tragique décrite ici, il considère que la solution ne peut venir que des nations sahéliennes ; lesquelles doivent être écoutées, responsabilisées et accompagnées.

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Écoutées. Le tout-sécuritaire ayant montré ses limites, ces pays réfléchissent à un engagement massif et multidimensionnel dans lequel le secteur privé, africain ou pas, assumerait un rôle majeur. Parmi les initiatives envisagées, des corridors de développement économique sécurisés reliant les capitales sahéliennes, susceptibles de produire des résultats certes modestes, mais concrets et rapides, de nature à déclencher enfin une dynamique positive.

Responsabilisées. Ces acteurs veulent que la communauté internationale leur fasse confiance. Le patron des patrons malien a déclenché lui-même une offensive contre la corruption dans son pays, dénonçant courageusement les exactions et leurs auteurs. Avec le soutien d’une frange significative de la société et celui de la rue, sa meilleure protection. Responsabiliser, cela signifie aussi fournir aux intéressés les moyens que requiert leur ambition, tout en exerçant un contrôle qu’au demeurant ils réclament.

Accompagnées. Les pays concernés ont besoin de la communauté internationale et de ses conseils. Ils ont besoin de son aide, mais pas de fausses bonnes solutions venues d’ailleurs, déconnectées des réalités locales.

Nul doute que notre ami peinera à faire valoir son point de vue. Reste qu’au point où nous en sommes, mieux vaudrait examiner sa suggestion avec bienveillance. Elle est originale, réaliste, cohérente, et a le mérite de rompre la spirale négative qui nous emprisonne. Elle suppose aussi d’accorder une totale confiance aux acteurs de terrain et de coordonner finement les efforts de tous. « Semper aliquid novi ex Africa ! » Pline l’Ancien l’avait en son temps remarqué : l’Afrique réserve toujours des surprises inouïes. Cette initiative en est une, saisissons-la.

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