[Tribune] Burkina Faso : l’affaiblissement de l’État favorise l’émergence des attaques terroristes
La montée des attaques au Burkina Faso est en grande partie imputable à l’affaiblissement de l’État, lui-même provoqué par un contexte politique très instable depuis le début de la décennie.
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Ismaila Kane
Politologue, spécialiste de la politique en Afrique, et chargé de cours à l’Université d’Ottawa.
Publié le 7 juin 2019 Lecture : 5 minutes.
Cette tribune a initialement été publiée sur le site de The Conversation.
Au nord du Burkina Faso, les récentes attaques contre une église à Dablo, le 12 mai 2019, et contre une procession de fidèles catholiques à Zimtenga, le lendemain, font craindre un embrasement aux contours religieux dans un pays qui connaît un défi sécuritaire majeur. Ces attaques surviennent après l’assassinat d’un pasteur et de cinq fidèles protestants à Silgadji (Nord) en avril 2019 et à l’enlèvement d’un prêtre catholique en mars 2019.
Tous ces événements s’inscrivent dans une dynamique de violence qui touche particulièrement le nord et l’est du Burkina Faso. Entre les attentats et les règlements de compte inter-communautaires comme le massacre de Peuls à Yirgou (Nord) en début d’année 2019, cet État d’Afrique de l’Ouest inquiète. Mais qui sont les auteurs de ces violences qui touchent une partie de ce pays ? Pourquoi s’en prennent-ils maintenant aux communautés chrétiennes ? Pour répondre à ces questions, il faut d’abord accorder une attention particulière au contexte politique du pays.
>>> À LIRE – Burkina Faso : les grandes manœuvres dans l’état-major parviendront-elles à réduire l’insécurité ?
Instabilités politiques
La montée des attaques au Burkina Faso est en grande partie imputable à l’affaiblissement de l’État, lui-même provoqué par un contexte politique très instable depuis le début de la décennie. En 2011, des affrontements opposèrent les forces de l’ordre et les étudiants. Durant la même année, une mutinerie secoua les rangs de l’armée et plusieurs militaires s’adonnèrent à des actes de vol et de pillage sur la population.
L’État burkinabè, notamment l’armée, est ressorti très fragilisé par ces crises
Blaise Compaoré, président à l’époque, reprit la main non sans mal. Obligé de dissoudre le gouvernement pour faire taire les mécontentements, il ouvrit toutefois un autre front lorsqu’il décida de modifier la Constitution pour se présenter à l’élection présidentielle prévue en 2015. Alors que les députés étaient invités à voter le projet de modification constitutionnelle, la population se souleva, forçant le départ précipité du président le 31 octobre 2014.
En septembre 2015, après une période incertaine durant laquelle les militaires prirent le pouvoir avant de le restituer aux civils, une tentative de putsch fut menée par le régiment de sécurité présidentiel. Elle se solda par un échec. En novembre 2015, le gouvernement de transition parvint à organiser l’élection présidentielle qui porta Roch Marc Christian Kaboré, ancien premier ministre et président de l’Assemblée nationale, au sommet de l’État.
Depuis son élection, le pouvoir central est décrié par une partie de la population en raison de ce qu’elle perçoit comme une incapacité à faire face aux multiples problèmes du pays. L’État burkinabè, notamment l’armée, est ressorti très fragilisé par ces crises.
La faiblesse de l’État central favorise l’émergence et le développement d’acteurs qui s’arrogent l’exercice de la violence
Source de violences
À ce contexte politique national instable s’ajoute une insécurité sur le plan régional au Sahel, notamment au Mali, pays limitrophe. Certaines attaques comme celle de Ouagadougou en 2016 ont été revendiquées par Al-Qaïda, présent dans le nord du Mali. L’affaiblissement de l’État central, le limite dans sa capacité à intervenir dans le territoire national et à contrôler ses frontières qui sont devenues très poreuses.
La faiblesse de l’État central favorise l’émergence et le développement d’acteurs qui s’arrogent l’exercice de la violence, mêlant coupeurs de route, milices d’autodéfense ethniques et groupes armés se revendiquant du jihad. Certains de ces groupes peuvent s’adonner à plusieurs activités en même temps, allant du pillage de biens à l’attaque motivée par la foi. C’est dans l’atmosphère d’insécurité grandissante que les groupes jihadistes opèrent.
Cependant, bien qu’ils aient tendance à se présenter sous la bannière d’Al-Qaïda ou de l’État islamique, ces groupes ont souvent un ancrage local. Ils instrumentalisent les clivages identitaires existants pour enraciner leur lutte. C’est le cas de Ansarul Islam de Ibrahim Dicko qui opère dans le nord du Burkina Faso et exploite les clivages historiques entre Peuls et Rimaïbé, descendants d’esclaves des Peuls.
Les actions des groupes jihadistes dans le nord du pays ont débouché sur des violences entre groupes ethniques dans une logique de vengeance et de représailles, comme l’a montré le massacre de Yirgou. Le terrorisme vise les institutions étatiques comme la police et les mairies, et de plus en plus explicitement les autres communautés religieuses comme les protestants et les catholiques.
Tensions entre communautés religieuses
Des contextes comme le Nigeria avec Boko Haram ont montré que les groupes jihadistes peuvent attaquer les membres d’autres croyances dans l’objectif de fabriquer et cristalliser une confrontation religieuse ouverte. Au Burkina Faso, les chrétiens constituent une minorité religieuse (environ 20 à 25 % de la population). Les violences répétées contre les églises chrétiennes – qu’il s’agisse d’enlèvements ou de tueries – traduisent une volonté des groupes terroristes d’enclencher des tensions entre communautés religieuses.
En outre, les chrétiens, en général, et les catholiques, en particulier, sont identifiés à l’État, notamment pour deux raisons. D’une part, l’État burkinabè agit généralement comme protecteur des minorités religieuses dans le pays. Ainsi, s’attaquer aux chrétiens, c’est également s’attaquer à l’État. D’autre part, les catholiques, même s’ils constituent une minorité religieuse au Burkina Faso, ont fortement influencé l’histoire du pays. Depuis l’indépendance, une grande partie des femmes et des hommes qui ont dirigé le Burkina Faso sont catholiques. Comme l’a déjà noté René Otayek, l’Église catholique est un acteur social de premier plan et a agi comme modérateur lors des crises qui ont eu lieu dans le pays.
Les groupes jihadistes opèrent toutefois dans un pays résilient qui, dans son histoire tourmentée, a fait face à d’innombrables difficultés qu’il a surmontées avec force
En s’en prenant aux catholiques, ces attaques visent un des acteurs centraux de la société burkinabè. Par ailleurs, les attaques contre des églises ont également comme objectif de médiatiser un conflit qui est encore peu suivi dans le monde. En ciblant les chrétiens, ces attaques sont un « coup médiatique » destinés à plusieurs publics : les potentiels recrues, les groupes concurrents, les opinions publiques et les chancelleries occidentales qui peuvent s’émouvoir devant cette situation.
Des difficultés déjà surmontées
Occupant une position géographique centrale en Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso est sensible aux soubresauts politiques de ses voisins. L’affaiblissement progressif de l’État dû aux multiples crises des années 2010 l’a rendu vulnérable aux actions de groupes aux motivations souvent locales qui visent maintenant les chrétiens de manière délibérée. L’occupation du nord du Mali par les groupes jihadistes avait, dès le début, suscité les craintes des catholiques burkinabè qui tiennent à l’équilibre entre communautés religieuses et au dialogue islamo-chrétien.
Les groupes jihadistes mènent des actions contre eux et ainsi contre l’État, profitant du vide laissé par celui-ci. Ils opèrent toutefois dans un pays résilient qui, dans son histoire tourmentée, a fait face à d’innombrables difficultés qu’il a surmontées avec force.
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