Le secondaire, c’est payant

Pays émergents. Les investissements réalisés dans le « capital humain » au cours des deux dernières décennies ont engendré un demi-point de croissance économique.

Publié le 25 février 2003 Lecture : 6 minutes.

Investir dans l’enseignement secondaire et supérieur, et pas seulement dans le primaire, peut rapporter gros. Tel est le message d’une étude de l’Unesco et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) portant sur seize pays émergents qui participent au Programme sur les indicateurs de l’éducation dans le monde (IEM) animé par les deux institutions. Le document, intitulé Financing Education – Investments and Returns (« Le financement de l’éducation – Investissements et dividendes »), évalue non seulement l’impact du développement éducatif sur la croissance économique des pays, mais aussi les bénéfices individuels liés à une fréquentation plus longue du système scolaire.
Les seize pays – six d’Amérique latine, un des Caraïbes, six asiatiques, trois africains – ne sont pas les moins bien lotis de leurs régions respectives(*). Leurs efforts pour allonger la durée moyenne des études de leurs populations s’étant inscrits dans la durée, il est possible d’évaluer avec le recul nécessaire les dividendes obtenus. Les investissements dans le « capital humain » réalisés au cours des deux dernières décennies auraient généré un demi-point de croissance. Pour les économistes, l’augmentation du niveau moyen d’éducation de la population active dans un pays correspond à un accroissement du capital humain et contribue au même titre que les investissements matériels à la croissance économique.
Dans les seize pays, le nombre moyen d’années d’études de la population adulte en âge de travailler (15-64 ans) est passé de 3,4 ans en 1960 à 7,6 ans en 2000. Le retard reste important par rapport aux pays riches de l’OCDE, où les adultes ont passé en moyenne 10,2 ans dans le système scolaire, en 2000. La lenteur de la progression, dans des pays qui ont pourtant montré une réelle volonté politique d’éduquer leurs citoyens, tient clairement à l’ampleur des dépenses éducatives requises, dans un contexte de contraintes budgétaires fortes. Si la généralisation de l’accès au primaire constitue un défi toujours à relever pour les pays les plus pauvres, notamment en Afrique subsaharienne, c’est le saut qualitatif vers un large accès à l’enseignement secondaire et universitaire qui pose ici de sérieuses difficultés. Plus de 80 % de la population active a reçu une éducation de base en Argentine, au Chili, en Jamaïque, en Malaisie, ainsi qu’en Thaïlande et en Uruguay, mais à peine 35 % en Tunisie. Les taux de scolarisation très élevés dans le primaire (tous les pays de l’échantillon scolarisent quasiment 100 % de leurs enfants à ce niveau) ne se traduisent qu’avec un retard important dans le niveau moyen d’éducation de la population active, le temps que les cohortes de jeunes élèves scolarisés arrivent sur le marché du travail.
Les disparités entre les pays se creusent au niveau de l’enseignement secondaire. Environ 25 % de la population adulte a reçu une éducation secondaire au niveau du collège en Thaïlande et en Tunisie, contre 70 % au Chili. Mais moins de 10 % a reçu une éducation au niveau du lycée en Tunisie, contre 46 % au Pérou. La chute lorsqu’on passe du primaire au secondaire est particulièrement frappante en Indonésie, en Jamaïque, en Thaïlande et au Uruguay. Elle l’est moins en Argentine, au Brésil, en Malaisie et au Paraguay. L’éducation au niveau supérieur est « une exception dans la population active en Indonésie, en Jamaïque, au Paraguay et en Tunisie, alors qu’elle est acquise par 10 % ou plus de la population active en Argentine, au Chili, au Pérou et en Thaïlande ».
Le rendement social des investissements éducatifs a été important. Il y a une corrélation clairement positive entre le nombre moyen d’années d’études dans la population adulte et le revenu par tête. Si l’investissement dans le capital humain augmente le taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) par tête de 0,5 point environ dans la majorité des seize pays étudiés, la relation entre éducation et performance économique varie largement d’un pays à un autre. Les dividendes d’un accès plus large à l’enseignement ont été particulièrement élevés en Argentine, au Chili, en Malaisie et en Uruguay. Ils ont été plus limités en Égypte, en Inde et en Tunisie. Ces derniers pays partaient de niveaux de scolarité très bas en 1960 : respectivement 1,01, 1,17 et 0,83 an de longévité scolaire. Il semble y avoir un seuil critique à partir duquel l’effet d’une population active mieux formée devient significatif : « De hauts niveaux d’études secondaires et supérieures sont nécessaires pour que le capital humain ait un impact sur la régularité de la croissance. »
Les individus eux aussi tirent directement profit d’une année supplémentaire d’études : ils s’insèrent plus facilement dans la vie active. L’effet est particulièrement frappant chez les femmes. En Tunisie, 16,1 % des femmes sans formation ont accès au marché du travail, contre 85,1 % des femmes qui ont reçu un enseignement universitaire. Les résultats sont étonnants au Pérou et en Inde : le taux de chômage est plus élevé dans ces deux pays pour les individus qui ont reçu une éducation plus poussée. Il est possible que le système éducatif n’apporte pas les connaissances recherchées sur le marché du travail. Il est aussi probable que les individus qualifiés pointent au chômage, dans l’attente du travail idéal, alors que les non-qualifiés rejoignent le secteur informel et sortent de fait des statistiques.
Il n’y a, en revanche, aucune ambiguïté quant aux salaires plus élevés obtenus par les personnes qui ont reçu une éducation secondaire ou supérieure : « En Indonésie, par exemple, un homme qui a suivi des études supérieures gagne en moyenne 82 % de plus qu’un homme qui n’a aucun diplôme du secondaire. L’écart atteint 300 % au Paraguay. » Les compétences acquises par l’éducation supérieure étant rares au sein de la population, le marché les rémunère fortement.
Le message le moins optimiste porte sur les besoins de financement des dépenses éducatives. Malgré les efforts colossaux consentis par les pouvoirs publics des pays étudiés au cours des deux dernières décennies, la demande de services éducatifs continue d’exploser, obligeant les gouvernements à des arbitrages budgétaires délicats. La démographie y est pour beaucoup. La population des enfants de 5 ans à 14 ans atteint, par exemple, le quart de la population totale au Zimbabwe. Ce pays consacre 7 % de son PIB à l’éducation, plus que tous les autres pays de l’échantillon de l’Unesco et plus que la moyenne de 5,2 % des pays de l’OCDE. C’est pourtant insuffisant pour continuer à améliorer l’accès à l’éducation secondaire et supérieure. Le coût de formation d’un élève augmente de 41 % lorsqu’on passe du primaire au secondaire, en moyenne, pour les pays étudiés. Il bondit de 361 % lorsqu’on passe du secondaire au supérieur. Au Brésil, ce dernier passage se traduit par une hausse de 1 200 % du coût de formation. D’où un choix cornélien pour les autorités : favoriser l’accès d’un Brésilien de plus à l’université ou donner la chance à douze enfants de recevoir un enseignement secondaire. L’université apporte des savoirs qu’exige une économie mondiale de plus en plus axée sur les connaissances, alors que l’éducation généralisée aux niveaux inférieurs est une exigence d’équité. Si le rapport souligne l’importance croissante des dépenses privées d’éducation (plus de 40 % des dépenses totales au Chili, en Chine et au Paraguay, contre une moyenne de 12 % pour les pays de l’OCDE), il reconnaît que le développement du secteur privé ne résout pas le problème de l’accès, les pauvres étant exclus. En d’autres termes, la question du financement de l’éducation, cruciale pour tous les pays en développement, reste non résolue.

* Argentine, Brésil, Chili, Chine, Égypte, Inde, Indonésie, Jamaïque, Malaisie, Paraguay, Pérou, Philippines, Thaïlande, Tunisie, Uruguay et Zimbabwe.

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