Les avocats, ces mal-aimés

Comment faire face à la fois aux pesanteurs de l’administration judiciaire, aux pressions du pouvoir et aux exigences des clients ?

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

Le Conseil de l’ordre des avocats tunisiens (COAT) a rendu public, le 10 mars, un virulent communiqué pour dénoncer la « grave dégradation des conditions de travail » de ses membres, conséquence, selon lui, de la « politique mise en oeuvre depuis plus de dix ans dans le but de limiter le champ d’action des avocats » et des « tentatives du régime de porter atteinte à [leur] indépendance ». Dans la foulée, il a annoncé une série de manifestations de protestation : port d’un brassard rouge pendant deux semaines, rassemblements dans les cours d’appel, arrêt de travail, manifestation devant le ministère de la Justice et des Droits de l’homme, grève générale, suspension des réquisitions pendant une semaine…
Reçu en audience, deux jours plus tard, au palais de Carthage, Béchir Takkari, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, a indiqué avoir présenté au président Ben Ali un « rapport sur la mise en oeuvre des mesures relatives à la profession ». Au nombre de celles-ci : l’augmentation de l’indemnité de réquisition pour les stagiaires, l’amélioration des conditions de travail et l’élargissement de leur champ d’activité.
Le même jour, le ministre a reçu le bâtonnier Me Béchir Essid et les membres du Conseil de l’ordre, renouant du même coup le dialogue interrompu depuis plus d’un an. Même si elle n’a pas permis d’évoquer tous les problèmes, cette réunion a fourni aux deux parties l’occasion d’affirmer leur volonté de travailler ensemble à une réforme de la profession. Du coup, le COAT a repoussé du 13 au 28 mars le lancement de ses actions de protestation, dans l’attente de décisions concrètes. La majorité de ses membres reste pourtant sceptique. « Le ministre a fait des promesses, mais n’a pas pris d’engagements », estime ainsi Me Mohamed Jmour, son secrétaire général.
Les relations entre les avocats et le pouvoir ont toujours été empreintes de défiance. Chaque fois que les premiers ont tenté de marquer leur autonomie, le second y a vu une manifestation d’insubordination. La mésentente s’est brusquement aggravée, le 17 juin 2001, avec l’élection au poste de bâtonnier de Me Béchir Essid, grande figure de l’opposition et ancien prisonnier politique. Ce vote a été ressenti en haut lieu comme une provocation. Il est vrai que, sous l’impulsion de Me Essid, le COAT n’a pas tardé à évoluer vers une attitude franchement critique à l’égard du gouvernement.
Le 7 février 2002, le syndicat a appelé à une grève générale pour protester contre les conditions dans lesquelles s’est déroulé le procès de l’opposant Hamma Hammami, porte- parole du Parti communiste des ouvriers tunisiens (PCOT), et de deux autres membres de cette formation d’extrême gauche non reconnue. Jugé « illégal » par le ministre de la Justice, le mouvement a néanmoins été suivi par une majorité d’avocats. Mais six d’entre eux, membres (ou proches) du parti au pouvoir, le RCD, ont déposé une plainte demandant l’invalidation de l’appel à la grève, qui contrevient, selon eux, à la loi de 1989 sur l’organisation de la profession. Les plaignants considèrent par ailleurs que cette grève représente une violation de leurs libertés fondamentales, notamment de leur droit au travail, et affirment avoir engagé la procédure afin de se prémunir contre d’éventuelles sanctions. La plainte a été examinée, le 2 avril 2002, par la cour d’appel de Tunis, puis reportée à six reprises. Elle devait l’être à nouveau le 22 avril.
Par ailleurs, le 13 décembre dernier, plusieurs avocats, pour la plupart membres de deux nouvelles associations non autorisées, le Centre tunisien pour l’indépendance de la justice et l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (cette dernière proche des milieux islamistes), ont été physiquement agressés. Le 26 décembre, au nom des victimes, le Conseil de l’ordre a déposé une plainte auprès du tribunal de première instance de Tunis, mais aucune suite n’y a été donnée.
Mais les avocats ont aussi des revendications socioprofessionnelles. « Nous ne sommes pas respectés. Nous passons le plus clair de notre temps à attendre dans les couloirs des tribunaux, ballottés entre les pesanteurs d’une administration judiciaire qui croule sous les dossiers et les réclamations de nos clients mécontents », explique Me Jilani Jeddi. Me Jmour évoque, pour sa part, les « difficultés d’accès aux documents d’instruction et le refus du droit de visite dans les affaires sensibles » (traduire : politiques), ainsi que les « faveurs accordées aux avocats membres du RCD, seuls habilités à se constituer pour les institutions et entreprises publiques ».
Pour une population globale de 10 millions d’habitants, la Tunisie compte 3 800 avocats en exercice, chiffre nettement en deçà des normes internationales. Mais c’est la limitation du champ d’exercice de la profession qui pose le plus de problèmes. Le droit de se constituer accordé aux titulaires d’un 3e cycle en droit et aux magistrats retraités réduit évidemment les possibilités de travail des jeunes. La création prochaine d’un Institut de formation des avocats devrait permettre de résoudre une partie du problème.

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