Le retour des barrages

Longtemps décriés, les grands ouvrages redeviennent d’actualité. À condition de respecter l’environnement.

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

Octobre 2001 : un an avant l’achèvement de la centrale hydroélectrique de Manantali, au Mali, les Mauritaniens érigent fièrement les poteaux de la ligne qui amènera l’électricité du barrage à Nouakchott. Les Sénégalais en font autant vers Dakar et les Maliens l’ont déjà fait vers Bamako. Ces gens se réjouissent d’avance de cette électricité bon marché qui va éclairer leurs maisons et faire fonctionner leurs usines. La plupart d’entre eux sont trop jeunes pour avoir connu le déchaînement des passions qui, un temps, mit en péril l’existence même de l’Office de mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Le battage médiatique orchestré par les écologistes avait retardé la construction de l’ouvrage, terminé seulement à la fin de l’année dernière, plusieurs décennies après sa conception.
Les Égyptiens de 2003 se souviennent-ils, eux, des campagnes hostiles menées à la fin des années cinquante par les Occidentaux contre la construction du barrage d’Assouan ? Un barrage qui plus est construit par les Soviétiques… Et les Congolais se rappellent-ils avec quelle fureur les mêmes écologistes occidentaux avaient milité contre la construction « pharaonique » d’Inga, dans l’ex-Zaïre du maréchal Mobutu ? Leur opposition à la construction de grands barrages est une constante, au même titre que la lutte contre les centrales nucléaires dans les pays occidentaux. L’Afrique en a beaucoup souffert : son potentiel hydraulique est le moins exploité du monde. Le continent n’héberge que 1 300 des 42 000 grands barrages mondiaux, (soit 3 % des ouvrages). Et encore, ces barrages africains se situent essentiellement en Afrique du Sud et au Zimbabwe (60 %) ainsi que, dans une moindre mesure, en Afrique du Nord. L’Afrique subsaharienne dans son ensemble n’a que très difficilement accès au financement de ces ouvrages, surtout depuis que la Banque mondiale a décidé, voici une dizaine d’années, de s’en désengager sous la pression des écologistes.
Certes, nombre de projets ont dû être abandonnés pour des raisons autres, la guerre notamment. Ainsi en fut-il de la canalisation du Nil blanc au Soudan, tentative avortée d’empêcher les eaux du lac Victoria de s’évaporer là-bas sur plus de 300 000 km2 pendant les hautes eaux. La gigantesque roue excavatrice qui fut amenée à cet effet rouille toujours sur place tandis que le pays se lance dans l’exploitation pétrolière… Inga, autre exemple, ne fut jamais ce temple de l’électricité sous-régionale que ses concepteurs avaient prévu de bâtir à l’origine. Là encore, la guerre empêcha le développement du site. Et l’on renonce encore aujourd’hui à des barrages en Afrique, tels ceux que l’Ouganda imagine régulièrement le long de « son » Nil pour en régulariser les crues et en tirer une énergie bon marché.
Des signes semblent toutefois contrarier cette tendance à l’abandon hydrologique, à commencer par les récentes catastrophes climatiques : tant au nord qu’au sud du Sahara, les précipitations de ces dernières années ont eu de graves conséquences. Les eaux d’un ciel plus capricieux que d’habitude, mal ou pas contenues, se sont déversées avec fureur sur de paisibles cités, entraînant mort et dévastation. Ainsi en fut-il en novembre 2001 du quartier de Bab el-Oued à Alger ou, plus récemment, dans la région d’Agadir, au Maroc. Le manque d’eau potable des grandes villes africaines en pleine croissance démographique est un autre élément important du redémarrage prévisible des barrages africains.
Au Maghreb, les Algériens viennent d’opter pour la construction de nouveaux ouvrages alors que, jusqu’à l’an dernier, leurs services techniques militaient essentiellement en faveur du développement des canalisations en aval des barrages existants. L’achèvement, enfin, de chantiers emblématiques ouvre lui aussi le champ aux spéculations : ainsi Manantali redonne-t-il vie à de vieilles idées de barrages sur le fleuve Niger tandis que l’achèvement du barrage de Mohale, au Lesotho, a relancé les rêves de barrages en nombre dans la chaîne montagneuse du Maloti… avant que les preuves de corruption à grande échelle perpétrée lors des travaux du premier ouvrage n’annihilent ces rêves sans doute pour longtemps.
Un autre élément d’importance est intervenu en faveur d’une exploitation plus sérieuse de l’hydrologie africaine : l’an dernier, la Commission mondiale des barrages a rendu son premier rapport, intitulé « Barrages et développement ». Contrairement à ce qu’avaient laissé penser des « fuites » organisées avant sa publication, ce rapport ne condamne pas les grands ouvrages. Il prône simplement une plus grande attention aux besoins humains (indemnisation des personnes déplacées) et environnementaux (consultation des organisations non gouvernementales, choix des sites, etc.) Et il insiste sur la priorité à donner à la réhabilitation des ouvrages existants.

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