Le Nord se rebiffe

Des dignitaires nordistes se mobilisent pour que le pouvoir central s’occupe enfin de leurs provinces.

Publié le 25 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Le 5 février, une rencontre d’hommes politiques originaires du Nord qui devait se tenir dans un hôtel de Yaoundé à l’initiative de l’Alliance nationale pour la démocratie et le progrès (ANDP) est interdite. Ne pouvant organiser de réunion publique, les participants tentent alors de se retrouver au domicile de l’ancien ministre Dakolé Daïssala, où ils ont la surprise de voir débarquer le préfet encadré par une escouade de gendarmes. Depuis, les opposants ne cachent pas leur mécontentement. Dans une lettre ouverte au président Paul Biya, ils dénonçaient, le 14 février, la violation de leurs droits fondamentaux, parlant de grave menace contre « la paix civile au moment où […], dans d’autres pays africains, le blocage du processus démocratique débouche irrémédiablement sur des guerres civiles ».
Pour l’heure, le mouvement du Grand-Nord n’a que le statut d’association. Ce qui ne l’empêche pas de susciter la méfiance du pouvoir. Créé par une poignée de dignitaires nordistes à l’issue des législatives du 30 juin dernier, il a vu le jour à l’initiative de l’ancien ministre des Transports Issa Tchiroma Bakary, de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP). À ses côtés, plusieurs anciens barons du régime ou députés en rupture de ban. Y figurent notamment Ahmadou Moustapha, président de l’ANDP ; Garga Haman Adji, président de l’Alliance pour la démocratie et le développement (ADD) ; Dakolé Daïssala, président du Mouvement pour la défense de la République (MDR) ; ou encore Antar Gassagay, président de l’Union pour la République. Tous furent membres du gouvernement, et tous sont originaires des provinces du Nord, de l’Extrême-Nord et de l’Adamaoua. En décidant de créer un « Parti du Grand-Nord », ils ont sciemment choisi de poser le débat en termes régionalistes. Au risque de réveiller des revendications ethniques ou religieuses toujours prêtes à refaire surface.
Les initiateurs du projet précisent toutefois agir « indépendamment des tendances politiques, des ethnies et des religions ». Dans ces régions, « la pauvreté gagne du terrain, le chômage des jeunes est endémique et les affaires se portent mal à cause du phénomène des coupeurs de route », expliquent-ils dans un « mémorandum du Grand-Nord » publié en septembre 2002. Ce cahier des doléances nordistes stigmatise l’échec des partis politiques traditionnels dans le développement de cette partie enclavée du pays, et dresse un bilan des plus sombre de l’état des provinces septentrionales Tout en rappelant le poids démographique des trois provinces – plus de 4,5 millions d’habitants sur les 15 millions que compte le Cameroun -, le collectif déplore leur sous-représentation au sein de la fonction publique : « Sur les 28 milliards de F CFA de masse salariale, les fils du Nord en reçoivent moins de 1 milliard. »
Tout aussi graves, aux yeux de ces responsables, sont les inégalités d’accès aux services publics. À commencer par l’éducation : en se fondant sur les statistiques disponibles, le mémorandum souligne que la province du Nord compte 1 lycée pour 94 000 habitants, contre 1 pour 17 000 dans la province du Sud. Même tendance en matière de santé : le taux de couverture est évalué à 1 médecin pour 14 730 habitants au niveau national, et à 1 médecin pour 46 972 habitants dans l’Extrême-Nord, « où il n’ y a aucun chirurgien, aucun dentiste, aucun cardiologue… et un seul gynécologue pour 2,5 millions d’habitants ».
« Derrière ces revendications, une véritable amertume transparaît à travers ce réquisitoire adressé au pouvoir central, ce qui est assez récent, constate un exégète de la vie politique camerounaise. Cela fait de longues années que l’on entend régulièrement parler du blues de la communauté anglophone. Cette insatisfaction du Grand-Nord est relativement nouvelle, et ne doit pas être sous-estimée. Si l’on n’y prend garde, certains pourraient en profiter pour faire un amalgame avec l’islam, majoritaire dans les provinces concernées. C’est pourquoi le risque de voir le débat prendre une dimension ethno-religieuse – le Nord musulman s’opposant au Sud chrétien et animiste – doit être circonscrit au plus tôt. »
En quarante ans d’indépendance, la coexistence des ethnies camerounaises n’a jamais provoqué de heurts majeurs. Pourtant, le moindre incident peut être interprété comme une vexation. La colère récente du mufti général et président du Conseil national supérieur des cultes musulmans du Cameroun, Cheikh Mounir, restera sans doute dans les mémoires. Le dignitaire religieux a protesté contre le report par les autorités du 11 au 12 février de la fête de Tabaski – l’Aïd el-Kébir. « La communauté musulmane, au lieu de célébrer ce mardi avec d’autres pays du monde entier, ne pourra fêter la Tabaski que mercredi du fait d’une décision politique bafouant la religion musulmane et sabotant cette fête par là-même », a-t-il déclaré après avoir appris le report. La décision de l’administration avait pour but d’éviter de faire coïncider la Tabaski avec la fête nationale de la Jeunesse, fixée le même jour. Alors que les querelles entre traditionalistes et progressistes sont de plus en plus fréquentes dans les cercles musulmans camerounais, une récupération politique des ressentiments à l’égard du pouvoir demeure possible.
Dans les rangs du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), on minimise l’impact de cet épisode. « Il ne s’agit que d’un groupuscule de plus qui risque de passer inaperçu dans un paysage politique qui en compte déjà trop. » Quant au « projet fumeux de Parti du Grand-Nord », on préfère en parler comme d’une initiative de « personnalités aigries qui se sont fait battre aux dernières législatives ». Et l’on s’étonne que cet aréopage n’ait pas profité de son passage au gouvernement pour dénoncer une situation qui, si elle témoigne d’un réel déséquilibre Nord-Sud, ne date pas d’hier.
Cette mobilisation nordiste demeure toutefois assez inattendue. Associés à l’exercice du pouvoir par les Bétis, l’ethnie de Paul Biya, dès la succession d’Ahidjo, en novembre 1982, les dignitaires du Nord ont toujours été des alliés objectifs d’Étoudi. Sur sept ministres d’État, Marafa Hamidou Yaya (Administration territoriale et Décentralisation), Amadou Ali (Justice) jouent un rôle stratégique, alors que Cavaye Yeguié Djibril conserve le perchoir de l’Assemblée nationale. Reste à savoir si ce coup de canif dans le contrat restera anecdotique. Ou s’il fera des émules…

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