Le jour où « l’intelligent » m’a déçu

Lecteur de Djibouti, Ali Barkat nous interpelle au sujet de l’enquête sur Saddam Hussein. Réponse de François Soudan.

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

En novembre 2001, une fois que les Américains eurent taillé en pièces l’armée hétéroclite que le mystérieux Mollah Omar avait alignée sur les montagnes de son malheureux pays, Jeune Afrique/l’intelligent titrait en gros caractères et en couverture : « La fin du début ». Nous comprîmes alors, nous autres journalistes djiboutiens, que Washington n’entendait pas se contenter de cette victoire, somme toute facile, remportée sur une armée de va-nu-pieds dans un pays déjà exsangue. Et tout au long de ces derniers mois, le « Ce que je crois » hebdomadaire d’« Am Béchir » Tonton Béchir ») a constitué pour nous un précieux éclairage pour comprendre les intentions de ce curieux cow-boy texan que Fouad Laroui traite parfois de crétin.
Mais je dois vous avouer que la lecture du cahier spécial que J.A.I. n° 2199 (du 2 au 8 mars) a consacré au chef de l’État irakien et à la nature de son régime m’a quelque peu déçu. Décrire aujourd’hui sur près de vingt pages les crimes réels et supposés de Saddam Hussein, alors que les Américains jouent les gros bras dans le Golfe, est à mon sens une manière de dire qu’en déclenchant cette guerre annoncée, Bush ne fera en fait que rendre un grand service au peuple irakien puisqu’il l’aura débarrassé de son bourreau.
Dans votre abondante prose, l’homme est comparé à Staline et il n’hésiterait pas parfois, selon vous, à supprimer de ses mains la vie de certains opposants.
Nulle intention de ma part de défendre Saddam Hussein. Les atrocités qu’il aurait fait subir au peuple kurde me révoltent et me scandalisent, et je ne suis pas loin de penser que cet homme-là est l’un des plus épouvantables dictateurs de notre époque. Mais ce que je ne comprends pas, c’est la curieuse coïncidence de votre enquête avec les bruits de bottes qui nous assourdissent actuellement. À quoi bon dénoncer les crimes de Saddam puisqu’il est aujourd’hui à peu près certain que les Américains l’enverront de vie à trépas et qu’il ne sévira plus ? La plupart des méfaits dont vous l’accusez auraient été commis dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Pourquoi ne les dénonciez-vous pas à l’époque avec une telle véhémence ?
M. François Soudan, au demeurant excellent journaliste, précise que son enquête doit beaucoup à un certain nombre de livres écrits par une dizaine d’auteurs presque tous occidentaux. Est-il sûr de la véracité de leur contenu ? Dans les années quatre-vingt, quand, avec la complicité de l’Occident, Saddam faisait une atroce guerre à son voisin iranien, rares étaient les livres qui dénonçaient ses crimes. Et l’on sait qu’il a suffi qu’il s’en prenne à leur cher pétrole koweïtien pour que les médias occidentaux le diabolisent et nous le décrivent comme un vilain moustachu qui gaze sa propre population.
S’il faut dénoncer tous les régimes dictatoriaux de la planète, pourquoi diable n’enquêtez-vous pas sur les méthodes moyenâgeuses de la monarchie qui sévit en Arabie saoudite ? Pourquoi n’informez-vous pas les gens sur les atrocités que ces princes imbibés de pétrole font subir aux citoyens de ce pays ainsi qu’aux travailleurs somaliens ou philippins ? Peut-être le ferez-vous une fois que les Américains, après avoir mis la main sur le pétrole irakien, auront décidé d’en découdre avec les roitelets de la région ?
Quelle que soit la nature du régime irakien, quelles qu’aient pu être les atrocités commises par Saddam, on ne peut s’empêcher de penser que cette guerre sera la plus grande injustice de ce siècle.
Ali Barkat Siradj Hebdomadaire « La Nation », Djibouti

Réponse : Si je vous comprends bien, vous nous reprochez non pas le contenu de ce « portrait total » de Saddam Hussein, mais le fait de l’avoir publié à un moment où chacun le sait condamné à plus ou moins brève échéance. Nous aurions été plus crédibles, en somme, si nous avions en temps et en heure, c’est-à-dire à l’époque où l’Occident – États-Unis compris – le soutenait, exposé les crimes du dictateur irakien. Votre opinion est évidemment respectable, mais elle se fonde sur des informations (et des suppositions) fausses.

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1. Nous avons toujours dénoncé les exactions commises par Saddam et son régime. Dès le premier jour de sa guerre contre l’Iran, nous avons été parmi les très rares publications à qualifier cette aventure de folie et à en prédire les conséquences désastreuses. J’ai moi-même été, en mars 1988, l’un des premiers journalistes à me rendre à Halabja et à témoigner, sous le titre : « J’ai vu l’horreur », du gazage de cette ville martyre. Cette position constante ne nous rend que plus à l’aise pour publier aujourd’hui, parce que l’actualité l’impose, ce portrait que vous nous reprochez.
2. En ce qui concerne les monarchies du Golfe, à l’égard desquelles nous aurions des complaisances coupables, laissez-moi vous dire que vous nous lisez avec une grande distraction. Nous ne comptons plus en effet ni les articles critiques publiés, ni, par voie de conséquence, les saisies et interdictions dont nous avons été – et sommes toujours – l’objet dans cette région du monde arabe. Si vous ne vous en êtes par aperçu, les censeurs de Riyad, de Koweït-City et d’ailleurs savent, eux, à quoi s’en tenir.

3. De la guerre du Golfe en 1991 à la guerre contre l’Irak aujourd’hui, notre analyse n’a pas varié. Nous sommes contre une guerre qui tue des innocents pour abattre un homme. Mais nous considérons que cet homme est le premier responsable des malheurs qui s’abattent sur son peuple.

4. Relisez, enfin, l’encadré bibliographique qui accompagne ce portrait de Saddam Hussein : cinq des huit ouvrages mentionnés ont pour auteurs des écrivains arabes (dont deux hagiographes et… Saddam lui-même !).

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