RDC : à Kisangani, 19 ans après la « guerre des six jours », les rescapés attendent toujours réparation
Dix-neuf ans après la « guerre des six jours », qui a opposé début juin 2000 à Kisangani les Forces rwandaises et ougandaises, les familles des victimes dénoncent l’impunité pour les auteurs de ces violences qui ont causé plus de 1 000 morts. Aline Engbe, l’une des rescapées, revient sur ce qu’il s’est passé lors de ces journées tragiques.
Plus de 1 000 morts, au moins 3 000 blessés et une ville en partie détruite. Du 5 au 10 juin 2000, les affrontements à l’arme lourde se sont déchaînés à Kisangani entre les forces rwandaises et ougandaises, qui y apportaient jusque-là un appui militaire aux groupes rebelles hostiles au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila.
Dix-neuf ans après cette « guerre des six jours », et alors que la Cour internationale de justice (CIJ) avait rendu en 2005 un arrêt condamnant l’Ouganda à réparer le préjudice causé sur le territoire congolais – l’Etat congolais réclamait plusieurs milliards de dollars pour les crimes commis sur la période 1998-2003 – , cette décision n’a toujours pas été suivie d’effet.
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Les familles des victimes dénoncent depuis une impunité dont elles estiment complices la communauté internationale et le gouvernement congolais. Aline Engbe, aujourd’hui porte-parole du collectif des victimes de ce conflit, avait 12 ans à l’époque. Elle revient pour Jeune Afrique sur cet épisode.
Jeune Afrique : Que s’est-il passé entre le 5 et le 10 juin à Kisangani ?
Aline Engbe : Le 5 juin 2000, alors que je m’apprêtais à sortir de chez moi pour aller à l’école, mes sœurs et moi avons entendu des détonations d’armes lourdes, sans comprendre ce qu’il se passait. Ma mère n’était pas là. C’est seulement plus tard qu’on nous dira qu’il s’agissait d’une « guerre ».
Sur la route, nous avons vu des cadavres partout, des enfants pleuraient. C’était vraiment dramatique
Des éléments des troupes rwandaises sont ensuite venus jusqu’à notre maison, en nous demandant de quitter les lieux temporairement parce que les affrontements avaient gagné en intensité. Sur la route, nous avons vu des cadavres partout, des enfants pleuraient. C’était vraiment dramatique.
Comment avez-vous vécu ces journées ?
Au cinquième jour des affrontements, alors que nous étions dans le salon avec ma famille, nous avons entendu un bruit. Une bombe venait de tomber sur le toit, dont une partie a été détruite. Il ne s’agissait que de dégâts matériels, mais ce n’était pas facile à vivre. On passait notre temps à faire des prières, parfois même jusqu’à 30 par jour… Il n’y avait pas d’électricité, encore moins d’eau. Nous ne mangions que du manioc. Êtes-vous restés à Kisangani ? Avec mes parents, mes frères et mes sœurs, nous avons décidé de rejoindre la commune de Tshopo pour retrouver d’autres membres de la famille. On s’est dit qu’il était préférable de se séparer en différents groupes, pour éviter de mourir tous en même temps si une bombe tombait. Alors qu’on faisait une dernière prière, on en a vu d’autres qui traversaient aussi le pont au-dessus de la rivière tshopo pour prendre la direction de Buta. Ils nous ont dit que les Rwandais n’acceptaient plus de laisser traverser la population. Nous sommes donc restés là, au milieu des morts et des cris. C’était très dur. Nous sommes retournés chez nous, craignant pour notre vie. Le gouvernement a-t-il répondu aux nombreux plaidoyers des familles de victimes ? Le gouvernement n’a répondu à aucun de nos plaidoyers. Après la guerre, une commission devait recenser les victimes. Des jetons avaient même été remis aux familles qui avaient subi des préjudices physiques, mais jusqu’ici le gouvernement ne nous a versé aucun dollar. Il n’y a pas eu de réparation, et je pense que cette situation est loin d’être finie. Il y en a qui vivent toujours avec des traumatismes physiques, qui ont laissé leurs jambes ou vivent avec des éclats d’obus dans leur corps Certains ont tout perdu. Il y en a qui vivent toujours avec des traumatismes physiques, qui ont laissé leurs jambes ou vivent avec des éclats d’obus dans leur corps. D’autres ont perdu leurs maisons, et des habitations qui ont été épargnées sont toujours sans toit. C’est vraiment déplorable que les victimes n’aient toujours rien reçu de la part du gouvernement, mais aussi de l’Ouganda, qui devait payer les dommages causés. Dix-neuf ans après, Kisangani s’est-il remis de ce drame ? Kisangani n’a toujours pas été réparé. Je pense que le gouvernement en place doit voir comment gérer ce drame et indemniser toute la population touchée. À Kisangani, plus de 6 600 obus sont tombés durant ces six jours, et il y a eu plus de 3 000 blessés et 1 000 morts. >>> À LIRE – Rwanda : la visite de Félix Tshisekedi au mémorial de Gisozi est diversement appréciée en RDC Nous nous interrogeons quand nous voyons les autorités de la République s’incliner devant les mémoriaux dans d’autres pays. Pourquoi ne pas commencer par ici, en construire par exemple un monument en mémoire de toutes les victimes de cette guerre ? Ce que nous demandons, c’est que le gouvernement s’acquitte des réparations et construise un mémorial en hommage à toutes les victimes. Selon vous, quelle est la part de responsabilité du gouvernement ? Nous voulons tout d’abord qu’il nous donne des éclaircissements par rapport à l’arrêt de la Cour internationale de justice qui a condamné l’Ouganda à verser des réparations. Tshibangu Kalala était l’avocat de la République sur le dossier. Il avait été arrêté à Makala, mais juste après sa libération il avait déposé tous les documents, puis a été nommé ministre. Le gouvernement doit nous dire à quel niveau se trouve le dossier. Jean-Pierre Bemba, tout comme Azarias Ruberwa, en rébellion contre Laurent-Désiré Kabila, ont-ils une responsabilité dans ces événements ?
On ne change pas l’Histoire. Ce qui a été fait est fait, mais chacun, d’une façon ou d’une autre, devra un jour répondre de ses actes. Qu’attendez-vous des nouvelles autorités ? Nous voulons que le gouvernement puisse réparer et indemniser cette population victime de Kisangani, que les maisons anéanties soient reconstruites. Il y en a aussi qui n’ont plus de béquilles ou qui manquent de médicaments qu’ils doivent prendre pour soigner leurs séquelles. Il faut aussi que le gouvernement aide ces personnes psychologiquement.
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