[Tribune] Quand l’Afrique fourbit ses armes
Plusieurs pays d’Afrique subsaharienne ont entrepris de fabriquer eux-mêmes leur matériel militaire et de passer du statut d’importateur à celui de producteur. Un choix aux avantages multiples.
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Erwan de Cherisey
Auteur et consultant spécialisé dans les questions de défense.
Publié le 13 juin 2019 Lecture : 3 minutes.
On sait déjà que l’Afrique importe bien plus d’armes qu’elle n’en produit et que la plupart proviennent de Russie, des États-Unis, de France, d’Israël et de Chine – Pékin a augmenté ses capacités ces dernières années et use de son influence sur le continent pour approvisionner ses partenaires commerciaux en proposant des plans de financement particulièrement attractifs.
On sait aussi que, en dépit de cette prédominance des fournisseurs étrangers, l’Afrique du Sud s’est depuis longtemps dotée d’une solide industrie de défense. En revanche, il est souvent ignoré que, confrontés à différentes menaces sécuritaires, plusieurs autres pays situés au sud du Sahara ont entrepris de fabriquer eux-mêmes leur matériel militaire et de passer du statut d’importateur à celui de producteur.
L’exemple du Nigeria
Pour eux, le bénéfice est double. Cela leur permet de réduire leur dépendance à l’égard de fournisseurs étrangers, mais aussi de faire des économies de devises tout en développant localement leurs capacités industrielles. C’est le cas du Nigeria.
Au pouvoir depuis 2015 et soucieux d’améliorer l’autonomie stratégique de son pays, Muhammadu Buhari encourage la production d’armement. Plusieurs entreprises publiques sont historiquement actives : Defence Industries Corporation of Nigeria, qui fabrique des cartouches et des armes légères, Nigerian Naval Dockyard, qui construit des navires de patrouille et assure la maintenance de la flotte, ou encore l’Air Force Institute of Technology, qui a présenté, en 2018, un drone de surveillance aérienne conçu avec le portugais UAVision. En janvier dernier, une usine de production de véhicules militaires a par ailleurs été inaugurée dans l’État de Kaduna, dans le centre du pays, et un premier prototype, conçu et fabriqué localement, a été dévoilé le 27 avril.
>>> À LIRE – Un fabriquant d’armes allemand s’engage à ne plus exporter en Afrique
L’industrie de défense nigériane compte aussi des acteurs privés. Parmi eux, Proforce, qui a imposé ses blindés. Une vingtaine d’exemplaires seront bientôt livrés à l’armée, qui en a déjà plus d’une dizaine. D’autres, plus légers, ont été exportés vers le Rwanda en 2016. Le site de production de Proforce est situé dans l’État d’Ogun (Sud-Ouest). Il dispose d’une capacité d’assemblage simultanée de 40 véhicules, qui va être encore accrue. Une autre usine, à Port Harcourt, construit des embarcations rapides protégées.
Nouvelle dynamique
En Namibie également, à une échelle moindre, industriels publics et privés coexistent. La fabrication d’engins blindés est gérée par l’État tandis que Sat-Com, une compagnie privée, développe des systèmes de communication militaires depuis la fin des années 1990. À l’époque, Windhoek déployait des troupes en RD Congo en soutien à Laurent-Désiré Kabila.
En réaction, la Grande-Bretagne avait refusé de livrer un lot de radios destinées à l’armée. Afin de ne plus se retrouver dans cette situation, l’État namibien avait alors chargé Sat-Com de mettre au point une gamme de produits pour ses forces de défense. Deux décennies plus tard, l’entreprise équipe l’armée nationale et est active à l’exportation.
Les fournisseurs étrangers doivent s’adapter en proposant des schémas de compensation industrielle pouvant aller jusqu’à la livraison d’usines clés en main
Au Soudan ou en Éthiopie, deux pays qui ont de solides industries de défense, la situation est encore différente. Il y a près de trente ans, Khartoum a fondé la Military Industry Corporation (MIC), regroupant différentes sociétés déjà existantes. Certaines produisent des munitions et des armes légères, tandis que d’autres assemblent et entretiennent des blindés et des aéronefs pour le compte de l’armée. En tout état de cause, l’État y contrôle tout. C’est aussi le cas en Éthiopie, où Metals and Engineering Corporation (Metec) et ses filiales disposent de capacités similaires à celles de la MIC. Elles sont même en mesure d’approvisionner une clientèle étrangère.
>>> À LIRE – [Chronique] Ces armes qui tuent l’Afrique
Après des décennies de stagnation dans ce secteur, une nouvelle dynamique est à l’œuvre en Afrique subsaharienne, et de nouvelles évolutions sont encore attendues après l’annonce, en 2018, d’une joint-venture sino-angolaise pour la production d’armement. Les fournisseurs étrangers doivent pour leur part s’adapter en proposant des schémas de compensation industrielle pouvant aller jusqu’à la livraison d’usines clés en main. D’autant qu’à long terme, il est probable qu’un nombre croissant de pays subsahariens se positionnera à l’export, comme c’est déjà le cas pour l’Afrique du Sud ou la Namibie.
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