Khalifa : reconstitution d’un « flag »

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

Aéroport Houari-Boumedienne, 24 février. Il est 21 h 30 et Mustapha-Chaouch Mohamed Riyad est en retard. Un dîner qui a traîné en longueur… Chef d’escale de Khalifa Airways dans la capitale algérienne, il sait que son manque de ponctualité pourrait lui attirer des ennuis. Dans l’après-midi, Abdelmoumen Rafik Khalifa, le big boss, lui a téléphoné pour annoncer l’arrivée de Djaouida, son épouse, vers 22 heures. Venant du Bourget, la jeune femme a voyagé à bord d’un jet immatriculé N 1011 appartenant au groupe. Et l’appareil a atterri à l’heure prévue. Un peu fébrile, Mustapha-Chaouch rejoint la femme de son patron dans le salon VIP. Heureusement, les formalités policières et douanières n’ont posé aucun problème. C’est Fredj Seïf el-Islam, un agent de la Police de l’air et des frontières (PAF), qui s’en est occupé. Or Fredj connaît fort bien le milliardaire, à qui il rend, à l’occasion, de menus services… Accompagnant Mme Khalifa jusqu’à sa limousine, le policier et le chef d’escale croisent trois proches collaborateurs – et amis d’enfance – du patron : Djamel Guelimi, 38 ans, qui dirige Khalifa TV, la chaîne de télévision du groupe basée à Paris ; Sami Kassa, 39 ans, considéré comme le numéro deux (il représente le groupe dans la capitale française et dirige l’une de ses filiales, KRG Pharma) ; et Samir Khelif, 35 ans, chef d’escale de Khalifa Airways à Barcelone. Les trois hommes informent Mustapha-Chaouch qu’ils se rendent à Paris dans le jet que vient d’utiliser Djaouida et le chargent de s’occuper des formalités d’usage. Pas de bagage à enregistrer, les voyageurs n’ont que des mallettes qu’ils souhaitent conserver avec eux en cabine. Seïf el-Islam récupère leurs passeports pour les faire viser. Brusquement, tout dérape… Alors que les trois hommes n’ont pas encore rejoint la zone internationale, sept douaniers font irruption et demandent à fouiller les mallettes. Jackpot ! Celle de Kassa contient 579 990 euros en liquide, et celle de Guelimi 558 200 euros et seize chèques d’une valeur globale de 27 671 euros. Non libellés, les chèques proviennent de comptes domiciliés en France auprès de La Poste, du Crédit Lyonnais, de BNP Paribas et de divers autres établissements. Quant à Khelif, il transporte avec lui 810 440 euros et 88 000 dollars. C’est un flagrant délit en bonne et due forme. Un « flag », comme on dit dans les polars. Les trois hommes sont placés sous mandat de dépôt par le procureur du tribunal de Sidi M’hamed. Le lendemain, ils sont examinés par un médecin. Seul Kassa présente des troubles de santé : il a été victime, il y a quelques années, d’un infarctus. Cela ne le dispense pas de la détention provisoire. Très vite, la direction de Khalifa prend ses distances et jure que ses collaborateurs ont agi de leur propre initiative : les faits qui leur sont reprochés n’engagent pas, selon elle, la responsabilité du groupe. Le dossier est confié à Mohamed Guerouabi, juge d’instruction auprès de la troisième chambre, qui, le 27 février, interroge les trois hommes. La stratégie de défense de ces derniers ne tient manifestement pas la route. Ils soutiennent eux aussi que le délit n’a aucun rapport avec le groupe Khalifa. Qui sont ces trois personnages ? Après un parcours scolaire des plus modestes, Djamel Guelimi commence sa carrière, en 1988, à la Banque nationale d’Algérie (BNA), qu’il quitte deux ans plus tard pour rejoindre un cabinet de notaires, dans le quartier résidentiel de Cheraga, sur les hauteurs d’Alger. Au milieu des années quatre-vingt-dix, il se lance dans le commerce des médicaments et crée Central Pharm, une SARL dont il détient la majorité des parts. En 1997, son vieil ami « Moumen » Khalifa le charge, en échange d’une confortable rétribution, de préparer un dossier d’agrément en vue de la création d’un établissement bancaire, la future Khalifa Bank. Par la suite, le milliardaire lui confiera le poste d’inspecteur général auprès de Khalifa Airways, puis, en novembre 2002, la direction de KTV, en remplacement de l’homme d’affaires franco-libanais Raghed Chameh. Face au juge Guerouabi, Guelimi affirme tout ignorer des dispositions de la loi concernant le transfert des devises. Le magistrat n’en croit évidemment pas un mot. Il répète d’autre part que l’argent saisi lui appartient en propre. Il en aurait échangé une partie au marché noir, square Port-Saïd, à Alger (haut lieu de ce genre de trafic), auprès d’individus que, naturellement, il n’est pas en mesure d’identifier. Pour le reste, il aurait fait appel à un intermédiaire, un certain Yazid Meradef, bien connu des services de police. Guelimi affirme que cet argent était destiné à acheter un appartement, à Paris, et à régler les frais d’hospitalisation de ses parents. Selon une source proche de KTV, il devait plus vraisemblablement servir à payer une partie des salaires des employés de la chaîne, à régler le loyer du studio 107 (dont le propriétaire est TF1) et à acheter du matériel de montage. Les déclarations de Sami Kassa devant le juge d’instruction sont encore moins crédibles. L’ex-numéro deux du groupe affirme que les 579 900 euros qu’il a tenté de transférer étaient destinés à l’unité KRG Pharma de Vitrolles, dans le sud de la France, et que, bien sûr, le patron du groupe n’en était pas informé. Quant à Samir Khelif, il affirme avoir échangé clandestinement les euros et les dollars confisqués par les douaniers contre 90 millions de dinars hérités de son père, récemment décédé. Il a confié au juge Guerouabi son intention d’investir cette somme dans un projet hydraulique, en Espagne (Hydromex). Khelif est le seul des trois prévenus à reconnaître qu’il avait conscience de commettre un délit. Les trois hommes se sont vu refuser une demande de liberté provisoire. Cela ne les empêche pas de maintenir leur version des faits et de continuer à couvrir leur patron et ami. Celui-ci déférera-t-il à la prochaine convocation du juge Guerouabi ? Avant de quitter Londres, il aurait, dit-on, demandé des garanties au gouvernement. Mais est-il encore en position de les obtenir ?

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