Francophonie et métissage

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

La Tunisie, l’Afrique et enfin le monde : c’est ainsi que l’on pourrait, en condensant à l’extrême, résumer l’itinéraire du plus atypique des patrons de l’audiovisuel public français. Serge Adda, car c’est de lui qu’il s’agit, est, depuis octobre 2001, président de TV5 Monde, la télévision francophone internationale. Avec lui, la mutation de la chaîne, engagée par son prédécesseur Jean Stock, s’est poursuivie et accélérée.
À ses débuts, en 1984, TV5 s’apparentait à un improbable patchwork d’émissions piochées dans le catalogue des chaînes publiques francophones françaises, canadiennes, belge et suisse romande. Aujourd’hui, c’est une télévision à part entière, généraliste, mais avec pour colonne vertébrale l’information. Diffusée dans 135 millions de foyers, elle est regardée quotidiennement par plus de 11 millions de personnes. Et plus que « la chaîne de la France » – ce qui n’aurait d’ailleurs aucun sens puisque le Canada, la Belgique et la Suisse sont également actionnaires -, TV5 veut être « la chaîne de la diversité culturelle et du métissage ». Un peu à l’image de son patron.
Serge Adda, qui possède la double nationalité (française et tunisienne), est né à Tunis en 1948. Il est issu d’une famille militante et nationaliste. Son père, Georges, a pris une part active dans la lutte anticoloniale. Infatigable battant, il continue d’ailleurs à lutter pour la liberté d’expression et de réunion, et pour l’élargissement des prisonniers politiques. Économiste de formation et ancien du lycée Sadiki de Tunis, Serge a d’abord enseigné en France avant de devenir, dans les années quatre-vingt, consultant à Tunis et expert auprès de diverses organisations internationales, comme l’Unesco ou la Banque africaine de développement.
Intellectuel critique, il fut, pendant neuf ans, de 1985 à 1994, un des vice-présidents de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH). Un engagement qu’il assume sans s’en prévaloir outre mesure. Le passé est le passé, la page est tournée. Depuis son arrivée, en 1990, à la direction de Canal Horizons, la filiale africaine de la chaîne à péage française Canal+, Serge Adda est habité par le devoir de réserve. Homme de réseaux, fin négociateur, il s’est mué en vrai politique, ayant ses entrées à Paris, à Tunis et dans la plupart des capitales d’Afrique noire francophone.
L’aventure Canal Horizons a été la grande affaire de sa vie professionnelle. Première chaîne privée transnationale, la petite soeur africaine de Canal+ a démarré très fort, avant de connaître des difficultés qui ont finalement abouti, en juillet 2001, à un recentrage sur l’Afrique subsaharienne et à une fermeture des filiales maghrébines, lourdement déficitaires parce que massivement piratées.
Très apprécié de ses salariés, Adda – directeur général de la chaîne jusqu’en 1997, PDG ensuite – a bénéficié d’une totale liberté d’action. Horizons s’est lancée dans une stratégie de programmation de qualité et de diffusion tous azimuts, et a sans doute vécu au-dessus de ses moyens. Mais la chaîne, soutenue à bout de bras par son actionnaire principal, était portée par une belle ambition culturelle, qu’incarnait parfaitement Serge Adda. Elle a fait de l’audience sans faire de l’argent (pertes estimées : 400 millions de FF sur la période). En avril 2001, comme il avait envie « de passer à autre chose », il a abandonné la présidence d’Horizons pour postuler celle, vacante, de TV5. Au terme d’une campagne riche en rebondissements, l’outsider, qui a bénéficié du soutien de Catherine Tasca, ministre de la Communication (et ancienne présidente d’Horizons), a fini par l’emporter. Et se verrait bien reconduit à ce poste, son mandat arrivant à échéance en juin dernier : « J’ai l’impression d’être au coeur de plusieurs de mes passions. La technologie, l’information, la culture et la politique. »
Lecteur assidu de J.A.I., un hebdomadaire « incontournable », Serge Adda, invité à la conférence de rédaction, est venu en « ami de la maison » bien plus qu’en candidat à sa propre succession. D’ailleurs, précise-t-il, « j’ai compris que la meilleure façon de faire campagne, c’est souvent de ne pas la faire ». Amoureux du Sud, chaleureux, toujours ouvert au dialogue, le personnage est sincère et séduisant. Juif proche des Palestiniens, il a choisi son amie Leïla Chahid, la déléguée de la Palestine à Paris, comme marraine de l’un de ses deux enfants. Tout un symbole. Serge Adda a dédié sa vie à jeter des ponts entre les rives opposées, entre les continents, les cultures et les religions, et n’entend pas s’arrêter en si bon chemin…

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