Faux témoignages

Il est clair que le prétendu danger tenant à la poursuite, par Bagdad, de ses programmes d’armes de destruction massive était pure fiction.

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 5 minutes.

A quelques semaines des « preuves » avancées devant le Conseil de sécurité par Colin Powell et les services secrets britanniques sur le réarmement irakien, personne, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, n’a été inculpé, personne n’a démissionné. Un jour viendra pourtant où les faux témoignages servant de prétexte au déclenchement d’une guerre seront punis par le Tribunal pénal international (TPI). Au-delà de la performance universitaire de « l’excellent rapport » de l’étudiant américain rédigé en… 1992 et plagié par Londres, il va de soi, en effet, que le prétendu « danger » tenant à la poursuite, par l’Irak, de ses programmes d’armes de destruction massive est une pure fiction. Aucun militaire normalement constitué et correctement informé du dispositif de surveillance déployé depuis plus de dix ans par les Américains au-dessus de l’Irak ne saurait en effet soutenir que Saddam Hussein dispose aujourd’hui des moyens d’inquiéter sérieusement, ne fût-ce que ses voisins, par son armement non conventionnel.
Passons vite sur le nucléaire, dont Bush a d’ailleurs cessé d’agiter l’épouvantail : quelle que soit la technique employée, les installations nécessaires à la fabrication de matière fissile sont si lourdes qu’il est absolument exclu de les faire fonctionner clandestinement. Quant à l’épandage de produits radioactifs, plus faciles à se procurer, chacun sait que, malgré la mauvaise réputation qui lui est attachée, une « bombe sale » ne fait pas très mal puisqu’il est facile de détecter et d’évacuer la zone contaminée.
Saddam Hussein disposerait-il d’armes biologiques ou chimiques ? Les premières ne sont pas d’un maniement très aisé, et leurs effets, difficiles à gérer, constituent la meilleure raison de ne pas les utiliser : les « petites bêtes », qu’elles soient répandues dans l’air ou dans l’eau, sont en effet beaucoup plus fragiles qu’on le croit et, pour autant qu’elles aient résisté au stockage et au transport, particulièrement indociles. On sait où on les lâche, mais on ignore totalement, en revanche, dans quel périmètre elles effectueront leurs ravages.
Reste les armes chimiques, dont l’Irak a déjà prouvé qu’il savait se servir. Le gaz sarin a certes remporté un beau succès médiatique dans le métro de Tokyo, mais avec un nombre extrêmement limité de victimes, dans une formule de diffusion artisanale. Si l’on veut passer à la vitesse supérieure, comme ce fut le cas au Kurdistan, se repose la question de l’existence de vecteurs, qui, eux, sont aisément décelables compte tenu des contrôles exercés.
Bref, Bush a bel et bien été contraint de changer son laïus d’épaule : exit la menace des armes de destruction massive, il ne parle plus désormais que de la lutte contre la dictature… laquelle ne justifie pas le déclenchement unilatéral d’opérations militaires au regard de la Charte des Nations unies, mais c’est une autre histoire.
Alors, si la défense de l’Irak repose sur les forces militaires conventionnelles qu’on lui connaît, pourquoi un tel déploiement de la puissance américaine ? Une victoire ne pourrait-elle être obtenue à moindres frais, sans cet énorme effort militaire qui oblige les États-Unis à engager avec ses alliés – comme, par exemple, la Turquie – des négociations dont le coût politique et financier est loin de garantir le résultat ?
La réponse tient à ceci : la disproportion spectaculaire des forces fait partie de la campagne américaine. Les Américains ne devraient en effet pas rencontrer de problèmes sérieux dans le désert ou dans l’intérieur du pays. Là, la capacité de résistance des troupes irakiennes est bien faible. Les États-Unis ont prouvé, lors de la première guerre du Golfe, qu’ils avaient la possibilité de détruire plus de quatre mille chars qui constituent des cibles vulnérables. Mais quid d’une entrée revendiquée dans Bagdad ? Là, c’est une autre affaire. On se situe sur un terrain où le rapport des forces ne se traduit plus de la même manière, compte tenu de la capacité de nuisance des armements défensifs simples, maniables, qui sont de toute évidence à la disposition des unités d’élite de l’armée irakienne. Si une dizaine de milliers d’hommes – pas davantage, soit un peu plus de 10 % des effectifs de la Garde républicaine – étaient en état de combattre et résolus à vendre cher leur peau dans la capitale, les troupes américaines risqueraient de se trouver dans une situation difficile. Le commandement US serait alors confronté à une alternative : soit subir les très lourdes pertes que ne manqueraient pas de lui infliger des groupes d’hommes, armés de lance-roquettes ou d’armes antichars, cachés dans les maisons, voire dans les ruelles ou dans les ruines, soit se retirer et détruire la capitale sous un tapis de bombes, ce qui ne manquerait pas de jeter un doute sur la volonté affichée d’épargner les civils, avec toutes les conséquences politiques qui en découlent !
Donc, un seul espoir pour les Américains : vaincre sans – trop – combattre, surtout dans une grande ville dotée de moyens de résistance militaire, même en lambeaux. N’oublions pas que Sharon lui-même n’avait pas osé lancer Tsahal sur Beyrouth, et qu’il n’y a pas si longtemps Colin Powell déconseillait encore aux soldats américains d’entrer dans Bagdad ! Toute la question est donc celle de savoir si l’effet de dissuasion provoqué par l’énormité du dispositif militaire brandi par les Américains, l’impopularité du dictateur et de ses sbires y compris au sein de son armée, voire les résultats obtenus par les premières attaques ciblées contre le commandement politique et militaire irakien suffiront, ou non, à faire imploser toute forme de résistance, même résiduelle.
Si oui, la guerre sera « fraîche et joyeuse ». Si, en revanche, la réponse doit être négative, Bush, pour une fois, n’aura pas menti en déclarant que ce conflit risque d’être plus long et plus dur que prévu pour la première puissance militaire de la planète ! Pour mener à bien sa stratégie, le président américain dispose peut-être d’un allié inattendu : Saddam Hussein lui-même, dont la culture politique et militaire – contrairement à celle des Vietnamiens, dans le passé – ne semble pas privilégier la posture défensive, qui est cependant la seule qui lui donnerait quelque chance de s’accrocher. Les jours, peut-être les heures qui viennent, nous éclaireront sur ce point.

* Le général Étienne Copel, ancien sous-chef d’état-major de l’armée de l’air, est actuellement vice-président du Haut-Comité français pour la Défense civile et vice-président du conseil général de l’Aube. Il a notamment publié Vaincre la guerre et Le Nécessaire et l’Inacceptable, où il avait prévu, dix ans à l’avance, le risque majeur représenté par un avion de ligne détourné par des pilotes suicide.

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