Entre prières et lecture…

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

Au quartier résidentiel dakarois du Point E, à une ruelle du domicile privé du président Abdoulaye Wade, une villa comme les autres. D’apparence seulement. Sitôt le portail vert et blanc franchi, on se demande si on est dans une maison ou une bibliothèque publique. Des milliers d’ouvrages, sur des niveaux, reliés par un escalier en colimaçon, s’offrent au regard du visiteur. « Samba Diallo ne vit pas, il prie », avait dit Cheikh Hamidou Kane du héros de L’Aventure ambiguë. « Amadou Mahtar Mbow ne vit pas, il prie », pourrait-on dire de l’ancien directeur général de l’Unesco. Ainsi vous accueille-t-il en s’excusant de vous avoir fait attendre, le temps de s’acquitter de sa troisième prière du jour. L’oeil se promène le long des murs ornés de quelques tableaux. Sur une table, les derniers ouvrages lus – ou en train de l’être – par le maître de maison. Certains sont d’ailleurs encore ouverts : Histoire des Indes de Bartolomé de Las Casas, Panorama de l’histoire mondiale : de la conquête du feu à la révolution informatique, de Jean Suret-Canale, mais aussi De mémoire d’éléphant, d’Hervé Bourges.
Le personnel domestique se fait courtois et disert sur les centres d’intérêt de Mbow. En attendant que le patron n’apparaisse, du jus de bissap sénégalais et du thé marocain permet au visiteur de patienter. « Je vis entre Dakar et Casablanca, où j’assiste aux sessions de l’Académie royale du Maroc, dont je suis membre. » Notre hôte y donne des cours sur « les institutions du système des Nations unies et les grands problèmes mondiaux ». Un thème d’actualité s’il en est par ces temps de conflit en Irak. L’ancien directeur général de l’Unesco considère d’ailleurs que le combat que l’Amérique a mené contre lui, à l’époque, relevait de la volonté de ce pays d’asseoir un monde unipolaire. Il s’y était opposé, notamment avec sa théorie d’un Nouvel Ordre mondial de l’information et de la communication.
Le dernier mémoire d’un étudiant en journalisme dirigé par le Pr Mbow dans cet institut chérifien porte sur « une étude comparative du marketing des partis politiques dans les pays francophones d’Afrique occidentale. Cas de l’Adéma (Mali), PS et PDS (Sénégal), PDCI et FPI (Côte d’Ivoire) ». Cette Académie de soixante membres, créée en 1981 par le roi Hassan II et composée pour moitié de Marocains et pour moitié d’étrangers, a compté (ou compte encore) en son sein d’illustres personnalités. Dont l’ancien président Léopold Sédar Senghor, le cardinal Bernardin Gantin, au nom du Vatican, l’académicien français Maurice Druon, le doyen Georges Vedel, le commandant Jacques Cousteau, Henry Kissinger et d’autres brillants intellectuels arabes…
Mais l’amour que Mbow nourrit pour le Maroc n’est pas seulement le fruit de son attachement aux activités qu’il y exerce aujourd’hui. Il remonte à beaucoup plus loin. « C’est le premier pays que j’ai connu vraiment après le Sénégal », explique-t-il non sans nostalgie. « À 19 ans, jeune soldat mobilisé pour la Seconde Guerre mondiale, j’y suis passé avant de rejoindre Saint-Malo [France]. Après le conflit, sur le chemin du retour, j’y suis resté quelques semaines. Assez pour en tomber amoureux. » Élu à l’Unesco en 1974, Mbow s’occupera de la sauvegarde de Fès. De là datent ses liens d’amitié avec le roi Hassan II.
Aujourd’hui, l’ancien ministre sénégalais de l’Éducation nationale, puis de la Culture ou encore de la Jeunesse et des Sports, passe le temps, « en lisant et en marchant ». Le sport pédestre étant le secret de la forme de cet octogénaire, qui a fêté ses 82 ans le 20 mars. « Je me contrains à faire deux ou trois heures de marche par jour. » Sinon, ce natif de Bellinaybé Mbayla, un village connu dans le Fouta (nord du Sénégal) pour l’enseignement coranique qu’on y dispense, se consacre à la prière et fustige ceux qui « diabolisent l’islam sans le connaître. À commencer par certains musulmans qui ne contribuent pas à faire sa promotion ». Sinon, « j’essaie de me tenir au courant des grands problèmes du monde », s’excuse-t-il presque. En décembre 2002, lors de la session de l’Académie royale, Mbow a été chargé de faire une communication sur « les guerres civiles régionales et leurs conséquences sur les populations de l’Afrique subsaharienne ».
Lorsqu’il séjourne à Dakar, Mbow aime à confronter ses idées avec celles de ses trois enfants, deux filles (un médecin et une archéologue) et un garçon, économiste de son état. Et, parfois, ne manque pas ainsi d’évoquer avec eux cette Amérique déjà impériale de Reagan, dont il partageait si peu les convictions sur le rôle de l’Unesco qu’il a fini par quitter l’institution onusienne en 1987.

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