En marge de la mondialisation
Si le continent peut se féliciter d’avoir été épargné par le brutal ralentissement des investissements directs étrangers dans le monde, il ne bénéficie que d’une infime partie des flux financiers internationaux.
Marginalisation. Le terme revient sans cesse dès qu’il s’agit de qualifier la place de l’Afrique dans une économie de plus en plus mondialisée. Les rapports se succèdent, les verdicts se ressemblent : le continent ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan du commerce international. Idem pour les flux d’investissements directs étrangers (IDE), qui ont crû de façon exponentielle durant les années quatre-vingt-dix, atteignant près de 1 500 milliards de dollars en 2000 (1 400 milliards d’euros)… dont seulement 9 milliards en Afrique.
Paradoxalement, l’année 2001 fut meilleure pour le continent, les entrées d’IDE passant à 17 milliards de dollars alors qu’elles plafonnaient à 735 milliards au niveau mondial. Dont, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), 205 milliards à destination des pays en développement. Ces données ne sauraient pourtant faire illusion. Cette croissance remarquable – près de 90 % en un an – n’est que le fruit de deux opérations financières d’envergure réalisées en Afrique du Sud et au Maroc : l’achat par la firme Anglo-American, basée à Londres, de parts de la multinationale du diamant De Beers, et l’acquisition de 35 % de Maroc Télécom par la française Vivendi Universal. Ces transactions exceptionnelles mises de côté, on ne peut pas dire que la région se soit montrée particulièrement plus attractive que par le passé.
Pis : sur le long terme, la part de l’Afrique dans les IDE mondiaux a été divisée par trois depuis 1970, passant de 6 % à un peu plus de 2 %. D’abord parce que la faiblesse des économies du continent n’incite pas les investisseurs internationaux à y prendre des risques, ensuite, et surtout, parce que les autres régions en développement ont, elles, connu une explosion des IDE au cours de la dernière décennie. L’Asie du Sud-Est a ainsi polarisé l’attention du fait des performances économiques remarquables de pays comme la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines ou l’Indonésie. Et depuis quelques années, c’est au portillon de la République populaire de Chine que les investisseurs de toutes origines se bousculent.
Reste que si la part de l’Afrique a baissé au niveau mondial, le volume des IDE y a régulièrement augmenté dans les années quatre-vingt-dix. Certes, le continent partait de très bas, la majorité des pays africains n’ayant libéralisé leur code des investissements qu’à partir de la fin des années quatre-vingt, sous l’impulsion de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Mais pour mieux apprécier les résultats de l’Afrique, il est impératif de rapporter le montant des IDE à la taille économique du pays d’accueil, à son Produit intérieur brut ou à l’investissement total réalisé sur une année. Sur ce dernier critère, vingt-deux États africains ont fait mieux que la moyenne des pays en développement pendant la période 1998-2000. Dans de petits pays comme la Gambie, le Lesotho, la Guinée-Bissau, la Zambie ou le Togo, les IDE comptaient pour plus de 20 % du total. Des montants modestes ne reflètent donc pas toujours le rôle important joué par les investissements étrangers dans des économies caractérisées par un faible niveau de financement par le secteur privé local.
La répartition des IDE sur le continent n’a que peu évolué entre 2000 et 2001 : 31 % en Afrique du Nord (contre 33 % l’année précédente) et 69 % au sud du Sahara. Le Maghreb, en forte hausse en volume, a reçu 5,3 milliards de dollars en 2001, dont 2,7 milliards pour le seul Maroc. Suivent l’Algérie et le Soudan – le gaz et le pétrole y sont pour beaucoup -, puis l’Égypte et la Tunisie, dont les performances ne sont pas liées à des opérations exceptionnelles comme c’est le cas pour le royaume chérifien. L’augmentation enregistrée en Afrique subsaharienne est encore plus spectaculaire : 11,8 milliards de dollars en 2001, contre 5,8 en 2000. Mais ce record est plus que largement redevable au géant sud-africain, qui totalise à lui seul 6,6 milliards de dollars (0,9 en 2000). En deuxième et troisième positions, avec un peu plus de 1 milliard de dollars chacun, deux habitués du peloton de tête grâce à leur pétrole : l’Angola et le Nigeria. Notons que si la Côte d’Ivoire s’est maintenue à une honorable quatrième place en 2001 (avec 258 millions de dollars), la crise profonde que traverse le pays n’engage pas à l’optimisme pour l’avenir.
Les perspectives sont plus encourageantes en ce qui concerne le Mozambique, l’Ouganda et la Tanzanie. Ces pays, classés parmi les moins avancés (PMA), ont reçu des flux croissants d’IDE tout au long de la décennie quatre-vingt-dix, et ce malgré un poids économique faible. Les deux premiers reviennent, il est vrai, d’une situation catastrophique pour cause de guerre civile, et tout y était à reconstruire. Mais ils ont aussi engagé des réformes économiques plus profondes que d’autres pays de la région. Et profité de la bienveillance des institutions financières internationales, ce qui rassure généralement les investisseurs privés étrangers. Ils ont, en outre, tenté de diversifier leur production. La proximité de la puissance économique sud-africaine est, à cet égard, un autre facteur prépondérant. D’autres pays subsahariens politiquement stables comme le Bénin, le Sénégal ou le Mali, sont dans le ventre mou des bénéficiaires des IDE. Les flux y croissent régulièrement depuis une dizaine d’années sans que l’on puisse pour autant parler de rush des investisseurs.
Si la stabilité politique est une condition nécessaire, elle demeure largement insuffisante. Conscients de cela, les pays africains ont mis en place des agences de promotion des investissements ayant pour mission de vanter les atouts de leur territoire aux investisseurs potentiels. C’est, par exemple, la tâche qui incombe à Hugues Zonnahoué, directeur du Centre de promotion des investissements du Bénin. Outre la « révolution démocratique » de 1990, Zonnahoué compte sur la « bonne tenue des fondamentaux de l’économie béninoise » pour séduire des investisseurs qui, pour l’heure, n’affluent pas. « Le taux de croissance a atteint 6 % en 2002, l’inflation a été contenue à 2,3 % et le taux d’investissement public et privé est passé de 14,2 %, en 1990, à 20,5 % en 2002 », avance-t-il. Les IDE y ont atteint 131 millions de dollars en 2001, mais cette performance était exceptionnelle, comme le confie le directeur de l’agence béninoise. Des investisseurs chinois avaient lancé deux grands projets d’usines textiles. La transformation du coton, dont le Bénin est le deuxième producteur ouest-africain derrière le Mali, est en effet un domaine prometteur compte tenu du rôle de transit joué par le Bénin.
Côté investisseurs, on retrouve sans grande surprise trois pays en tête du classement, qui fournissent la majorité des flux sur le continent : les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. Les multinationales américaines sont plus que jamais présentes dans le secteur énergétique, et plus spécifiquement dans les hydrocarbures (60 % des investissements en Afrique depuis 1996) au sud du Sahara, du Tchad à l’Angola en passant par la Guinée équatoriale et bientôt São Tomé e Príncipe. Et réinvestissent en Afrique du Sud, depuis la fin de l’apartheid, dans les banques, les services et l’industrie. La France demeure quant à elle très présente en Afrique francophone. Le dernier rapport du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) recensait 2 330 filiales d’entreprises françaises sur le continent fin 2001, dont 1 520 au sud du Sahara. Une progression de 24 % qui touche essentiellement le pourtour méditerranéen (+ 6 % seulement pour les pays subsahariens).
Enfin, la distribution sectorielle des IDE ne révèle pas de changement majeur dans l’orientation des économies africaines. Le secteur primaire continuait à représenter 55 % des IDE cumulés pendant la période 1996-2000, avec une nette domination du pétrole, mais aussi des produits miniers comme le diamant. La part des services a atteint 25 % des flux cumulés, le secteur bancaire et financier, le transport, le commerce et les services publics étant les plus courus. Corollaire de la diminution du nombre de programmes de privatisations sur le continent, la progression de ces flux semble atteindre ses limites. Le secteur manufacturier reste le parent pauvre des investissements en Afrique. Si des développements intéressants sont à noter, par exemple dans l’agroalimentaire, les IDE dans l’électronique, les composants automobiles ou même le textile et l’habillement demeurent insignifiants. C’est dans ces secteurs que l’arrivée de firmes étrangères, avec leurs technologies avancées et un accès privilégié aux marchés internationaux, peuvent stimuler les économies d’accueil. Mais en ce domaine, les pays africains ont encore fort à faire.
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