Drôle de coalition

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 5 minutes.

Ils nous en menaçaient depuis des mois, nous l’avions prévue et avons craint de ne pouvoir l’éviter. Elle est là : une nouvelle guerre du Golfe. La première, qui s’est achevée il y a douze ans, était justifiée, dotée d’une indiscutable légalité internationale. Quoi qu’en disent George W. Bush, ses manipulateurs et ses porte-propagande, celle-ci est illégale et injustifiable. C’est purement et simplement une guerre (anglo-israélo-) américaine pour le contrôle du Moyen-Orient
Lundi 17 mars 2003, Washington, 20 heures. George Bush (fils) s’adresse à son pays et au monde, et une fois de plus il parle de l’Irak et de Saddam Hussein, sur lesquels il a fait une vraie « fixation ». C’est l’ultimatum qui précède la guerre et l’annonce : « Saddam Hussein et ses fils doivent quitter l’Irak dans les quarante-huit heures. Leur refus aboutira à un conflit militaire qui commencera au moment que nous choisirons… »
J’ai eu beau chercher, il n’y a aucun précédent : la plus grande puissance du monde (et les deux ou trois gouvernements qui ont accepté de s’aligner sur sa position) somment un dictateur et ses enfants (mâles) de boucler leurs valises et de s’exiler, faute de quoi ils envahiront leur pays, l’occuperont et y installeront le gouvernement de leur choix.
Notez que George Bush (fils), qui n’est pas réputé macho, ne parle pas des trois filles de Saddam Hussein et n’exige pas qu’elles quittent l’Irak. Il ne songe pas non plus à faire juger par un tribunal international ce dictateur dont il pense et dit beaucoup de mal. Il trouve plus simple de donner l’ordre de le tuer.
Où est la cohérence, où est le respect des lois de la guerre ?
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Je ne savais pas, et vous non plus je suppose, que cette guerre « pour libérer l’Irak de son dictateur » (et de ses deux enfants mâles) était l’oeuvre d’une vaste coalition de quarante-cinq pays. Nous croyions naïvement que les États-Unis n’avaient réussi à embrigader dans leur entreprise guerrière que la Grande-Bretagne de Tony Blair et l’Espagne de José María Aznar, complétées par l’Australie et la Bulgarie. Nous les avions vus peu convaincants et isolés, incapables de faire voter par le Conseil de sécurité la résolution qui aurait légitimé leur équipée.
« Pas du tout », nous dit Colin Powell, secrétaire d’État américain qui s’est résigné à jouer (mal) le rôle de propagandiste de la maison Bush, « la coalition de ceux qui veulent (« the willings ») la guerre pour écarter Saddam Hussein compte quarante-cinq pays… »
Le département d’État américain n’est, toutefois, en mesure d’en nommer que trente. Pourquoi donc ?
Parce que quinze pays sont… des alliés clandestins !
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La liste des trente qui osent avouer qu’ils en sont est intéressante à regarder : la plupart d’entre eux ont fait ce choix par crainte des États-Unis ou pour un intérêt que ces derniers peuvent satisfaire.
Par ordre alphabétique, comme les donne le département d’État : Afghanistan, Albanie, Australie, Azerbaïdjan, Bulgarie, Colombie, Corée du Sud, Danemark, Érythrée, Espagne, Estonie, Éthiopie, Géorgie, Grande-Bretagne, Hongrie, Italie, Japon, Lettonie, Lituanie, Macédoine, Nicaragua, Ouzbékistan, Pays-Bas, Philippines, Pologne, République tchèque, Roumanie, Salvador, Slovaquie et Turquie.
Notez-le : la Turquie est, déjà, officiellement dans la liste des coalisés, avant même que son Parlement n’en décide
Quinze autres pays ont accepté de soutenir les États-Unis, mais en secret.
Qui sont-ils ? Cherchant à identifier ces « clandestins », nous découvrons un vrai « pot aux roses ».
Le premier clandestin est… Israël. Vérifiez : contrairement à la Turquie, cet autre allié permanent des États-Unis n’est pas sur la liste des trente ! C’est pourtant le seul pays hors États-Unis dont l’opinion publique et le gouvernement soutiennent la guerre, celui en faveur duquel elle se fait, dont on pense en tout cas, à tort ou à raison, qu’il va en être le grand bénéficiaire.
Israël est donc le premier des alliés clandestins des États-Unis. On croit deviner pourquoi : pour permettre à d’autres clandestins de cohabiter sans inconvénient avec lui.
Car les autres, tenez-vous bien, sont presque tous arabes : plus du tiers des vingt-deux membres de la Ligue arabe sont – en « secret » et à côté d’Israël – dans la coalition contre un autre pays de cette même Ligue !
Vous ne le savez peut-être pas, mais l’armée américaine a, dans chacun des pays suivants, plusieurs milliers de soldats qui participent à la guerre contre l’Irak :
– Arabie saoudite : 8 000 hommes ; Bahreïn : 5 000 ; Djibouti : 1 600 ; Émirats arabes unis : 1 200 ; Jordanie : 2 000 ; Oman : 3 000 ; Qatar : 8 000.
Une trentaine de milliers de soldats américains dans sept pays de la Ligue arabe, avec des centres de commandement ou de repos et de soins, des services de renseignement, des aérodromes d’où partent les avions qui participent à la guerre…
Sans compter le Koweït, occupé par 122 000 soldats américains et 26 000 britanniques. Mais lui, au moins, a une justification et ne tente pas de cacher ce qu’il fait : victime de Saddam Hussein en 1990, il considère qu’il a une dette à l’égard des États-Unis qui l’ont libéré en 1991 des griffes du dictateur irakien – et met ouvertement son territoire à la disposition de l’Amérique.
Tous les autres font de leur mieux pour masquer leur connivence avec l’administration américaine et l’incapacité dans laquelle se trouvent leurs dirigeants actuels, le plus souvent des roitelets, de résister de quelque manière que ce soit aux États-Unis.
Leurs pères ont été agents ou laquais de la Grande-Bretagne, eux sont agents ou laquais des États-Unis auxquels, par habitude ou faiblesse, ils ne refusent rien et ne conçoivent même pas qu’ils puissent le faire
Ce faisant, et jusque dans leurs propos hypocrites, ils se situent au niveau où les place Oussama Ben Laden, sont l’illustration vivante de son discours et alimentent son combat.
Ils donnent également raison à Benyamin Ben Eliezer, ancien ministre israélien de la Défense. Ce connaisseur de cette partie du monde arabe – et des États-Unis – a écrit tout récemment : « En vérité, les Américains ne recherchent pas de partenaires dans le monde arabe. Washington a besoin d’une approbation silencieuse, d’accords conclus sous la table. »
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En ce 22 mars 2003, le Moyen-Orient, théâtre de la guerre anglo-israélo-américaine contre l’Irak de Saddam Hussein pour le remodeler et y greffer la démocratie made in USA, présente donc l’intéressante configuration décrite ci-dessus.
C’est à partir de cette configuration et en tandem avec le général Ariel Sharon, dont on connaît le dessein politique, que les conservateurs américains au pouvoir à Washington disent qu’ils vont façonner le Moyen-Orient de demain.
Pauvre Moyen-Orient : il n’est pas sorti de l’auberge…

(Voir pp. 55-78, nos 24 pages spéciales consacrées à « La guerre américaine pour le contrôle du Moyen-Orient ».)

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