Cherche « casus belli » désespérément

Exaspérés de voir leur projet de guerre contrarié, les faucons de l’administration américaine sont en quête d’un prétexte – quitte à le fabriquer – pour déclencher les hostilités contre Bagdad.

Publié le 25 février 2003 Lecture : 6 minutes.

Bien décidés à écraser l’Irak, les faucons de Washington cherchent un casus belli. Soutenus par leurs alliés israéliens, ils espèrent en trouver ou en fabriquer un dans les deux ou trois semaines, à temps pour justifier une attaque massive au début de mars, lorsque la pleine lune facilitera les bombardements de nuit. C’est ce qui se dit à Washington et à Tel-Aviv, où les faucons s’exaspèrent de voir leurs plans de guerre contrés par les inspecteurs de l’ONU et par le Conseil de sécurité, et tout particulièrement par le président Jacques Chirac, devenu le grand méchant loup.
Quel prétexte peut-on trouver ? Washington tiendrait déjà au chaud un transfuge irakien dont les « révélations » sur l’arsenal interdit de l’Irak justifieraient une attaque. Selon d’autres sources, les services de renseignements américains et israéliens chercheraient à infiltrer l’équipe d’inspecteurs de Hans Blix, peut-être dans l’espoir de « planquer » en Irak des preuves de l’existence d’armes interdites. Certains services de contre-espionnage européens n’excluent pas la possibilité d’une attaque terroriste plus ou moins organisée quelque part dans le monde qui pourrait être « reliée » à l’Irak. Le 19 février, le quotidien britannique The Independent écrivait que Washington et Londres envisageaient un raid « orchestré » dans l’océan Indien contre trois « mystérieux navires », soupçonnés de transporter des armes irakiennes de destruction massive, afin de « prouver » que Saddam Hussein viole les résolutions de l’ONU.
Toutes ces rumeurs soulignent la détermination des néo-impérialistes et des extrémistes sionistes qui ont la haute main sur la politique étrangère américaine à faire la guerre à l’Irak. Pour eux, le problème des armes irakiennes n’a été qu’une façade. Ils entretiennent un fantasme géopolitique selon lequel la destruction du régime de Saddam Hussein serait le préalable à la destruction de tous leurs ennemis arabes et islamiques, et à un « remodelage » du Moyen-Orient conforme aux voeux des États-Unis et d’Israël.
Ces fauteurs de guerre regrettent que le président George W. Bush se soit laissé persuader, l’an dernier, par le Premier ministre britannique Tony Blair et le secrétaire d’État Colin Powell de demander l’autorisation du Conseil de sécurité pour agir. La conséquence a été la résolution 1441, qui a permis le retour des inspecteurs en Irak. Les faucons considèrent qu’il s’agit là d’un piège qui limite la liberté d’action américaine. Néanmoins, ils reconnaissent que Blair, l’indispensable allié européen, a besoin d’une seconde résolution s’il veut calmer la révolte antiguerre au sein du Parti travailliste et persuader l’opinion britannique qu’il faut faire la guerre. La participation de Blair est cruciale : s’il décidait que le coût politique est trop élevé, notamment pour sa propre carrière, Bush pourrait être obligé de marquer une pause.
La diplomatie américaine ne chômera pas dans les prochaines semaines. En plus de trouver le casus belli, elle devra :
– Obtenir une majorité au Conseil de sécurité pour la nouvelle résolution américano-britannique. Pas facile. Pour l’instant, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Espagne et la Bulgarie font face à un bloc qui comprend la France, l’Allemagne, la Russie, la Chine et la Syrie. Washington multiplie les pressions sur les six autres membres hésitants du Conseil (qui en compte quinze) : le Mexique, la Guinée, le Cameroun, le Pakistan, l’Angola et le Chili. Les Américains peuvent réussir à « tordre le bras » au Pakistan, à l’Angola et au Chili (voir l’article d’Alain Faujas pp. 42-44), mais il leur manquera encore deux voix pour avoir la majorité.
– Autre priorité : écarter la possibilité, et même la probabilité, d’un veto français. Les Américains ont compris que Chirac ne renoncera pas facilement à sa conviction que la guerre ne peut être que le dernier recours : ils essaieront donc d’affaiblir la position française en persuadant les Russes de changer de camp. La décision du président Vladimir Poutine de soutenir la France et l’Allemagne a grandement renforcé le camp antiguerre. Sa défection fragiliserait la France et l’Allemagne. On murmure qu’en privé les États-Unis proposent à la Russie une part des dépouilles de la campagne irakienne sous la forme d’un accès aux gisements de pétrole irakiens et d’une garantie que les 8 milliards de dollars que l’Irak doit à la Russie seront remboursés.
– Troisième manoeuvre américaine : obliger Hans Blix, le chef des inspecteurs, à s’acquitter immédiatement d’un certain nombre de tâches, telles que détruire la totalité du stock irakien de moteurs de fusées Al-Samoud II (dont la portée excéderait les 150 km autorisés) ; procéder à des interrogatoires beaucoup plus nombreux de scientifiques irakiens, sans surveillance et sans enregistrements ; faire un relevé précis des stocks d’anthrax, de gaz asphyxiant VX et des autres armes chimiques ; organiser un survol systématique du territoire irakien par les U2 américains et les Mirage IV français.
Toute hésitation irakienne à satisfaire l’une de ces demandes déclencherait immédiatement la guerre. En revanche – et c’est le dilemme qui se pose à Saddam -, si l’Irak se pliait à une surveillance aussi inquisitrice, il compromettrait gravement ses possibilités de se défendre si, comme il est plus que probable, les États-Unis attaquaient malgré tout.
Avant même que le premier coup de feu ne soit tiré, le coût de la guerre pour les alliances régionales des États-Unis et pour les finances américaines s’envole. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud el-Fayçal, a déclaré à la BBC qu’une attaque américaine contre l’Irak sans autorisation de l’ONU serait un acte d’agression. Une manière de faire savoir que les Américains ne pourraient pas utiliser les bases saoudiennes. Le fossé se creuse entre Washington et Riyad, et menace une alliance vieille de plus d’un demi-siècle. Autre allié de l’Amérique, la Turquie fait monter les enchères (40 milliards de dollars selon certaines sources) pour l’accès à ses bases, et l’ouverture d’un second front face à Saddam risque d’être compromise.
Israël est le seul pays de la région qui pousse à la guerre : l’offensive contre l’Irak est la pierre angulaire de la stratégie du Premier ministre Ariel Sharon, qui veut réduire les Palestiniens au silence et confirmer l’hégémonie régionale de l’État hébreu. Et Israël demande 12 milliards de dollars d’aide américaine supplémentaire pour l’aider à surmonter ses difficultés économiques.
Au-delà du grand jeu diplomatique actuel se posent un certain nombre de problèmes de fond. Au Moyen-Orient, la question est de savoir si les pays arabes peuvent accéder à une réelle indépendance ou s’ils doivent se soumettre au diktat néocolonial américano-israélien. Pour les Palestiniens, aujourd’hui menacés d’extinction nationale, le problème est à la fois tragique et immédiat.
En Europe aussi, l’affrontement est lourd de conséquences. Qui dominera dans la future Union européenne ? Les puissances fondatrices, à savoir la France et l’Allemagne ? Ou bien l’Amérique et son allié britannique dicteront-ils leur loi ? Il n’est pas douteux qu’en tentant de freiner la dérive vers la guerre, Chirac cherche aussi à contenir la puissance américaine, qu’il juge irresponsable et dangereuse. Sur ce point, il se fait l’interprète de beaucoup d’Européens qui craignent que les États-Unis, sous l’influence d’Israël et d’une poignée d’extrémistes de droite, ne s’engagent aveuglément dans une politique qui déstabilisera un Moyen-Orient déjà fragile, provoquera encore plus de terrorisme et suscitera ce « choc des civilisations » dont on a tant parlé. L’Amérique elle-même pourrait se préparer un nouveau Vietnam.
Jusqu’à quand les inspections peuvent-elles durer avant qu’on en tire le bilan ? La Russie de Poutine peut-elle être « achetée » par les États-Unis ? Les agents américains et israéliens peuvent-ils faire un coup qui serve de prétexte à la guerre ? Surtout, Saddam Hussein est-il prêt à tout sacrifier, et ce sacrifice même peut-il sauver son pays ? Ce qui est sûr, c’est que plus la frustration des faucons est grande, plus ils sont dangereux.

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