C’est dans la poche !

Le Livre de poche est apparu en France en 1953. Le succès de la formule n’avait rien d’évident à l’époque.

Publié le 25 février 2003 Lecture : 4 minutes.

Le livre au format poche, c’est une affaire de chiffres autant que de mots. En témoignent l’étonnant succès du Livre de poche(*) et de ses mensurations légendaires (11 x 17,8 cm) : 14 000 titres publiés depuis la sortie du désormais célèbre Koenigsmark, de Pierre Benoît, le 9 février 1953 ; 130 000 exemplaires diffusés chaque jour ; plus de 4 millions d’exemplaires vendus pour le titre phare de la collection, Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier, suivi de près par Hervé Bazin et son Vipère au poing, et un milliard de volumes commercialisés en tout juste cinquante ans d’existence.
Le Poche, c’est donc aussi une histoire de légendes. Il en est une en particulier, qui a la peau dure et que Guillemette de Sairigné conte dans son Aventure du Livre de poche, parue en 1983. Henri Filipacchi, son fondateur, aurait eu l’idée du petit format dans l’immédiat après-guerre en voyant un GI sortir d’une librairie française et déchirer son livre en deux pour en glisser chacun des morceaux dans les poches de son blouson. L’authenticité de l’anecdote est discutable, mais peu importe : la légende du Livre de poche est en marche.
Le concept, pourtant, n’est pas nouveau : le Poche s’inscrit dans une longue filiation. Il y avait déjà eu les « Penguin Books », lancés par Allen Lane en Angleterre en 1935, puis les « Paperbacks » de Simon et Schuster, apparus aux États-Unis en 1939 (231 millions d’exemplaires vendus dès 1951), et la collection « Marabout », née en Belgique en 1949, avec le très percutant « Il en a marre… elle est à bout… vite un Marabout » pour slogan. En France, « Le Masque » (Librairie des Champs-Élysées, 1927) précède la collection « Que sais-je ? » des Presses universitaires de France (PUF), née en 1941, et la « Série noire » de Gallimard voit le jour en 1945. Toutes – lointaines – héritières du XVIIe siècle et de sa fameuse « Bibliothèque bleue » brochée, des « livres portatifs » du XVIIIe et de la « Bibliothèque des chemins de fer » d’Hachette au XIXe. Le nom « Livre de poche » lui-même fut racheté à Taillandier qui l’utilisait depuis 1905 pour une collection de romans populaires. Mais là où Filipacchi innove, c’est quand il décide d’appliquer la recette du livre à petit prix aux grands titres. Il leur applique les techniques d’impression et de diffusion de la littérature de colportage : les cahiers ne sont plus cousus, mais collés, la couverture, colorée et pelliculée, devient résistante, et l’impression se fait désormais sur des rotatives. Une décision motivée par la volonté d’Hachette de moderniser la collection « Pourpre », exploitée avec Calmann-Lévy pour la rediffusion de textes à succès.
Le succès de la collection n’avait pourtant rien d’évident. D’ailleurs Hachette, dont Filipacchi est alors le secrétaire général, hésite avant de se lancer. Les premiers exemplaires sont imprimés en septembre 1952, mais il faut attendre encore six mois pour que sorte enfin, à un prix quatre fois moindre que celui des collections traditionnelles (2 francs), Koenigsmark, immédiatement suivi par Les Clés du royaume, de A.J. Cronin, et Vol de nuit, de Saint-Exupéry.
Tout n’est pas gagné : en 1964, dans Le Mercure de France, l’historien et critique d’art Hubert Damisch s’en prend violemment au projet éditorial du Poche, vecteur « d’une culture de poche ». Il n’est, écrit-il, qu’un avatar « des impératifs de profit et de rentabilité et crée une illusion culturelle », « une fausse abondance » ; la littérature y est proposée « au consommateur dans les mêmes conditions et suivant les mêmes méthodes qu’un quelconque paquet de détersif ». Certains, comme André Pieyre de Mandiargues, Julien Gracq ou Henri Michaux refuseront même que leur oeuvre soit publiée en petit format. Position dont Jean Giono prend, lui, le contre-pied en faisant du Poche le « plus puissant instrument de culture de la civilisation moderne ». Et les lecteurs, qui s’arrachent les 60 000 exemplaires auxquels sont tirés les premiers titres, lui donnent raison. Du coup, le Poche se diversifie en sous-séries (Littérature générale, Classiques, Pratiques, Policiers…), et passe de quatre livraisons mensuelles à douze, une prouesse rendue possible par la diversité d’un catalogue qui puise dans les fonds de Grasset, Fayard, Denoël, Albin Michel ou Gallimard, qui possède à lui seul un tiers des titres publiés.
Depuis, l’aventure Filipacchi a fait des émules. En 1958, « J’ai lu » (Flammarion) s’empare de la littérature dite populaire et, en 1962, Plon crée « 10/18 » et les Presses de la cité accouchent des « Presses-Pocket », devenues « Pocket » en 1993. En 1972, Gallimard décide de faire cavalier seul et crée sa propre collection, plus chic : « Folio ». Rien ne semble plus pouvoir arrêter le livre au format poche : l’histoire de mots est devenue histoire de gros sous. Avec un chiffre d’affaires de 280 millions d’euros pour plus de trois cents collections, le format poche représente 20 % du marché de l’édition française : un livre vendu sur trois est un Poche.
Pour les éditeurs évidemment, l’enjeu est essentiel, soit parce qu’ils cèdent leurs droits, soit parce qu’ils développent leur propre collection. Pour les auteurs, aussi. Certes, la réédition n’est pas une garantie de succès et un livre qui s’est mal vendu en grand format a peu de chances de bien se vendre en Poche. Mais elle demeure un gage de prestige (au moins commercial) et de longévité : sur les 14 000 titres parus chez Le Livre de poche, 3 500 sont toujours disponibles. Chez Folio, ce sont 4 400 des 4 700 références qui sont toujours exploitées.

* Exposition « Le Livre de poche a 50 ans », du 5 mars au 5 mai 2003, Centre Pompidou (Paris).

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