Cabale ou scandale ?

Vedette de la chanson internationalement reconnue, Youssou Ndour est au centre d’une sombre histoire de gros sous et de piratage qui attire les limiers du fisc. Au grand dam de ses admirateurs.

Publié le 25 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Une star de la musique au faîte de sa gloire, un ancien bijoutier (Cheikh Tall Dioum) qui s’est forgé une réputation sulfureuse de golden boy et un opérateur économique, Bara Tall, qui fait, entre autres, dans le BTP à Dakar, qui se disputent le contrôle de Com 7, un groupe de presse (une radio, un hebdomadaire, deux quotidiens et une imprimerie)… Il n’en fallait pas plus pour que, depuis le 16 janvier dernier, le nom de Youssou Ndour revienne régulièrement à la une des journaux de Dakar. Pas à la rubrique « People », mais à celle des faits divers.
L’affaire remonte au 15 janvier dernier, quand des accusations de piratage sont portées contre le chanteur, propriétaire d’une maison de production, Jololi. Les commentaires ne se sont pas encore tus que, le 10 février, Youssou et Cheikh Tall Dioum se voient interdits d’accès aux locaux du groupe de presse. Des gros bras y sont postés, avec pour consigne de les éconduire. Motif invoqué par le personnel : ils ne sont plus, tous les deux, actionnaires dans l’affaire, ayant vendu leurs parts.
Quatre jours plus tard, le 14 février, le fisc s’en mêle. Il demande à la direction de Com 7 de lui fournir les documents attestant des transactions entre les associés, pour pouvoir fixer les impôts et taxes de la star, l’une des plus brillantes réussites du show-business africain. L’une des plus prospères aussi pour se lancer dans le monde des affaires. Loin de la scène, où il a depuis longtemps fini de prouver son talent. Disque d’or, avec « Seven Seconds », en duo avec Nenneh Cherry, auteur avec Axelle Red de l’hymne officiel de la Coupe du monde de football, en 1998, « fabricant » de tubes avec les plus grands noms de la world music, comme Peter Gabriel, You (ainsi l’appellent ses compatriotes) exporte le Sénégal partout dans le monde.
À l’arrivée, outre une success story de dimension planétaire, une confortable surface financière pour lui. L’enfant de la Médina de Dakar se fait une place dans la jet-set, vit dans une villa aux Almadies, quartier huppé de la capitale sénégalaise, possède un pied-à-terre à Londres et à Paris. Et vérifie désormais ce qu’il chantait à ses débuts : « Xalis Neexna » (« c’est bon d’avoir de l’argent », en wolof). Cet argent qu’il amasse au fur et à mesure qu’il empile les morceaux à succès, Youssou Ndour va commencer à le faire fructifier, autrement que par la seule qualité de sa voix et le savoir-faire de son groupe Le Super Étoile de Dakar. L’argent appelle l’argent avait dit, avant lui, un autre chanteur africain. L’artiste entreprend, une fois descendu des planches, de troquer ses tenues de scène contre le costume-cravate de l’homme d’affaires (voir p. 30).
« L’étau se referme autour de Youssou Ndour », « Le fisc sur les traces de Youssou Ndour », « Youssou Ndour accusé de piraterie »… Ces titres, parmi d’autres, ont noirci les journaux sénégalais dès le 16 janvier dernier et continué de fleurir les semaines suivantes, fournissant force détails sur You homme d’affaires. Pour monter le groupe Com 7, le chanteur s’est allié à deux opérateurs économiques. L’un, Bara Tall, gère la filiale dakaroise de Jean Lefèvre, spécialisée dans le BTP. Alors que le second, Cheikh Oumar Dioum alias Cheikh Tall Dioum, s’est fait une réputation d’homme d’affaires controversé, aux méthodes louches. Après avoir commencé par une bijouterie, il s’est retrouvé ces dernières années à la tête de nombreuses sociétés, dont une brasserie, qui a fermé au bout de quelques mois, et un groupe de presse qui a, lui aussi, mis la clé sous le paillasson après une courte vie.
Dioum est resté plusieurs mois en prison, courant 2001, à la suite d’une sombre histoire de fraude douanière, dont il n’est sorti qu’après le dépôt d’une forte caution et l’intervention de Youssou Ndour. Le chanteur et son allié sont aujourd’hui accusés par leur troisième partenaire dans Com 7, mais aussi par le personnel de vouloir y rester après avoir vendu leurs actions. Leurs pourfendeurs expliquent que, dans un premier temps, le musicien avait vendu ses parts à Dioum, pour un montant de 150 millions de F CFA.
Pour sa défense, la vedette de la chanson explique qu’elle a bien reçu 150 millions de Dioum, mais que cette somme représente seulement une partie d’une dette de 214 millions de francs CFA qu’il lui avait consentie. Et que le fisc n’avait rien à y voir.
Qui dit vrai ? Par une lettre en date du 14 février dernier, adressée au directeur général du groupe Com 7, la Direction des impôts demande que lui soient communiqués « copie du contrat de cession de créances entre Youssou Ndour et Cheikh Tall Dioum, copie de l’acte de nantissement et tout autre document relatif à la transaction, pour permettre de contrôler et de déterminer l’assiette des impôts, droits et taxes de monsieur Ndour ». L’affaire prend ainsi une nouvelle tournure : d’une banale querelle d’associés, elle passe à un déballage public des affaires fiscales de l’une des plus grosses pointures de la musique africaine.
Une affaire dont You se serait bien passé. Car, quinze jours plus tôt, le 15 janvier, la star était accusée de piratage. Le Bureau sénégalais des droits d’auteur (BSDA) avait saisi des cassettes, DVD et VCD (Video Compact-Disc) piratés. Dans le lot des cassettes, les siennes propres et celles d’autres artistes, tous produits par Jololi, sa maison de production. Une structure qu’il a créée, pour, disait-il, venir en aide aux jeunes artistes, sans moyens, pour leur éviter les arnaques des caïmans du milieu de la production. Noble ambition, surtout pour quelqu’un qui en connaît un bout pour y avoir franchi les multiples obstacles et déjoué nombre de pièges par son talent artistique autant que par son professionnalisme. Mais voilà que des accusations se font jour contre lui de la part de ceux-là mêmes qu’il entendait protéger des producteurs. Et le chanteur de se défendre en faisant appel au bon sens : « C’est faux de parler de piraterie. Comment puis-je me pirater moi-même ? »
L’artiste serait-il victime d’une cabale, comme le prétendent certains ? Paierait-il ses amitiés politiques – supposées ou réelles – avec l’ancien pouvoir ? Une seule certitude : c’est grâce à l’intervention du ministre de la Culture Abdou Fall, mais aussi au concours d’autres bonnes volontés, que les choses se sont arrangées entre Youssou Ndour et le BSDA. De leur côté, les artistes qui ont porté plainte contre lui commencent à faire machine arrière. Mais le ver est dans le fruit. Et revient en mémoire la querelle qui a opposé le chanteur à certains de ses collaborateurs. Ces derniers, des auteurs et des arrangeurs, lui ont reproché, notamment pour les chansons « New Africa », « Xarit » et « Solidarité », d’avoir procédé à une double déclaration. Dans la première, enregistrée au Sénégal, leurs rôles étaient mentionnés, et ils percevaient leurs royalties. Alors que dans la seconde, destinée au marché étranger, ils étaient omis, ce qui leur faisait perdre leurs droits. C’est devant le BSDA que l’affaire a été réglée. Et depuis, l’enfant de la Médina se plie à l’obligation de faire une seule déclaration.
Piraterie par-ci, embrouille financière par-là, omissions coupables ailleurs… Les griefs sont nombreux, portés contre Youssou homme d’affaires, qui pourraient froisser l’habit de lumière de l’homme du Thiossane – « tradition », en wolof.

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