Algérie : sale temps pour la presse indépendante ?
Reporters sans frontières s’interroge sur le blocage du premier site d’information francophone algérien, TSA-Algérie. En coulisses, nombre de journalistes s’inquiètent du tournant répressif de ces dernières semaines.
Le couperet est tombé à 17h30, ce mercredi 12 juin. Depuis, impossible pour le lecteur algérien d’accéder au premier site d’information du pays, TSA-Algérie, fort de 20 millions de visites par mois depuis le début de la révolution. « Le blocage concerne les adresses IP du site qui le rendent inaccessible pour les lecteurs basés sur le territoire national », précise le communiqué publié en ligne mercredi.
La déclinaison arabophone du média, TSA عربي, est elle aussi inaccessible depuis le sol algérien. « Nous n’avons eu aucune explication », confie à Jeune Afrique Lounès Guemache, directeur de publication de TSA-Algérie, dont le site avait déjà été victime d’un blocage similaire en octobre 2017. Dans son communiqué, le média n’hésite d’ailleurs pas à faire le parallèle entre les deux périodes : « Cet acte de censure (…) démontre que les anciennes pratiques des autorités n’ont pas cessé. »
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« Le fait que TSA soit bloqué sur le seul territoire algérien laisse à penser à une censure de nature politique, vu son ton critique envers les autorités », s’est offusqué Souhaieb Khayati, directeur du bureau Afrique du Nord de Reporters sans frontières (RSF), qui réclame des explications aux autorités algériennes et rappelle que le pays est classé 141e mondial au Classement mondial de la liberté de la Presse 2019.
« C’est la presse francophone qui est ciblée »
« En dépit de la démission d’Abdelaziz Bouteflika et de la mise au ban de ceux qui l’entouraient, en dépit des aspirations à plus de liberté, de démocratie et d’ouverture, les vieux réflexes ont décidément la vie dure », écrivait de son côté Marwane Ben Yahmed, directeur de la publication de Jeune Afrique, après la censure du numéro 3045 (19-25 mai) qui comportait une enquête consacrée à Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée. Le 9 avril, c’est le directeur de l’Agence France-Presse (AFP) à Alger, Aymeric Vincenot, qui était expulsé d’Algérie. Sur place, sous couvert d’anonymat, on s’inquiète d’un tournant répressif à venir.
Ce n’est pas une poursuite judiciaire, ni un placement en détention provisoire, ni un emprisonnement qui va me faire peur
« C’est la presse francophone qui est ciblée », croit savoir une source interne à Ennahar, première chaîne d’information algérienne dont le directeur, Anis Rahmani, est lui sous le coup d’une Interdiction de sortie du territoire national (ISTN). « Une façon de s’assurer de sa loyauté », décrypte un patron de presse. Le journaliste d’El Watan Meziane Abane a quant à lui été convoqué par la police judiciaire de Bouira. Plusieurs fois arrêtés par le passé, le même a prévenu sur les réseaux sociaux : « Ce n’est pas une poursuite judiciaire, ni un placement en détention provisoire, ni un emprisonnement qui va me faire peur. »
Annonceurs et patrons de presse incarcérés
« Les hommes d’affaires visés par des enquêtes sont tous des gros annonceurs de la presse privée , note un reporter. Et Issad Rebrab, Ali Haddad et Mahieddine Tahkout sont patrons de médias. » Les trois sont aujourd’hui incarcérés à la prison d’El Harrach. Le premier, PDG de Cevital, est le propriétaire du journal francophone Liberté. Mahieddine Tahkout a racheté en 2015 la chaîne de télévision Numidia TV.
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Quant à Ali Haddad, PDG de l’ETRHB, il est à la tête du groupe Media Temps, qui regroupe Al Waqt (presse arabophone), Le Temps (presse francophone) et les deux chaînes de télévision Dzair TV et Dzair News. Cette dernière, en proie à des difficultés financières, cessera d’émettre à partir du 25 juin. Le groupe pourrait aussi céder l’un de ses deux titres de presse écrite.
« C’est sûr que ça ne se bouscule plus pour acheter des espaces publicitaires », confesse à Jeune Afrique une source interne au groupe Media Temps. La discrétion est redevenue une vertu depuis que les arrestations de dirigeants se sont multipliées. « L’activité tourne au ralenti, nous avons deux fois moins de commandes pour des spots que l’an dernier à la même période », abonde un directeur d’agence de communication.
Monopole de la publicité publique
D’aucuns font le lien avec la loi de finances 2019 qui prévoyait une disposition – finalement abandonnée – pour plafonner le montant des dépenses de communication déductibles du calcul de l’impôt. « Cela trahissait déjà une volonté de contrôle plus accru des médias indépendants », explique un patron de presse.
Lorsque les investissements privés se contractent, c’est une agence d’État, la très stratégique Anep, qui fait la pluie et le beau temps dans le ciel des médias
Car en Algérie, une agence d’État, la très stratégique Anep, détient le monopole de la manne publicitaire publique. Lorsque les investissements privés se contractent, c’est elle qui fait la pluie et le beau temps dans le ciel des médias. Installé le 27 mai à la tête de cette agence, le nouveau PDG Mounir Hemaïdia a insisté sur l’impératif de « faire prévaloir l’intérêt suprême du pays, en œuvrant à diffuser un discours médiatique responsable et engagé, à même de concourir à la préservation de la sécurité et de la stabilité du pays. »
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