Bras de fer au congo-brazza

Un permis d’exploration retiré, un visa d’exploitation bloqué. Ces deux mesures prises par le gouvernement congolais aggravent encore le contentieux avec TotalFinaElf.

Publié le 25 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Le torchon brûle entre le gouvernement congolais et TotalFinaElf. Depuis le démarrage de l’activité d’Elf-Aquitaine (absorbé par TotalFina en 1999) au Congo-Brazzaville en 1970, jamais l’État et ses partenaires français n’ont été confrontés à des désaccords aussi vifs.
Le 31 décembre 2002 expirait le permis de recherche du bloc Haute Mer, au large de Pointe-Noire, accordé au pétrolier français en 1973 et renouvelé à plusieurs reprises. Le 9 janvier, le gouvernement congolais a pris, au sortir d’une séance du Conseil des ministres, deux importantes décisions qui provoquent un conflit : d’une part, retirer au groupe français le permis d’exploration Haute Mer et, d’autre part, bloquer le visa d’exploitation des gisements de Moho-Bilondo (trouvé en 1995 et riche d’une réserve de 400 millions de barils) et de Nsoko, découverts sur ce même bloc Haute Mer. Raison du clash : l’État réclame au pétrolier 500 millions de dollars au titre de droits non perçus au cours de diverses transactions. Une somme que ce dernier conteste lui devoir.
Depuis octobre 1997, à la faveur de son retour au pouvoir, le président Denis Sassou Nguesso a posé le problème de la répartition des revenus du pétrole, estimant léonins les contrats qui lient son pays à la société française. Quoique troisième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne en 2001 (au coude à coude avec le Gabon), derrière le Nigeria et l’Angola, le Congo est l’un des pays du continent qui tire le moins de bénéfices de son pétrole. Avec une production d’environ 290 000 barils/jour, il a perçu, selon la Banque mondiale, 1,5 milliard de dollars de revenus pétroliers en 2000. À titre de comparaison, l’Angola, dont la production est trois fois supérieure, a reçu quatre fois plus, soit plus de 6 milliards de dollars au cours de la même année.
Le gouvernement congolais impute ce manque à gagner au système inéquitable de répartition de l’argent du pétrole. Celui-ci repose sur le partage de la production depuis le 21 avril 1994, date à laquelle le régime de concession a été abandonné. Un dispositif selon lequel 50 % des revenus du pétrole extrait sont affectés au cost oil (somme destinée au remboursement des coûts de recherche et de production investis par l’opérateur), donc à TotalFinaElf, sans que ce montant ait une incidence sur la part que touche la compagnie sur le reste de la production (voir ci-dessus).
La partie congolaise trouve le pourcentage de ce cost oil, fixé à 50 % des revenus du pétrole au moment où le baril coûtait 10 dollars, trop élevé maintenant que le baril vaut plus de 30 dollars. « TotalFinaElf s’arrange toujours, contre toute logique économique, pour atteindre le plafond du cost oil, s’indigne un conseiller du président congolais. Vous imaginez les sommes importantes que nous perdons après déduction de celui-ci et que notre partenaire nous prend frauduleusement. »
Le Congo serait soumis au cost oil le plus élevé du continent, qui lui fait percevoir, depuis les premières évaluations en 1997, une rente inférieure à celle que lui assurait le régime de la concession. À la fin 2001, le gouvernement a estimé ce manque à gagner à 300 millions de dollars. La correspondance qu’il a adressée en janvier 2001 à son partenaire sur ce sujet n’a pas réglé le problème.
Le second point de discorde est relatif à la vente, par le régime du président Pascal Lissouba en 1994, des 25 % que détenait l’État dans Elf Congo pour 50 millions de dollars. L’équipe au pouvoir à l’heure actuelle dénonce ce « bradage » et réclame un dédommagement égal à la différence entre le coût réel de ses parts en 1994 et le prix dérisoire auquel elles ont été cédées. Le groupe français lui oppose les droits acquis et l’irréversibilité d’une transaction commerciale déjà conclue et exécutée.
Plus grave, l’État reproche à son partenaire de nombreuses malversations. Et l’accuse d’avoir abusé de sa confiance et de la faiblesse de ses moyens de contrôle pour le léser dans la gestion des frais financiers. Consentis pour faire face à certaines exigences de la production (travaux de réparation sur la barge, par exemple), ceux-ci sont payés à parts égales par les deux parties. Le gouvernement se plaint que les déductions faites par le pétrolier sur ses droits amène le Congo à payer des taux d’intérêt deux ou trois fois plus élevés pour la même opération. Ce que conteste TotalFinaElf, également épinglé au niveau de sa gestion de la provision pour abandon de site. Exigée par le protocole de Kyoto, relatif à l’environnement, cette somme doit servir à démonter les installations après le dessèchement d’un champ. Or le ministre congolais des Hydrocarbures, Jean-Baptiste Tati-Loutard, reproche au groupe français de jouir seul des intérêts que cette provision déposée génère.
Autre sujet de dispute, la dette de 200 millions de dollars du Congo rachetée par le pétrolier qui, par un système de calcul peu commun, réclame pas moins de 280 millions de dollars à l’État. Et bloque, pour se faire rembourser cette dette contestée, une partie du pétrole et de l’argent qui revient normalement au pays.
Mais le point le plus brûlant du contentieux est, sans nul doute, relatif au gisement Nkossa, le plus important du pays, découvert en 1984 sur le bloc Haute Mer et entré en production en 1996. Ses réserves sont estimées à 500 millions de barils et sa production atteint 80 000 barils/jour. La partie congolaise reproche ouvertement au groupe d’avoir démesurément gonflé le coût de la barge (celui-ci a été fixé à près de 2 milliards de dollars). Si bien qu’en dépit de la richesse du site les autorités estiment que son exploitation ne leur rapporte pratiquement rien. Un audit du cabinet américain Gafney & Cline est en cours pour déterminer le coût réel de la barge litigieuse.
Dans l’attente des résultats, le gouvernement congolais maintient la pression sur la compagnie après lui avoir refusé un permis d’exportation. Il la soumet, depuis janvier, à un sévère contrôle fiscal. Une mesure qui apparaît comme une sanction après que le comité directeur de TotalFinaElf est revenu sur les propositions de règlement que le groupe avait acceptées au cours d’une rencontre entre les deux parties en novembre 2002.
Au siège de la compagnie, on dédramatise tout en rejetant en bloc les accusations portées à son encontre. « Le Congo se caractérise par des coûts d’exploitation élevés. Le pétrole est en offshore profond, les investissements pour l’extraire sont lourds, la géologie peu clémente et la fiscalité pesante. Ce pays a peu d’avenir. La production y diminue de 13 % par an, et un baril sous la barre des 17 dollars génère des pertes », indique notre interlocuteur, qui requiert l’anonymat pour ne pas « gâter l’esprit des négociations en cours ».
De son côté, le Congo, qui n’exclut pas de recourir au besoin à un tribunal arbitral international, dit de plus en plus ouvertement envisager de traiter avec les Américains.

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