Bouleversement au sommet ?

Les nouveaux dirigeants ne tirent pas leur légitimité de la lutte révolutionnaire, mais de la réforme économique. Une première !

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 6 minutes.

Un nouveau président, un nouveau Premier ministre, un nouveau président du Parlement. La Chine, six mois après le XVIe congrès du Parti communiste, où avait déjà été « élu » un nouveau secrétaire général, a terminé, le 16 mars, lors de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire, le renouvellement total de son équipe dirigeante. Le plus étonnant est que ce changement à la tête du pays le plus peuplé et le plus dynamique de la planète – encore 8 % de croissance au premier trimestre 2003 par rapport à la même période de l’an dernier ! – ait suscité si peu de curiosité et si peu de commentaires : un événement qui n’a fait nulle part dans le monde, sauf évidemment à Pékin, la une de la presse. À tort ou à raison ?
À première vue, certes, rien de décisif ne s’est véritablement passé ces derniers jours. Les nouveaux maîtres de la Chine sont ceux-là mêmes qui avaient été choisis, dit-on à Pékin, par Deng Xiaoping peu avant sa mort pour succéder, le jour venu, à Jiang Zemin, secrétaire général du Parti et chef de l’État, Li Peng, président de l’Assemblée, et Zhu Rongji, chef du gouvernement. Le nouveau numéro un de l’ex-empire du Milieu, Hu Jintao, placé à la tête du Parti depuis octobre dernier et désormais président de la Chine, était déjà le numéro deux officieux sinon officiel du régime depuis début 2000. Il est « préparé » depuis cette date par tout l’appareil d’État à occuper ses nouvelles fonctions. On lui a même organisé, en 2002, plusieurs voyages officiels aux États-Unis ou en Europe pour qu’il prenne contact avec les grands de ce monde. Et si le nouveau président du Parlement, Wu Bangguo, ne paraît pas devoir jouer un rôle majeur comme le fit longtemps son prédécesseur, surnommé le « Boucher » de Tienanmen pour avoir dirigé la répression contre le mouvement démocratique de 1989, le nouveau Premier ministre, Wen Jiabao, jusqu’ici vice-Premier ministre chargé des Finances, de l’Agriculture et de quelques autres dossiers sensibles, n’est autre que le principal adjoint de Zhu Rongji. Il ne fait donc que remplacer son dynamique « patron ».
Cette impression de simple continuité est encore renforcée par le refus de Jiang Zemin de renoncer à tout pouvoir. Conservant, comme Deng Xiaoping à la fin de son existence, le poste de président de la Commission militaire centrale, soit, de facto, le rôle de chef des armées, il entend manifestement conserver une grande influence, voire rester l’homme providentiel en cas de grave crise. De plus, la grande évolution idéologique du Parti, celle qui a permis d’intégrer au sein de celui-ci les « forces vives » du pays, autrement dit les entrepreneurs capitalistes, s’est déjà produite à l’occasion du XVIe congrès lorsqu’on a adopté comme nouvelle ligne directrice « la Théorie des trois représentativités » chère à l’ancien président. La marge de manoeuvre de la nouvelle équipe pour imprimer sa marque au régime est donc, à court terme, fort réduite.
Le profil très semblable et très peu flamboyant des deux nouveaux leaders officiels du pays incite par ailleurs, lui aussi, à pronostiquer une succession sans heurts et sans surprise. Hu Jintao comme Wen Jiabao sont des technocrates et des apparatchiks qui n’ont jamais rué dans les brancards et qui ont su négocier au mieux tous les tournants idéologiques du Parti. Des hommes de consensus plus que des ambitieux volontaristes comme leurs prédécesseurs.
Ingénieurs de formation (le premier spécialisé en électricité, le second en géologie), âgés l’un et l’autre de 60 ans, sans grand charisme, ils ont commencé leur rapide ascension politique à Pékin au début des années quatre-vingt, après un long séjour en province dans le Gansu, consécutif à la Révolution culturelle qu’ils ont habilement réussi à traverser sans dommage. D’abord considérés comme des proches du réformateur Hua Yaobang, Premier ministre de 1982 à 1986 lors des premiers temps de la conversion du pays à l’économie de marché, ils ont ensuite épousé sans difficulté la cause des conservateurs au lendemain de la crise de 1989. On avait certes vu Wen Jiabao aux côtés du très « libéral » Zhao Ziyang quand ce dernier avait tenté de négocier avec les étudiants sur la place Tienanmen avant l’issue sanglante de leur mouvement de protestation. Mais le futur chef du gouvernement, considéré tout au plus comme légèrement plus décontracté que le nouveau président, était immédiatement après rentré dans le rang.
On risquerait pourtant de se tromper si l’on pensait que les changements de personne à la tête de la Chine n’ont aucune importance et n’annoncent rien de nouveau. Les nouveaux dirigeants, aussi ternes soient-ils apparemment, ne sont pas du tout des clones, en plus fades, des précédents. Ces membres de la « quatrième génération » (sous-entendu : depuis Mao) sont les premiers véritables dirigeants du pays qui tirent leur légitimité non pas de la lutte révolutionnaire qui a permis l’établissement du régime communiste il y a un demi-siècle, mais de la réforme économique qui a lancé le pays sur la voie de la croissance par tous les moyens, y compris par la conversion progressive au marché puis plus radicalement au capitalisme.
Même s’ils restent un temps sous tutelle, il serait donc étonnant qu’ils ne donnent pas une nouvelle impulsion à la stratégie de développement accéléré de la Chine. Avec des inflexions dictées soit par leur personnalité propre – on les dit tous deux proches du terrain et donc plus sensibles que leurs prédécesseurs aux problèmes sociaux et au sort des oubliés du miracle économique -, soit par la nécessité : il est clair que la croissance devra rapidement trouver sa source principale dans la consommation locale si elle doit se poursuivre au même rythme et si on veut éviter que l’aggravation des inégalités de revenus devienne insoutenable.
Peut-on aussi s’attendre à une rénovation progressive de la vie politique en Chine sous le règne des nouveaux dirigeants ? La plupart des connaisseurs du pays sont très sceptiques quand on leur demande si l’accélération probable de la conversion à la modernité économique entraînera à court terme en effort de démocratisation du régime. Même si, l’expérience le prouve, on est parfois surpris par le comportement des politiques une fois qu’ils ont acquis le pouvoir, rien, assurément, ne laisse présager que le Parti – bien entendu unique – abandonnera un jour prochain une bonne partie de ses prérogatives. L’interdiction provisoire, au moment même où se réunissait l’Assemblée, d’un hebdomadaire de Canton qui avait osé publier une tribune d’un ancien secrétaire de Mao, Li Rui, appelant à des réformes politiques, est significative. Sachant, il est vrai, que, d’aucuns l’ont remarqué, un tel texte n’aurait sans doute même pas pu être imprimé jusqu’à des temps récents. Qu’une très relative liberté d’expression acquière petit à petit droit de cité dans le pays, malgré la perpétuation d’un régime autoritaire, est donc le maximum qu’on puisse aujourd’hui espérer raisonnablement. Sauf bonne surprise.
Le fait que le passage de témoin entre la génération des « vieux » septuagénaires et celle des « jeunes » sexagénaires se soit effectué selon le scénario prévu de longue date n’est pas non plus le signe du gel des luttes pour le pouvoir à Pékin. Tant que les deux nouveaux maîtres du pays n’auront pas fait la preuve de leur capacité à s’émanciper, notamment en cas de crise économique ou politique, leur légitimité restera fragile. Or ils ne sont pas sans concurrents.
En particulier, il se dit beaucoup à Pékin, dans les coulisses du régime, que le véritable nouvel homme fort de la Chine a pour nom Zeng Qinhong, officiellement simple numéro cinq de la direction depuis octobre dernier. Fils de deux héros de la Révolution, responsable de l’école centrale du Parti, « élu » à la vice-présidence de l’État ces derniers jours, ce protégé de Jiang Zemin, lui aussi un jeune selon les canons locaux (63 ans), est considéré comme un redoutable manoeuvrier. Gare au premier faux-pas de Hu Jintao !

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