Bangui mis à sac

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

Bangui est dévasté, mais, à l’aéroport, on ne s’en aperçoit pas encore. Grâce aux militaires français, la tour de contrôle est opérationnelle. Et la piste est sécurisée par un détachement de la Cemac. Sous le petit soleil du matin, on céderait presque à l’optimiste. À l’entrée du camp Mpoko, la base militaire toute proche, quelques soldats français, torse nu et en short, devisent tranquillement. Le coup d’État du général François Bozizé remonte à moins de soixante-douze heures.
Chez les hommes de la Cemac, l’ambiance est nettement plus électrique. Les contingents gabonais, congolais et équatoguinéen sont équipés de neuf, des chaussures au casque rembourré, en passant par le gilet pare-balles. Mais les visages sont fermés, les regards las. En ce matin du 18 mars, trois membres d’une ONG et un aventurier écossais un peu vantard tentent de soutirer des informations aux officiers et évaluent les risques qu’ils courent à rentrer chez eux. À l’évidence, ils ont peur. Réfugiés depuis trois jours à l’ambassade de France, ils ignorent si leur maison est encore debout. Bangui n’était déjà pas en très bon état avant le putsch : rues défoncées, immeubles en ruines… Aujourd’hui, c’est un désastre.
En route vers le fleuve, nous traversons la ville. Peu de monde dans les rues. Les Banguissois regardent passer le convoi avec inquiétude. On croise des pick-up armés de mitrailleuses. Des hommes de Bozizé… Beaucoup sont des goranes, des Tchadiens reconnaissables à leur chèche orange ou jaune enroulé sur la tête à la façon des Sahariens.
Premier bâtiment détruit ces jours-ci, le siège du parti de l’ancien président Patassé n’a même plus de toit. Le ministère de l’Éducation a été consciencieusement pillé et l’aile droite a brûlé jusqu’au faîte. Les ordures s’amoncellent. Sur la place des Martyrs, le jet d’eau fonctionne toujours, mais l’obélisque est couvert de graffitis. Presque tous les magasins de biens d’équipement, d’outillage, d’électroménager ou de téléphonie ont été attaqués : portes défoncées, fenêtres arrachées… Beaucoup ont été incendiés. Selon la rumeur, le butin a été emporté vers le Nord – le Tchad -, mais personne ne se risque à le confirmer. Plusieurs banques ont été pillées. Même le commissariat de police, une jolie maison de style colonial, a brûlé.
Quant à la résidence de la famille Patassé, elle paraît avoir été dévastée par un cyclone. Seuls le petit jardin et le perron coquet sont intacts. Dans la cuisine, une canalisation est coupée : tout le rez-de-chaussée baigne dans trois centimètres d’eau qui ruisselle jusque dans la cour. Les placards et le frigo sont ouverts, les provisions pourrissent par terre, mais la vaisselle a été emportée. Sur un coin de table, une liste simple : « chaussures, sacs, vêtements, objets de toilette… » La famille s’apprêtait-elle à partir ? Dans le petit bureau, les dossiers de l’agronome qu’est aussi Ange-Félix Patassé jonchent le sol. On marche sur un monceau de paperasses : chemises cartonnées, photos, lettres…..
À première vue, les dossiers politiques, s’il y en avait, ont disparu. Dans le salon, tous les meubles sont brisés et les deux lustres de cristal ont volé en éclats. Plus un tableau au mur, même le papier peint a été arraché. Seuls rescapés du naufrage, les deux gros fauteuils, vaguement kitsch avec leurs dorures et leurs motifs floraux, de l’ex-couple présidentiel. Tout ce qui avait un peu de valeur a été volé. Dans la cour, deux ou trois bouteilles cassées. Elles contenaient des serpents marinant dans l’alcool. « C’est un truc d’ici pour rendre les hommes virils », commente, hilare, notre chauffeur, un jeune soldat de Bozizé.
À l’extérieur, le mur d’enceinte porte de nombreux impacts de balles. On s’est beaucoup battu ici… Mais le cadavre qui pourrit, les yeux ouverts et recouvert d’une nuée de mouches, à deux pas de l’entrée, n’est pas celui d’un Centrafricain. « C’est un Banyamulengue », assure le chauffeur. C’est ainsi que la troupe appelle les soldats de Jean-Pierre Bemba. « Et l’autre, là, c’est un pillard. » L’odeur est insupportable.
À deux reprises, notre voiture a dû faire un écart pour éviter des cadavres ensanglantés. « Des voleurs », encore. « Ce sont des inconditionnels de Patassé, des hommes d’Abdoulaye Miskine et du capitaine français Paul Barril [au service de l’ancien président] qui veulent déstabiliser le nouveau pouvoir. Nous n’avions pas prévu ça », commente le général Bozizé.
Pauvres ou riches, Noirs ou Blancs, la population est terrorisée. « Ceux qui résistent sont aussitôt abattus », affirme-t-on. Les ambassades étrangères sont fermées, sauf celle de France. Les résidents du quartier chic expliquent que des groupes de soldats sont venus, armes à la main, réquisitionner leurs véhicules. « Ils neutralisent les gardiens, entrent et prennent l’argent, les bijoux et tous les objets de valeur », explique une habitante. De nombreux Blancs ne se déplacent plus qu’escortés par un garde armé et évitent les quartiers Nord, réputés favorables aux partisans de Bozizé. Ils n’osent pas non plus s’approcher du camp Béal, l’ancien ministère de la Défense, où le nouveau chef de l’État a pris ses quartiers.
Le 18 mars, deux hommes armés et vêtus de vestes de treillis ont été surpris en train de piller un magasin. Au camp Béal, ils sont conduits devant le responsable de la sécurité de Bozizé, un gorane à chèche orange. Les voleurs tentent de s’expliquer, sans convaincre. La punition est immédiate. Sans l’ombre d’une hésitation, l’homme enturbanné recule de deux pas et les abat à bout portant, au milieu de la cour. Une dizaine de balles et une, pour finir, dans la nuque. La scène n’a duré que quelques minutes.
Le nouveau chef de l’État, qui nous reçoit en simple treillis, mais trois étoiles sur l’épaule, sait-il ce qui se passe à quelques mètres de son bureau ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires