Atterrissage forcé

Khalifa Bank placée sous administration judiciaire… Khalifa Airways dans l’incapacité de faire face à ses engagements financiers… Le premier groupe privé du pays peut-il encore s’en sortir ?

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

La guerre en Irak ? Le VIIIe Congrès du FLN ? Bof. Rien, en ce moment, ne passionne davantage les Algériens que l’affaire Khalifa. Avec ses quatorze mille salariés, son chiffre d’affaires avoisinant le milliard de dollars et ses activités tentaculaires (banque, transport aérien, BTP), le premier groupe privé du pays traverse en effet une période de fortes turbulences dont on ne sait s’il sortira sans dommages. Le 27 novembre 2002, les autorités monétaires ont décidé de geler les opérations de commerce extérieur de Khalifa Bank, l’instrument financier du groupe, puis, le 1er mars, de le placer sous administration provisoire.
Après un mouvement de panique qui s’est traduit par des retraits massifs aux guichets de la banque, la situation est redevenue plus calme. Mais Mohamed Djellab, l’administrateur désigné par la Banque d’Algérie, a suspendu toutes les opérations de retrait pour les entreprises publiques. Pour les petits épargnants, les retraits ont été plafonnés à 10 000 dinars (100 euros). Pourquoi ?
Deux raisons essentielles. D’abord, bien sûr, le manque de liquidités. Ensuite, le désir des autorités monétaires d’y voir un peu plus clair dans la comptabilité passablement opaque du groupe et d’évaluer avec précision le montant des dépôts. Autrement dit, la somme que le Trésor public aura à débourser en cas de faillite. Selon des sources proches de l’enquête, confiée à l’Inspection générale des finances (IGF), la situation est carrément catastrophique. Le montant des transferts de devises à l’étranger avoisinerait le milliard de dollars.
Khalifa Bank attirait le client en proposant des taux d’intérêts à deux chiffres, alors que les autres établissements financiers, publics ou privés, ne sont jamais allés au-delà de 5,25 %. Plus d’un million de particuliers, mais aussi de nombreux fonds sociaux et des milliers de PME se sont laissé séduire. Cet argent a servi à financer de juteuses opérations d’importation et a permis d’accorder des prêts à des demandeurs triés sur le volet, mais souvent peu respectueux des échéances de remboursement.
Par ailleurs, les filiales du groupe ont obtenu des crédits de financement qui n’étaient soumis à aucun critère de rentabilité. Principale bénéficiaire : la compagnie Khalifa Airways, qui serait actuellement débiteur de près de 10 milliards de dinars (environ 100 millions d’euros) auprès de la seule agence de Rouiba, dans la grande banlieue algéroise. En fait, c’est la situation du transporteur aérien qui inquiète le plus le gouvernement d’Ali Benflis. La moitié des appareils, achetés en leasing, ont été récupérés par les fournisseurs, les traites n’étant que très irrégulièrement honorées, et les salaires du mois de février n’ont toujours pas été versés. Payés, en moyenne, 300 000 dinars (3 000 euros) par mois, les pilotes n’ont, par exemple, perçu qu’une avance de 20 000 dinars.
À l’approche de la haute saison (juillet-août), au cours de laquelle les compagnies algériennes ont traditionnellement du mal à faire face à la demande, notamment sur la ligne Alger-Paris, les tensions sont vives dans le secteur du transport aérien. Outre les malheurs de Khalifa Airways, le gouvernement doit faire face aux conséquences du crash du Boeing 737 de la compagnie (publique) Air Algérie, près de Tamanrasset, et de la disparition d’Air Liberté. Il lui faut donc prendre des mesures pour réguler le trafic. Dans ce contexte, l’ouverture du capital d’Air Algérie apparaît plus urgente que jamais, ne serait-ce que pour renouveler la flotte – qui en a bien besoin. M’hamed Tayeb Benouis, le directeur général de la compagnie, a d’ores et déjà annoncé l’acquisition, au cours des prochains mois, de dix-sept appareils court- et moyen-courrier. Pendant ce temps-là, la nouvelle direction de Khalifa Airways se débat comme elle peut dans d’insurmontables difficultés : pour la première fois depuis la création de la compagnie, en 1999, les caisses sont vides.
Alors que l’opinion attend des explications, tant de l’actionnaire principal du groupe, Abdelmoumen Rafik Khalifa, que des autorités monétaires, toute l’enquête reste pour le moment entourée d’un épais silence. Ce qui ne manque pas d’alimenter la rumeur. Le jeune milliardaire séjourne actuellement dans un palace londonien et tarde à rentrer à Alger pour s’expliquer. La justice devrait très prochainement le citer à comparaître dans une tout autre affaire : l’interpellation, le 24 février à l’aéroport d’Alger, de trois de ses plus proches collaborateurs qui s’apprêtaient à le rejoindre, à Paris, avec des mallettes contenant plus de 2 millions d’euros en espèces. Voici, en exclusivité, les tenants et aboutissants de cette arrestation qui annonce, sans doute, la chute de l’empire Khalifa.

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