Droite dans ses bottes, l’armée française « commémore » l’opération Turquoise au Rwanda
Alors que le président français Emmanuel Macron a instauré une journée de commémoration du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 et a ouvert les archives à un groupe d’historiens, l’armée française s’est félicitée de son action lors de l’opération Turquoise au cours d’un colloque inédit, vendredi.
Au XVIIe siècle, l’hôtel des Invalides, à Paris, fut créé pour abriter les soldats blessés de l’armée française. Quatre siècles plus tard, les militaires de l’opération Turquoise, conduite par la France au Rwanda à partir du 22 juin 1994, souffrent visiblement des critiques qui leur sont de plus en plus fréquemment adressées.
C’est donc dans ce cadre solennel que s’est tenu, ce 14 juin, un colloque inédit visant à « commémorer » les « 25 ans » de cette opération.
Hommage aux anciens de Turquoise
La ministre française des Armées, Florence Parly, y a délivré, le matin, un discours de soutien aux anciens de l’opération lors d’une session qui n’était pas ouverte à la presse. Le mot signé de sa main dans le livret de la journée renseigne toutefois sur sa tonalité. « Le 7 avril dernier, le président de la République a annoncé que cette date deviendrait, en France, la journée de commémoration du génocide des Tutsis […] Il y a aussi une volonté de donner la parole aux hommes et aux femmes du terrain, à ceux qui ont été confrontés à l’inimaginable », écrit-elle. Et de remercier et « rendre hommage » aux « anciens de Turquoise qui prennent aujourd’hui la parole ».
Ce message a été reçu cinq sur cinq par le général Erik de Stabenrath, qui fut, en 1994, commandant de l’opération à Gikongoro. « J’ai été heureux ce matin parce que j’ai entendu pour la première fois un homme politique [sic] en fonction défendre l’opération Turquoise », s’est-il félicité lors du colloque organisé l’après-midi.
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Chez lui comme chez les autres officiers présents, la volonté était évidente de se saisir de cette occasion pour répondre aux critiques qui se sont multipliées ces derniers mois contre l’opération, y compris de la part de militaires français. C’est le cas du général Jean Varret, chef de la mission militaire de coopération au Rwanda entre 1990 et 1993, qui affirme que « certains militaires à des postes clés sont allés trop loin ». Ou encore de Guillaume Ancel, à l’époque capitaine au 68e régiment de l’artillerie d’Afrique, selon qui l’objectif humanitaire de la mission masquait un objectif moins avouable : frapper le Front patriotique rwandais (FPR), rébellion tutsie sur le point de gagner la guerre contre le régime hutu génocidaire, en utilisant notamment des moyens aériens.
Accrochages avec le FPR
« La seule fois où on a vraiment employé l’aviation, c’est quand le FPR a commencé à bombarder les camps de réfugiés aux environs de Goma, a ainsi affirmé l’amiral Jacques Lanxade, commandant de l’opération. J’ai demandé au général de faire survoler les batteries d’artilleries du FPR en faisant savoir […] à Kagame [alors chef militaire du FPR, ndlr] qu’on détruirait les batteries s’il continuait ces opérations tout à fait anormales. »
Le colonel Loïc Mizon a quant à lui affirmé que les forces de Turquoise ont connu « à trois ou quatre reprises » des accrochages avec le FPR.
Au fil de l’après-midi toutefois, à mesure qu’était déroulé le bilan de Turquoise, une évidence transparaissait : l’essentiel de l’opération a consisté à fournir une assistance humanitaire aux réfugiés installés dans les environs de Goma et aux déplacés internes de la « zone humanitaires sûre » (ZHS) installée par Turquoise au sud-ouest du Rwanda.
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En comparaison, les sauvetages de rescapés tutsi auront été rares. Et pour cause : le génocide, qui avait débuté dès le 7 avril, était déjà presqu’achevé lors du déclenchement de l’opération, fin juin.
Lui-même ancien de Turquoise, le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, a lui aussi a tenu à s’exprimer. « C’est la première fois qu’un chef militaire en activité de mon niveau prend la parole dans un colloque comme celui-là », a-t-il relevé.
Les faiseurs d’opinion ont besoin de vérité simple
Il a estimé que les termes même du mandat de l’ONU, qui autorisaient la France à « contribuer de manière impartiale à la sécurité », pouvaient « conduire à cette déformation des faits » et à une « perversion de la réalité », surtout« avec la connaissance que l’on a [maintenant] de ce génocide ».
« Les faiseurs d’opinion […] ont besoin de vérité simple, [avec] la définition d’un gentil et d’un méchant […] Il n’y a pas de gentil et il n’y a pas de méchant. Il y a un déchaînement de violence. Il y a la mort partout. Il y a l’horreur. Et il y a, au milieu de tout ça, […] des soldats, des sous-officiers et des officiers qui, chacun à leur niveau, essaient d’avoir une action droite », a ajouté le général François Lecointre.
Cette journée aurait-elle pu servir à autre chose ? Par exemple à examiner les critiques adressées à l’opération ? La meilleure réponse, c’est peut-être le général Lecointre lui-même qui la donne. « Le chef militaire que je suis a le devoir de préparer pour son pays une armée qui sera prête à s’engager, et dont on ne viendra pas dans 25 ans juger les engagements », a-t-il conclu.
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