Sur la piste de Zarkaoui

Fondé sur un travail de terrain très sérieux et de nombreux documents inédits, cet ouvrage retrace le parcours de la nouvelle « star » du djihadisme mondial.

Publié le 24 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

Le travail d’investigation mené par Jean-Charles Brisard, avec la collaboration de Damien Martinez, sur Abou Moussab al- Zarkaoui (parfois orthographié Zarqaoui), nouvelle « star » du djihadisme mondial, est remarquable à tout point de vue : une enquête sérieuse, une documentation abondante, des témoignages inédits. Résultat : la personnalité de l’ennemi public numéro un dans l’Irak post-Saddam est croquée avec une rare précision. De l’enfance à Zarka, en Jordanie, avec un cimetière pour terrain de jeu, à l’adolescence tourmentée, éthylique et bagarreuse ; puis la grande frustration quand, parvenu à l’âge adulte après avoir cédé aux sirènes du salafisme, cette doctrine islamiste qui emprunte au wahhabisme, Ahmed Fadil el-Khalailah arrive en Afghanistan, en mai 1989, trois mois après la fin de la bataille. L’Armée rouge ayant plié bagage en février 1989.
Les trois étapes qui ont contribué à façonner la personnalité de l’homme le plus recherché de la planète sont minutieusement rapportées par l’auteur, qui a recouru aux témoignages des voisins de la famille Khalailah et des anciens camarades de classe de Zarkaoui, tout en épluchant les rapports de police du commissariat de Zarka, dont Abou Moussab a fini par être un habitué (il sera même poursuivi pour tentative de viol), ainsi que les différents procès-verbaux établis par la justice jordanienne dans les affaires pour lesquelles il était poursuivi.
La lecture de l’ouvrage permet également d’appréhender le rôle déterminant de ses trois mentors. Tous jordaniens. Le premier est Abou Mohamed Maqdissi, de son vrai nom Issam Mohamed Taher, un théoricien du djihad. C’est lui qui « sauve » Abou Moussab al-Zarkaoui de la petite délinquance en l’amenant sur le terrain de la guerre sainte et le convainc de faire le coup de feu en Afghanistan. Les deux hommes se retrouvent à Peshawar, Mecque des Afghans arabes. Zarkaoui y fait une deuxième rencontre déterminante : celle d’Abdallah Azzam, dieu vivant pour les volontaires arabes. Celui-ci relève la flamme djihadiste du jeune homme. Il l’introduit dans les cercles les plus prestigieux et le présente à Oussama Ben Laden. Zarkaoui ne partage pas le point de vue du chef d’al-Qaïda. Il ne croit pas au djihad mondial et préconise d’accorder une priorité aux organisations nationales. Les divergences d’approche ne dépassent toutefois jamais la courtoisie de l’échange de points de vue.
Quelques mois plus tard, Zarkaoui et Maqdisi reviennent en Jordanie pour créer, en 1993, la première organisation djihadiste, Bayat al-Imam (« allégeance à l’Imam »), qui tente d’organiser des attentats anti-israéliens. Le General Intelligence Directorate (GID, services secrets jordaniens) déjoue la tentative, et les deux hommes se retrouvent en 1994 à la prison de Suwaqah. C’est alors que la personnalité d’Abou Moussab s’affirme. Abou Mohamed Maqdissi, le père spirituel, s’efface devant le charisme de Zarkaoui, qui devient le véritable patron des islamistes radicaux jordaniens. Libéré en 1999, ce dernier ne s’attarde pas dans son pays et s’exile à nouveau en Afghanistan, où il fait une troisième rencontre, déterminante pour la suite de sa « carrière ».
Abou Zoubeida fait partie du premier cercle d’al-Qaïda. Jordanien comme Zarkaoui, il le parraine afin qu’il obtienne un statut au sein de l’organisation. Les divergences avec Ben Laden ? Dépourvu d’argent et surtout d’une organisation nationale efficace, Zarkaoui « fait avec » al-Qaïda en attendant son heure. C’est ainsi qu’il obtient la direction du camp d’entraînement de Herat, agglomération de l’est de l’Afghanistan dont la particularité est d’être la seule ville afghane à majorité chiite.
Zarkaoui ne fait pas partie du premier cercle d’al-Qaïda ; cela ne l’empêche pas de tisser des liens avec l’ensemble des mouvements nationaux. Il est en contact étroit avec les GIA algériens, par le biais de Rachid Boukhalfa, alias Abou Doha, un des patrons de la garde rapprochée de Ben Laden, ou avec le Front islamique tunisien (FIT, d’Abou Iyad). Mais Zarkaoui s’intéresse également aux réseaux européens. Il est en contact permanent avec Abou Qotada, Jordano-Palestinien basé à Londres et représentant d’al-Qaïda en Europe.
Autre grande figure de l’islamisme sur le Vieux Continent : le Syrien Abou Moussab al-Suri. De son vrai nom Nacer Setmariam, ce redoutable théoricien du djihad est le rédacteur en chef d’el-Ansar, organe central des GIA algériens. Il est introuvable depuis les attaques du 11 septembre 2001. Certaines sources évoquent sa présence en Irak, aux côtés de Zarkaoui.
Le livre de Jean-Charles Brisard est une mine d’informations pour ceux qui cherchent à en savoir plus sur le terrorisme islamiste. On y trouve une multitude de portraits intéressants, des indications inédites sur la genèse de mouvements tel Ansar Es Sunna, sur l’histoire de la création du Tawhid, le réseau européen de Zarkaoui, sur celle de la cellule de Hambourg chargée de l’exécution de l’opération du 11 septembre, ou encore sur les liens entre Zarkaoui et les djihadistes marocains responsables des attentats de Casablanca en mai 2003, et de ceux de Madrid, en mars 2004.
Autre intérêt de ce livre : il permet au lecteur d’avoir une idée précise sur l’efficacité des services de sécurité européens en charge du dossier terrorisme. On apprend que les mieux informés sont les Allemands du Bundesnachrichtendiest (BND), qui ont pu reconstituer la fuite de Zarkaoui d’Afghanistan, en 2002, après les bombardements américains contre les talibans. De Herat au Kurdistan, la majorité des conversations téléphoniques de Zarkaoui a été enregistrée et exploitée.
La conclusion que l’on peut tirer de la lecture de cet ouvrage est que le « prestige » du personnage ne doit rien à la barbarie de ces actes (à la portée du premier djihadiste venu), mais à sa longévité. Hormis Ben Laden et Aymen al-Zawahiri, les membres du premier cercle d’al-Qaïda – d’Abou Hafs al-Masri à Abou Zoubeida en passant par Khaled Cheikh Mohamed, concepteur du 11 septembre – ont tous été éliminés ou arrêtés. Pour ce qui est des membres du second cercle, il n’y a plus guère que Zarkaoui pour faire parler de lui.

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