Sur de bons rails

Au pouvoir depuis deux ans, la coalition arc-en-ciel avance sur deux fronts : l’éducation pour tous et la lutte contre la corruption.

Publié le 24 janvier 2005 Lecture : 5 minutes.

Il est des signes qui ne trompent pas. Le 10 décembre 2004, à Oslo, l’assistante du ministre kényan de l’Environnement Wangari Muta Maathai reçoit le prix Nobel de la paix « au nom du peuple kényan et de l’Afrique ». Le président du comité Nobel norvégien, Ole Danbolt Mjoes, lui déclare avec emphase : « Vous êtes un extraordinaire exemple pour les femmes à travers l’Afrique et le monde. Vous êtes une vraie mère africaine et une vraie femme africaine. » Pouvait-on trouver meilleur symbole pour illustrer la renaissance d’un pays plombé par des années d’autocratie, de gabegie financière et de corruption ?
Wangari Maathai représente en effet la société civile qui a – en partie – accédé au pouvoir lors de l’alternance démocratique de janvier 2003, quand la coalition arc-en-ciel (National Rainbow Coalition, Narc) façonnée par le chef du Liberal Democratic Party (LDP) Raila Odinga et emmenée par Mwai Kibaki l’a emporté sur les dinosaures corrompus de la Kanu (Kenya African National Union), au pouvoir pendant près de quarante ans. Wangari Maathai, c’est un Kenya décidé à rompre avec les errements du passé et un gouvernement déterminé à améliorer la vie des wananchi (citoyens ordinaires). Et après deux ans d’exercice du pouvoir, le bilan de l’équipe Kibaki prête à l’optimisme. En particulier sur le front de la lutte contre la corruption, priorité affirmée de la coalition.
Il a fallu en finir avec le passé, d’abord. Le 20 novembre, le rideau est tombé sur l’un des plus grands scandales de l’époque où Daniel arap Moi présidait aux destinées du pays. Après 294 jours d’audience et les dépositions de 102 témoins, le procès Goldenberg – du nom de cette entreprise accusée d’exportations fictives d’or et de diamants – s’est enfin achevé. Il avait repris le 1er avril 2003, grâce à la volonté du nouveau régime. Les coupables attendent le verdict et, même si Daniel arap Moi échappe à la justice, les Kényans savent que cette « amnésie » partielle est un moindre mal. Car aujourd’hui, il s’agit de préparer l’avenir. Une tâche de longue haleine.
La lutte contre la corruption, à tous les niveaux de l’administration, a connu quelques ratés à l’allumage. Les révélations d’une presse « décomplexée » sur le scandale de la firme Anglo Leasing and Finance Ltd. [payée 4,7 millions d’euros pour faire construire des laboratoires médico-légaux et mettre en place un système de passeports sécurisés, coupable de surfacturation, cette entreprise « n’habitait pas à l’adresse indiquée », NDLR] ont provoqué la sortie remarquée du haut-commissaire britannique Edward Clay, le 13 juillet 2004. « De toute évidence, ceux qui tiennent les rênes aujourd’hui au sein du gouvernement ont l’arrogance, l’avidité et peut-être un sentiment désespéré de panique qui les poussent à se gaver tels des gloutons », a déclaré le diplomate. Critiqué pour la brutalité du propos, il a néanmoins été suivi dans les faits par dix-neuf pays européens qui ont menacé de ne pas accorder les 48 millions d’euros promis pour le budget 2004. Une politique de la menace qui a porté ses fruits. Le 28 novembre, les relations avec les bailleurs de fonds sont revenues à la normale. Si le Kenya suit les recommandations du FMI dans le cadre du Programme de réduction de la pauvreté, il recevra 142 millions d’euros d’aide sur trois ans. Auxquels s’ajouteront les 75 millions de dollars accordés par la Banque mondiale après sa mission de septembre 2004.
Plusieurs mesures plus ou moins symboliques, souvent initiées par le secrétaire permanent pour la Bonne Gouvernance et l’Éthique, l’ancien directeur exécutif de l’ONG Transparency International au Kenya, John Githongo, ont jalonné les deux premières années de la présidence Kibaki. Signature de la Convention des Nations unies contre la corruption, opération « Mains propres » dans le milieu judiciaire, mise en place d’une équipe de procureurs spécialisés dans la lutte contre la corruption, obligation faite aux hauts fonctionnaires de déclarer leurs biens, limitation des achats de véhicules pour les membres du gouvernement, etc.
Des remarquables progrès ont aussi été enregistrés dans le domaine de l’éducation et de la couverture sociale. Lors de la campagne électorale de 2002, la coalition arc-en-ciel proclamait : « Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ! » Une boutade doublée d’une promesse : permettre à tous un minimum d’éducation. L’étape a été franchie. L’instauration de l’école primaire gratuite a impressionné jusqu’à l’ancien président américain Bill Clinton, qui a déclaré souhaiter rencontrer Mwai Kibaki, ce chef d’État qui a « contribué au bien-être de ses concitoyens en abolissant les frais de scolarité ».
Ce n’est pas tout : la ministre de la Santé Charity Kaluki Ngilu mène une longue bataille pour imposer son projet de couverture sociale étendue. Dans le cadre de la Campagne mondiale sur la sécurité sociale du BIT, le gouvernement kényan doit transformer son National Social Security Fund (NSSF) de manière à fournir une couverture sociale minimale à tous les travailleurs – y compris ceux de l’économie informelle -, ainsi qu’un accès garanti aux soins élémentaires. Aujourd’hui, sur 30 millions de Kényans, 80 % n’ont pas de sécurité sociale et 60 % ne peuvent se payer une simple visite chez le docteur…
Lentement, nombre d’indicateurs passent au vert : en 2004, la croissance économique devrait atteindre 2,4 %, contre 1,8 % en 2003, 1,2 % en 2002 et 0,8 % en 2001. Les experts tablent sur 3 % en 2005, un chiffre encourageant, même s’il demeure en deçà de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne (4,5 %). Si la hausse du prix du pétrole pénalise une économie dépendante, les exportations – produits manufacturés vers l’Afrique, produits agricoles comme les fleurs ou le thé vers l’Europe – ne cessent de croître (10 % par an). Mais la meilleure nouvelle est venue du secteur touristique, sinistré depuis les attentats terroristes de Nairobi (1998) et de Mombasa (2002). Le gouvernement américain a eu beau déconseiller une nouvelle fois à ses ressortissants de se rendre au Kenya, le nombre de touristes a crû de 17,9 % entre janvier et août 2004, et c’est une hausse de 39,7 % que l’on a constatée entre juin et août, par rapport à 2003.
Pas de doute, la savane du Masaï-Mara et les plages de l’océan Indien ont de nouveau la cote. Mais l’équipe Kibaki n’en est pas pour autant au bout de ses peines. La nouvelle Constitution promise en 2002 n’est toujours pas prête. Transparency International classe le pays au 129e rang mondial (sur 145) et au 29e rang africain (sur 35, devant l’Angola, la RDC, la Côte d’Ivoire, le Tchad et le Nigeria) en matière de corruption. Il reste 1,9 million d’enfants non scolarisés et contraints de travailler ; les salaires des enseignants ont été gelés jusqu’en 2008, et Mwai Kibaki a demandé aux parents d’élèves de verser leur écot pour la construction de nouvelles écoles. Le programme d’extension de la couverture sociale est toujours en discussion. De surcroît, les querelles politiciennes ne cessent pas : les partisans du chef de l’État s’opposent à ceux du ministre des Routes et des Travaux publics, Raila Odinga, qui verraient bien leur poulain hériter d’un poste de Premier ministre. Parfois feutrée, parfois brutale, cette bataille est facteur de paralysie pour une coalition sans cesse menacée d’éclatement. En jeu, l’élection générale de 2007, dans plus de deux ans… À ce moment-là, ce seront les wananchi qui se prononceront. D’après un sondage du quotidien Daily Nation paru le 31 décembre, s’ils reconnaissent que des progrès ont été accomplis dans l’éducation, les transports, la liberté d’expression, 30 % d’entre eux pensent que la situation est à peu près équivalente à celle qui prévalait sous arap Moi. Quand ils devront se prononcer sur le bilan de l’équipe Kibaki, c’est leur impression qui prévaudra.

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