Lors du génocide des Tutsi au Rwanda, « l’ONU était au cœur d’une campagne de déni »
D’avril à juillet 1994, tout au long du génocide des Tutsi au Rwanda, l’ONU s’est retrouvée au cœur d’une lutte d’influence pour savoir quelle réponse apporter aux massacres en cours. Linda Melvern, journaliste d’investigation britannique et spécialiste des Nations unies, raconte à Jeune Afrique les coulisses de ces négociations et l’importance des décisions de l’ONU pendant cette période.
Le 22 juin 1994, deux mois et demi après le début du génocide des Tutsi au Rwanda qui fera, entre avril et juillet plus d’un million de morts, l’ONU autorisait l’opération Turquoise, conduite par la France, à intervenir au Rwanda. Cette mission continue, 25 ans plus tard, d’alimenter le débat sur le rôle de la France au Rwanda. C’est dans les couloirs du Conseil de sécurité de l’ONU, à plus de 11 000 kilomètres de Kigali que cette résolution 929 a été négociée, à l’image de beaucoup de décisions diplomatiques clés pendant le génocide des Tutsi au Rwanda.
Dépassée par les événements sur place, impuissante face à l’engrenage meurtrier enclenché le 7 avril après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana qui marque le signal de départ des massacres, l’ONU s’est retrouvée, d’avril à juin, au cœur de tiraillements stratégiques entre ses pays membres.
Les prises de position de l’ONU pendant que les tueries s’accumulent au Rwanda vont alors être le fruit d’un jeu d’influence complexe. D’un côté, la France, alliée du régime Habyarimana et proche du secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali, joue de son influence auprès des membres du Conseil de sécurité. Un organe dans lequel siège alors – en tant que membre non-permanent – le représentant du gouvernement intérimaire rwandais, Jean-Damascène Bizimana.
De l’autre, les États-Unis et de leurs alliés britanniques, traumatisés par la guerre en Somalie et la bataille de Mogadiscio lors de laquelle 18 soldats américains ont été tués, ne cachent pas leur frilosité à déployer des troupes sur le terrain.
Et, de la réduction des contingents de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar), votée deux semaines après le début des tueries, à l’autorisation de l’opération Turquoise, ces prises de position du Conseil de sécurité de l’ONU ont indéniablement pesé sur le conflit.
Présente à New York entre avril et juin, au moment où les diplomates votaient ces résolutions, la journaliste d’investigation britannique Linda Melvern a raconté les coulisses des tractations diplomatiques dans ses ouvrages A People Betrayed: The Role of the West in Rwanda’s Genocide (novembre 2000, ZED Books Ltd ; traduction française : « Complicités de génocide; Comment le monde a trahi le Rwanda », 2010, Karthala ) et Intent to Deceive: Denying the Rwandan Genocide (septembre 2019, Verso ; l’ouvrage n’a pas été traduit en français pour le moment).
Elle est décrypte pour Jeune Afrique ces négociations et le rôle de l’ONU pendant le génocide.
Jeune Afrique : Comment l’ONU se positionne-t-elle durant les premiers jours du génocide ?
Linda Melvern : Le génocide des Tutsi a été l’un des exemples les plus clairs des problèmes inhérents au fonctionnement du Conseil de sécurité. Celui-ci était censé promouvoir une diplomatie ouverte, mais dans la réalité les vraies négociations se faisaient derrière des portes closes.
Le Rwanda était l’un des dix membres non-permanents du Conseil de sécurité pendant le génocide. Seuls certains membres non-permanents du Conseil de sécurité avaient compris le problème que pouvait représenter la présence du Rwanda dans l’organe onusien. Le gouvernement intérimaire, mis en place début avril, a pourtant été l’un des principaux instigateur de la campagne de déni à l’œuvre dans les rangs de l’ONU.
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