Les Dragons ont les dents longues

De Singapour à Pékin et de New Delhi à Séoul, la suprématie des États-Unis de plus en plus contestée.

Publié le 24 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Depuis cinquante ans, les États-Unis sont les champions toutes catégories des nouvelles technologies et de l’innovation. Contre toute attente, ils seraient aujourd’hui en perte de vitesse, menacés à la fois par la montée en puissance de plusieurs concurrents asiatiques et par des choix économiques contestables, dictés par des considérations politico-militaires. C’est en tout cas la thèse que le sinologue américain Adam Segal développe dans un récent article de la revue Foreign Affairs.
La concurrence s’affirme en Chine, en Inde, en Corée du Sud, à Singapour et à Taiwan. La preuve ? Le nombre des brevets déposés et des articles publiés par les chercheurs asiatiques ne cesse de croître. De même, les pays du Sud-Est asiatique font irruption dans des secteurs jusqu’ici dominés par les États-Unis. L’Inde, par exemple, est désormais le deuxième producteur mondial d’applications informatiques, et la ville de Bangalore, dans le sud du pays, s’affirme comme une nouvelle Silicon Valley. La Corée du Sud fait de l’ombre aux Américains dans la production de puces informatiques et la conception de logiciels de télécommunications, tandis que la Chine se spécialise dans les biotechnologies, le matériel aérospatial et les semi-conducteurs. Les raisons de ces succès ? Un coût de la main-d’oeuvre imbattable, bien sûr, mais aussi l’assouplissement de l’environnement politique, fiscal et réglementaire auquel ces pays ont procédé.
Pour faire face, le gouvernement américain continue de financer massivement la recherche et le développement. En 2004, 290 milliards de dollars y ont été consacrés, soit deux fois plus qu’au Japon, deuxième investisseur mondial en ce domaine. Mieux, en 2002, le montant des dépenses des États-Unis a été supérieur à celui, cumulé, du Canada, de la France, de l’Italie, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et du Japon. Le problème, comme le souligne Segal, est qu’en ces temps de guerre contre le terrorisme c’est le Pentagone qui rafle l’essentiel de la mise. Au cours des cinq prochaines années, l’administration Bush a annoncé sans ambiguïté que les secteurs de la défense et de la sécurité du territoire, ainsi que le programme spatial, seront prioritaires. Sans attendre, le Congrès a, en juillet 2004, affecté 70,3 milliards de dollars aux dépenses militaires. Une orientation stratégique qui, à terme, pourrait nuire à la recherche fondamentale (et même appliquée) et à la capacité d’innovation des entreprises.
La situation est d’autant plus alarmante que le déficit public atteint des sommets (422 milliards de dollars) et entraîne d’inévitables restrictions budgétaires. Pour 2005, les dépenses fédérales ont été revues à la baisse et ne dépasseront pas 132 milliards. Et pour ne rien arranger, les investissements privés dans la recherche et le développement sont en nette diminution – ils ne représentent plus que 60 % du total.
Traditionnellement, la puissance d’innovation américaine est largement tributaire du savoir-faire des chercheurs étrangers : 38 % des ingénieurs et scientifiques titulaires d’un doctorat ne sont pas nés aux États-Unis ; et la majorité d’entre eux est originaire du Sud-Est asiatique. Or, depuis les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis se montrent beaucoup moins accueillants que par le passé et ne délivrent plus de visas qu’avec circonspection. Les lenteurs de l’administration et la multiplication tatillonne des contrôles de sécurité découragent les candidats à l’exil. Résultat : pour la première fois depuis trente ans, le nombre des étudiants étrangers inscrits dans les instituts d’enseignement supérieur est en diminution : – 2,4 % pour l’année universitaire 2003-2004.
Plusieurs pays asiatiques sont aujourd’hui en mesure d’offrir à leurs étudiants un niveau de formation comparable à celui dont ils bénéficieraient aux États-Unis. La vitalité de la Corée du Sud, en ce domaine, est remarquable. L’Agence coréenne pour la promotion du commerce et de l’investissement (Kotra) va, par exemple, débloquer 6 millions de dollars pour inciter les entreprises étrangères à investir et à créer des centres de recherche dans le pays. Séoul, comme d’ailleurs Tokyo, consacre 3 % de son PIB à la recherche et au développement (2,7 % pour les États-Unis). Et la Chine entre à son tour dans la danse : en 2005, elle consacrera 1,5 % de son PIB à la « R&D », contre 0,6 % il y a huit ans.
Du coup, de nombreux ingénieurs et entrepreneurs asiatiques, qui, à partir des années 1960, avaient choisi d’émigrer aux États-Unis, commencent à rentrer au bercail. Créée il y a douze ans à Santa Clara, en Californie, l’Association des entrepreneurs d’origine indienne a, par exemple, ouvert treize bureaux en Inde, surtout à Bangalore, et y délocalise nombre de ses activités R&D.
Le déclin du secteur high-tech aux États-Unis reste cependant relatif. Et certainement pas inéluctable, s’il faut en croire Segal. La solution : la mise en oeuvre de politiques publiques d’investissement qui privilégient à nouveau l’éducation et la recherche appliquée.

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