Dossier urbanisme : l’Afrique des villes est en marche
D’ici à 2050, le continent comptera 300 millions de citadins de plus. Pour les loger tout en réduisant les inégalités, une véritable révolution urbaine est nécessaire. Les grands projets sont déjà lancés. Mais les investissements seront-ils à la hauteur du défi ?
Urbanisme : l’Afrique des villes est en marche
Sur la presqu’île artificielle de Lagos, au Nigeria, les grues s’activent pour la construction des premières tours d’un projet immobilier pharaonique digne de Dubaï. Baptisé Eko Atlantic, il devrait à terme accueillir 250 000 habitants sur 9 km2, avec pour ambition affichée de devenir le nouveau centre financier de l’Afrique de l’Ouest.
Tourner le dos à Lagos
Il comprendra des immeubles futuristes abritant des bureaux et des appartements de luxe entourés de marinas. Les premières livraisons sont prévues pour 2020. Fruit d’un partenariat public-privé, ce projet estimé à 6 milliards de dollars (4,4 milliards d’euros) vise à donner un coup de fouet au développement de Lagos, mais il cristallise aussi les critiques. À quelques encablures du chantier, insalubrité, problèmes de transport et insécurité restent le lot quotidien de la grande majorité des habitants.
« Gérer la ville telle qu’elle est tout en préparant la cité de l’avenir, c’est un défi pour tous les dirigeants africains. »
« C’est une enclave sur Victoria Island, qui tourne le dos à Lagos et ses 10 millions d’habitants. Je ne pense pas que ce genre de projet soit durable ni réplicable. Comment va-t-on rejeter les eaux ? » s’interroge Jean-Pierre Elong Mbassi, secrétaire général de l’organisation internationale Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLU).
« Gérer la ville telle qu’elle est tout en préparant la cité de l’avenir, c’est un défi pour tous les dirigeants africains. »
À l’opposé de la démesure d’Eko Atlantic, Kigali est perçu par beaucoup comme un modèle pour sa gestion urbaine, axée sur la responsabilisation citoyenne.
Pays traditionnellement très rural, le Rwanda mise désormais sur sa capitale. Avec son million d’habitants, la ville se démarque par sa propreté et ambitionne de devenir un centre névralgique des services tout en développant le tourisme d’affaires. Une salle de conférences de plus de 2 000 places adossée à des hôtels et des bureaux est en construction. En mai, Kigali a d’ailleurs accueilli pour la première fois les assemblées annuelles de la Banque africaine de développement.
Rabat et son offre culturelle
En Afrique du Nord, Rabat axe notamment son développement sur l’offre culturelle. Le musée Mohammed-VI d’Art moderne et contemporain, qui occupera une surface de 6 800 m2 – pour un investissement estimé à 200 millions de dirhams (17 millions d’euros) – doit ouvrir ses portes en septembre.
Non loin de là, dans la vallée du Bouregreg, le Grand Théâtre de Rabat s’étendra sur un terrain de plus de 4 hectares avec une salle de 2 050 places, une autre de 520 places et un studio de création et de répétitions. Conçu par l’architecte Zaha Hadid, le complexe devrait accueillir le public en 2017. Son coût est estimé à 1,35 milliard de dirhams.
« Smart cities »
Alger, à l’image de Casablanca et de Rabat avant lui, a investi dans le tramway. La mise en service de la troisième extension de la ligne reliant Bordj el-Kiffan à Dergana sur près de 7 km est en effet annoncée pour la fin de l’année 2014. Actuellement, le tramway d’Alger, dont la ligne court sur 20 km, transporte déjà 1,8 million de personnes chaque mois.
Smartphones et « big data » au service des citadins africains
Comment tirer profit des nouvelles technologies afin d’améliorer les conditions de vie des populations urbaines en Afrique ?
C’est la question à laquelle essaient de répondre une fournée de nouveaux entrepreneurs africains. Si en matière de big data, le continent est encore à un stade embryonnaire, un véritable boom pourrait avoir lieu d’ici à 2020.
À Accra, Nairobi, Johannesburg, Abidjan, des projets de smart cities, ou « villes intelligentes », se mettent doucement en place. « Il n’y a pas un seul modèle, mais Accra est sans doute la ville qui a réalisé les progrès les plus fulgurants ces dix dernières années en matière de gouvernance. Et Maputo connaît un développement phénoménal, boosté par l’exploitation des ressources en gaz et en charbon du pays, avec des financements intérieurs et extérieurs, notamment sud-africains », souligne Alioune Badiane, directeur des programmes de l’ONU Habitat.
Les défis sont colossaux pour le continent, que ce soit en matière d’assainissement, d’accès à l’eau et à l’électricité ou encore pour la construction de logements et d’infrastructures de transport… Et le temps presse. Selon les projections, la population africaine devrait quasiment doubler et dépasser les 2 milliards d’habitants en 2050 ! Ce sont près de 300 millions de nouveaux citadins qu’il faudra accueillir.
« Le besoin d’investissements urbains est estimé à 25 milliards de dollars par an pour l’Afrique subsaharienne. Nous sommes encore très éloignés de ce chiffre. L’ampleur de la croissance urbaine à venir sur le continent n’est pas suffisamment comprise par les décideurs africains et les bailleurs de fonds. Cela va engendrer une série de problèmes en matière de finances publiques pour les collectivités locales », prédit Thierry Paulais, directeur adjoint pour l’Afrique subsaharienne à l’Agence française de développement (AFD).
Une contrainte financière que Khalifa Sall, le maire de Dakar réélu en juin dernier, espère lever. Notée BBB+ à long terme par l’agence de notation Bloomfield Investment Corporation pour la première fois fin 2013, la capitale sénégalaise est l’une des rares villes africaines à pouvoir aller chercher aujourd’hui des financements sur le marché régional obligataire.
Le maire veut soigner l’image de sa cité et a lancé des opérations de « recasement » des vendeurs ambulants. L’idée ? Prévoir des espaces de commerce leur permettant de travailler dans la légalité. D’autre part, l’aménagement de la corniche se poursuit.
Les mégalopoles face au réchauffement climatique
De Dakar au Cap et d’Alexandrie à Durban, la plupart des grandes villes sont déjà touchées par la montée du niveau des mers. Sans oublier les tempêtes, les inondations et l’érosion côtière. Si les cités du Maghreb sont, elles, relativement épargnées, les villes de l’intérieur du continent sont également exposées par le biais de pertes de récoltes et de hausse des coûts de l’énergie.
« Nous travaillons sur le concept de ville résiliente. Il ne faut pas planifier seulement sur quatre à cinq ans, mais sur le long terme. Les états doivent interdire les constructions en bord de mer et éviter que les populations ne s’installent dans des zones à risque », insiste Alioune Badiane, directeur des programmes de l’ONU Habitat.
Gérer le changement climatique, c’est aussi privilégier des architectures adaptées usant de la ventilation traversante et des matériaux résistants à la chaleur, en particulier la terre.
Dakar est également la deuxième ville africaine, avec Durban, à avoir été sélectionnée pour intégrer le programme « 100 villes résilientes » lancé par la fondation Rockefeller. À ce titre, elle a reçu une subvention de 1 million de dollars pour développer sa stratégie de résistance aux catastrophes naturelles.
Les travaux du futur pôle urbain de Diamniadio, relié à Dakar par la nouvelle autoroute à péage, ont débuté en mai. La nouvelle ville, située à une trentaine de kilomètres de la capitale, devrait abriter 40 000 logements, un pôle industriel et commercial ainsi qu’un hôpital universitaire, des universités et des hôtels.
Mais les projets d’urbanisme de la capitale sénégalaise ne font pas l’unanimité. « Les aménagements sur la corniche de Dakar sont ostentatoires et circonscrits au coeur historique, souligne Mactar Faye, urbaniste et géographe de l’ONG Urbanistes sans frontières. Il n’y a pas de plan de développement global pour l’agglomération. Dans l’Est, le quartier de Pikine, par exemple, est devenu l’un des plus peuplés, et les banlieues, livrées à elles-mêmes, sont un enjeu politique. »
Nouveaux concepts
Villes durables, villes inclusives (dont le développement est orienté pour réduire les inégalités) : sur le continent africain, ces concepts sont récents et les décideurs politiques locaux manquent souvent de vision. Le développement urbain d’Abidjan, par exemple, reste adossé à ce qui a pu se faire dans les années 1960 et jusqu’au milieu des années 1980.
Pour Issa Diabaté, directeur général de l’agence Koffi et Diabaté Architectes en Côte d’Ivoire, « il faut à Abidjan un développement urbain plus dense » : « On doit construire plus haut, rassembler davantage de gens sur un même espace, non seulement pour éviter que la ville ne s’étale mais aussi pour retrouver la notion de vie en communauté. Dans l’inconscient collectif, le modèle d’habitat, c’est une maison. Mais pour améliorer nos conditions de vie, il faut se tourner vers d’autres solutions. Le développement durable et la mobilité doivent être au coeur des schémas directeurs. »
On ne peut pas avoir des villes à deux vitesses, des centres avec des buildings et, à côté, des gens qui n’ont pas accès à l’eau potable.
Gouvernance
Un développement urbain vertueux requiert une vision, mais aussi une bonne gouvernance. Luanda, capitale parmi les plus chères au monde, connaît encore des épidémies de choléra, en raison des problèmes d’eau et d’assainissement. À une trentaine de kilomètres de là, la ville nouvelle de Kilamba, construite par une société chinoise et capable d’abriter 500 000 personnes, demeure une cité-dortoir et peine à attirer les Luandais.
« On ne peut pas avoir des villes à deux vitesses, des centres avec des buildings et, juste à côté, des gens qui n’ont accès ni à l’eau potable ni à l’assainissement ! tempête Alioune Badiane. Gouvernance, planification et financement sont les points clés du développement des villes africaines. Sans la gouvernance, rien ne marchera ! Regardez Conakry. Cette ville connaît des coupures d’électricité récurrentes. La Guinée est le château d’eau de l’Afrique et Conakry manque d’eau ! Il faut mettre en place des mécanismes permettant aux citoyens de croire en leur ville. Ainsi, ils seront capables de sanctionner une mauvaise gestion. »
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