Francophonie : à N’Djamena, un plaidoyer en faveur de la scolarisation des filles

Trois grandes recommandations ont été tirées à l’issue de la conférence internationale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), dans la capitale tchadienne, sur l’éducation des filles et la formation des femmes. Sur le continent, les pays qui ont lancé cet « appel de N’Djamena » affichent en la matière des palmarès contrastés.

Lors de la cérémonie d’ouverture de la conférence internationel de l’OIF pour l’éducation des filles et la formation des femmesle 18 juin, à N’Djamena. © Twitter officiel de l’OIF

Lors de la cérémonie d’ouverture de la conférence internationel de l’OIF pour l’éducation des filles et la formation des femmesle 18 juin, à N’Djamena. © Twitter officiel de l’OIF

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Publié le 20 juin 2019 Lecture : 5 minutes.

« Nous venons pour apporter une contribution, pas pour faire des miracles », a rappelé Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), dont l’organisation a conduit un véritable plaidoyer en faveur de l’éducation des filles, les 18 et 19 juin. Et c’est tout naturellement au Tchad, plus particulièrement à N’Djamena, que s’est tenue cette conférence internationale, tant le pays fait figure de mauvais élève dans la scolarisation des filles et la formation des femmes. Au Tchad, plus de 80% des femmes sont analphabètes et l’indice de capital humain est le plus bas du monde.

Ministres, députés, ambassadeurs, représentants des grandes institutions internationales, experts… Au total, plus de 400 participants, venus d’une trentaine de pays de l’espace francophone, ont répondu à l’appel de l’OIF, pour échanger sur les stratégies à mettre en place et réduire les inégalités entre les sexes en matière d’éducation, qui sont un frein massif au développement des pays.

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Si l’organisation n’a qu’un rôle « d’accompagnement des États », selon Louise Mushikiwabo, l’OIF a tiré trois recommandations principales de ces rencontres : mieux recenser les statistiques liées à l’éducation des filles et des femmes, renforcer la formation des enseignants, et coordonner les actions entre acteurs en « diffusant les bonnes pratiques ».

Frein au développement

Car les défis, dans la zone subsaharienne, sont nombreux. Selon l’Unesco, c’est la région du monde qui possède les taux les plus bas d’accès à la scolarisation. Au sud du Sahara, neuf millions de filles de 6 à 11 ans n’iront jamais à l’école. « Au Tchad, l’éducation des filles représente un très grand défi, mais le pays avance à petits pas », a déclaré Aïcha Bah Diallo, vice-présidente du comité scientifique pour l’OIF. « C’est un moyen de montrer aux Tchadiens que d’autres pays, confrontés à des situations similaires, ont pu progresser sur ces sujets », a précisé le responsable d’une institution financière.

L’éducation des filles est l’épine dorsale du développement durable

Pour Aïcha Bah Diallo, ancienne ministre guinéenne de l’Éducation, et militante de la première heure des droits des femmes, favoriser l’éducation des filles constitue l’« épine dorsale du développement durable ». Celle qui fut également conseillère spéciale du directeur général de l’Unesco pour l’Afrique est intarissable sur les bénéfices d’une meilleure éducation des filles : diminution des maladies infantiles, des grossesses précoces, des mutilations génitales, mais aussi développement économique et amélioration des systèmes éducatifs dans leur ensemble.

Collégiennes à la sortie des cours à Abidjan, Côte d'Ivoire. © Jacques Torregano / JA

Collégiennes à la sortie des cours à Abidjan, Côte d'Ivoire. © Jacques Torregano / JA

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« Au Tchad, il y a une véritable volonté politique » des gouvernements de prendre le problème à bras-le-corps, a assuré la militante. Mais avec quels moyens ? Le Partenariat mondial pour l’éducation recommande que chaque pays dépense au minimum 20% de son budget dans le secteur de l’éducation. Selon l’organisme, en 2013, le Tchad n’en dépensait que la moitié.

« L’environnement économique et sécuritaire de la sous-région n’a pas permis de mettre autant de moyens que nécessaire dans le secteur », a justifié Aboubakar Assidick Tchoroma, le ministre tchadien de l’Éducation nationale. Dans un pays où 30% du budget est consacré à la sécurité, difficile de trouver les financements nécessaires pour le secteur éducatif. Cette conférence serait-elle l’occasion pour le président tchadien Idriss Déby Itno, qui en a présidé les cérémonies d’ouverture et de clôture, d’inverser une tendance défavorable ?

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« L’Hydre aux milles têtes »

Menacé à ses frontières par le contexte instable de ses voisins, le Tchad « ajuste ses dépenses sociales sur les dépenses de sécurité », a expliqué Marie-Pierre Nicollet, directrice de la transition démographique et sociale à l’Agence française de développement (AFD). « Il court surtout, comme d’autres pays sahéliens, Niger en tête, après une pression démographique intense. » Selon certaines expertises, le Tchad, peuplé aujourd’hui de 15 millions d’habitants, pourrait en abriter plus de 100 millions à la fin de la décennie.

Maintenir leurs filles à l’école devient une question délicate pour les parents, dans des pays où le contrôle social du corps des femmes demeure extrêmement fort

La responsable de l’AFD a cependant dressé un bilan positif des efforts réalisés sur le continent. « Certes, les situations sont très contrastées entre certains pays comme le Rwanda, des pays intermédiaires comme le Sénégal, et certains pays du Sahel. Mais les États du continent, y compris les plus pauvres, ont fait des efforts spectaculaires pour améliorer leur taux de scolarisation dans le primaire. Aujourd’hui, c’est au collège que le décrochage scolaire se fait, quand les filles rentrent dans la puberté. »

« Maintenir leurs filles à l’école devient une question délicate pour les parents, dans des pays où le contrôle social du corps des femmes demeure extrêmement fort », a-t-elle expliqué, mentionnant également le niveau de pauvreté comme un facteur. « Plus un pays a de moyens, plus les discriminations envers les filles se résorbent. Mais elles finissent toujours par réapparaître sous une autre forme, de manière qualitative. En France par exemple, il nous faudrait encore cinquante ans, au rythme où vont les choses, pour atteindre la parité au sein de l’école Polytechnique. C’est l’Hydre aux milles têtes, vous coupez une tête, et l’inégalité resurgit ailleurs ».

>>> À LIRE – Rwanda : ces femmes d’influence qui incarnent la parité

Baptême du feu

Le pays d’origine de la secrétaire générale de la Francophonie Louise Mushikiwabo fera-t-il mentir ces prédictions ? En matière de parité, le Rwanda fait sans nul doute figure de bon élève, avec plus de 98% de filles scolarisées dans l’enseignement primaire en 2018. « Au Rwanda, on a déjà constaté l’impact de l’investissement de l’État pour les filles », se réjouit le Premier ministre Édouard Ngirente. Les résultats du pays en termes de parité feraient pâlir d’envie bien des pays membres de la Francophonie, au Sud comme au Nord : 50% des postes ministériels y sont réservés aux femmes, et 61% des sièges parlementaires.

« Un pays ne peut pas avancer en laissant derrière 50 % de sa population et c’est le cas de plusieurs de nos États francophones », n’a pas manqué de rappeler Louise Mushikiwabo. « J’ai fait de la cause des femmes une priorité de mon mandat », a promis la Rwandaise. L’organisation de cette conférence, premier grand événement au contenu inédit pour l’OIF, avait une allure de baptême du feu pour la nouvelle dirigeante de l’organisation, nommée en octobre dernier.

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