Il suffisait d’y penser

Publié le 24 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

J’ai toujours été un bon citoyen. Le bon citoyen se rend aux urnes à chaque consultation électorale. Et on peut dire que nous n’en manquons pas. Nous avons les présidentielles (tous les quatre ans), les législatives (tous les trois ans), les sénatoriales (tous les six ans), les régionales, les municipales, sans compter des référendums occasionnels. Si je dois m’absenter, je vote par procuration. Or, en trente années de bons et loyaux services en tant qu’électeur, j’ai vu fondre les « suffrages exprimés ». Autrement dit, les abstentions augmentaient de façon exponentielle. On en arrivait à une situation telle que les deux tiers, voire les trois quarts des inscrits ne se déplaçaient plus pour exprimer un choix qui, en dernière analyse, les concerne tout autant que les votants.
C’est alors qu’une idée que je n’hésite pas à qualifier de géniale a germé chez un obscur sous-secrétaire d’État. Une idée si lumineuse qu’elle s’est imposée en quelques mois à ceux qui nous gouvernent. Le postulat de base ? Pour attirer les votants, il faut déclencher chez eux le désir d’exprimer leur suffrage. Corollaire : l’élection doit promettre une satisfaction tangible et immédiate, donc exercer un fort pouvoir d’attraction.
En dehors des grands événements sportifs, qu’est-ce qui attire le plus les foules ? Réponse : les foires-expositions. La preuve ? Le public s’y rend en masse alors même que l’entrée en est payante. Il y trouve, selon le type de manifestation, l’état le plus récent des produits dans un domaine donné : automobile, bureautique, alimentation, mode, etc., et un choix incomparable grâce à la multiplicité des fabricants qui exposent.
Donc exposons tous ensemble et de façon attrayante les candidats aux élections. Organisons des foires aux candidats. Brochures, prospectus, casquettes, autocollants, badges – ne lésinons pas sur les moyens. Et, cela va sans dire, l’entrée est gratuite. La grande, l’immense nouveauté ici, c’est le choix. Au rancart les grands meetings unitaires, les tournées électorales, les promenades éclairs sur les marchés. Foin des poignées de main et des bises aux marmots sous la protection musclée de gardes du corps. Ici, tout l’éventail des partis est déployé : au citoyen de visiter chaque stand, de constater ce qu’offre telle formation confrontée à sa voisine directe, d’aller voir plus loin, de revenir, de déambuler au milieu du paysage politique national étalé sous ses yeux.
Et je vous prie de me croire : non seulement nos foires aux candidats fonctionnent, mais, année après année, elles attirent une affluence toujours plus grande.
Quel bénéfice pour la démocratie ? me dites-vous. Vous m’indiquez ainsi que j’ai oublié le principal : avant de sortir de la foire, chaque visiteur dépose dans une des urnes disposées de part et d’autre des portes le bulletin du candidat de son choix. En le glissant dans la fente d’une urne, il reçoit sur sa main une giclée d’encre qui demeure indélébile pendant douze heures. Et, une fois qu’il est sorti, au vu de sa main momentanément tatouée, des bénévoles lui remettent… un petit pécule différent selon la consultation. L’élection présidentielle est ainsi plus chèrement rétribuée que les municipales. Charge suprême oblige.
Mais tout cela coûte cher, et même très cher. L’objection serait valable si l’inventeur de la formule, l’obscur sous-secrétaire d’État évoqué au début de ce récit, n’avait pensé à tout : l’État s’y retrouve largement puisqu’il n’a plus à prendre en charge, outre les frais de campagne des élus lorsque ceux-ci ont obtenu un certain pourcentage des votes, la logistique : isoloirs, panneaux électoraux, chauffage des salles en hiver, etc.
Il apparaît même qu’au terme des trois prochaines consultations, le bénéfice pourrait servir à renflouer totalement la branche assurance-maladie de la Sécurité sociale, qui souffre actuellement d’un déficit abyssal.
Alors, citoyennes, citoyens, tous aux urnes ! Et bonne santé !

Ancienne collaboratrice de Jeune Afrique/l’intelligent, Maud Sissung est traductrice (Racines d’Alex Haley, L’Odyssée noire de Nathan I. Huggins…).

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