Et maintenant ?

Publié le 24 janvier 2005 Lecture : 6 minutes.

Voici quelques clés pour permettre de mieux comprendre ce qui va se passer – ou risque de se passer – en Côte d’Ivoire dans les semaines et les mois à venir.

Mbeki. Après deux mois de médiation, le président sud-africain donne un peu l’impression de faire du surplace. Mais Thabo Mbeki est déterminé, il veut aboutir. Question de crédibilité interne et externe, mais aussi afin de conforter son action stabilisatrice en RD Congo, qui est pour lui et son pays un enjeu beaucoup plus important que la Côte d’Ivoire. Au passage, il ne lui déplairait pas de ramener à plus de modestie ceux de ses pairs francophones qui ne souhaitent pas sa réussite (« Laissons-le se fracasser sur la réalité », a dit l’un d’eux). Mbeki travaille main dans la main avec le président de la Commission de l’Union africaine Alpha Oumar Konaré, et le courant entre lui et Paris passe beaucoup mieux qu’on ne le croit. Les ministres des Affaires étrangères, Michel Barnier et Nkosazana Dlamini-Zuma, se sont ainsi rencontrés à ce sujet début janvier à l’aéroport de Bruxelles : « Le contact est fluide », assure-t-on de part et d’autre. Mbeki ayant avalisé les conclusions du sommet de l’UA à Libreville, le 10 janvier, et notamment le référendum comme « l’une des options » pour abroger l’article 35 de la Constitution, il estime que la balle est désormais dans le camp des ex-rebelles des Forces nouvelles. Selon le plan sud-africain, les FN devront commencer leur cantonnement et leur désarmement le 6 février. Problème : Guillaume Soro et ses amis, qui n’ont aucune confiance dans les Casques bleus de l’Onuci pour les protéger et qui craignent en permanence de se faire « rouler dans la farine » par Laurent Gbagbo, refusent. Que fera Mbeki si cette situation persiste ? Deux solutions : user de la force – mais il faudrait pour cela une modification du mandat onusien sous lequel sont placés et l’Onuci et les Français du contingent Licorne, ce qui est loin d’être acquis. Soit mettre en oeuvre, de façon ciblée, les sanctions personnelles prévues par la résolution 1572 du Conseil de sécurité en date du 15 novembre 2004, dont l’entrée en vigueur a été différée à sa demande et à celle de Konaré pour maintenir une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête des récalcitrants.

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Sanctions. Le volet personnel des sanctions onusiennes – gel des avoirs à l’étranger et interdiction de voyager – est prêt, mais il est plus complexe qu’on le croyait. Il existe en effet deux listes de « sanctionnables » ivoiriens. La première, longue de 194 noms, constitue la fameuse annexe secrète du rapport de la commission d’enquête de l’ONU sur les violations des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, dit « rapport Harbour ». Dans les jours à venir, cette annexe sera communiquée de visu aux ambassadeurs des pays membres du Conseil de sécurité par Kofi Annan : ils pourront en prendre connaissance, mais n’auront pas (encore) le droit de la photocopier, encore moins de la distribuer. Sur cette première liste, qui peut entrer en application d’un jour à l’autre, figurent essentiellement des exécutants, voire des lampistes : journalistes des « médias de la haine », exécuteurs de basses oeuvres, nervis, sous-officiers -, mais aussi quelques-uns de leurs commanditaires directs. Beaucoup plus politique, la seconde liste, dont l’élaboration a été confiée à un comité ad hoc du Conseil de sécurité placé sous la présidence des ambassadeurs d’Allemagne, puis de Grèce, recense tous ceux qui « constituent des obstacles au processus de paix ». C’est là que l’on trouve les personnalités, ministres et chefs de guerre. Seule une poignée de noms figure sur les deux listes à la fois. Il est intéressant de noter que ces listes ne sont pas des « tout ou rien ». Elles sont modulables et applicables (ou non) à l’envi. Un Guillaume Soro peut ainsi être frappé, par exemple, et non un Mamadou Koulibaly – ou l’inverse. Tout dépend de l’opportunité. Elles ne sont pas, non plus, fermées : on peut y ajouter un nom à tout moment, en retirer aussi. L’entrée en application de ce volet de la résolution 1572 ayant été retardée sur l’insistance de l’UA et de Thabo Mbeki (Kofi Annan aurait, lui, souhaité une mise en oeuvre plus rapide), elle le sera « dès qu’ils le demanderont », dit-on à New York.

ONU. Le secrétariat général n’a toujours pas trouvé de successeur au Béninois Albert Tévoédjrè au poste de représentant spécial de Kofi Annan à Abidjan. Plus que pressenti, puisqu’il a été présenté par Annan lui-même, dont il était le choix, l’ancien ambassadeur du Maroc à Paris, Hassan Abouyoub, a finalement été récusé par… Laurent Gbagbo. Motif : trop profrançais. Le tour de piste a donc recommencé, et à nouveau resurgit le nom du Tunisien Habib Ben Yahia. Autre possibilité avancée à Paris et à New York : un diplomate américain.

Référendum. Si la consultation populaire sur l’abrogation de l’article 35 se tient – ce qui est plus qu’hypothétique -, ceux qui à Paris suivent de près le dossier ivoirien estiment qu’elle se soldera par un score de 60 % à 70 % en faveur… du maintien en l’état dudit article. « La question qui sera posée sera interprétée ainsi par l’électorat : « Voulez-vous qu’un non-Ivoirien vous dirige ? » » assure l’un de ceux qui font la politique africaine de la France « dès lors et même si Gabgbo fait campagne du bout des lèvres pour le oui – ce qui m’étonnerait – la réponse sera : non. Évidemment, cela ne réglerait rien de la crise ivoirienne ».

Élections. Alan Doss, le représentant spécial adjoint de Kofi Annan à Abidjan, l’a dit, il y a quelques jours : « Chaque semaine qui passe rend les échéances d’octobre 2005 encore plus difficiles à tenir. » Il faut six à dix mois entre le début du processus d’identification du corps électoral et l’élection. Or la phase de pré-identification, c’est-à-dire le cantonnement et le désarmement, n’a pas encore commencé : nul besoin, dès lors, d’être grand clerc pour prédire qu’il n’y aura ni présidentielle en octobre, ni législatives en décembre comme prévu dans le calendrier de Marcoussis et d’Accra. Dans ce cas, Laurent Gbagbo restera en place, conformément à la Constitution, jusqu’à ce que son successeur soit nommé. Dans ce cas surtout, se préciserait un scénario que beaucoup redoutent : deux États hostiles à l’intérieur d’un même pays, vivant l’un et l’autre sous état d’urgence et régis par des semi-dictatures.

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Licorne. C’est le 4 avril prochain que le mandat qui fait du contingent français une force d’appui à l’Onuci prendra fin. En principe, le Conseil de sécurité de l’ONU devrait le renouveler, mais tout dépend de Paris, qui estime qu’il est plus urgent de renforcer le contingent de l’Onuci en le faisant passer à douze mille hommes que de perpétuer la présence française en dehors de la base de Port-Bouët. L’hypothèse d’un retrait total des Français de Côte d’Ivoire n’est d’ailleurs plus un sujet tabou à Paris. La tentation existe, y compris, dit-on chez Jacques Chirac lui-même.

Abidjan-Paris. L’une des raisons de cet ivoiro-pessimisme est le fait que les Français estiment que la quasi-totalité des leaders d’opinion de part et d’autre de la ligne de démarcation sont « hors contrôle et hors logique ». La France n’a pas (ou plus) d’homme sur qui compter – ou si peu – en Côte d’Ivoire. Un peu comme les Britanniques au Zimbabwe, la situation échappe à l’ancienne puissance coloniale. Paris n’a ainsi pratiquement plus de contacts directs avec les Forces nouvelles, si ce n’est par des messages transmis via Henriette Diabaté, sur le thème : « Votre intransigeance fait le jeu de Gbagbo. » Quant à ce dernier, il a été joint au téléphone fin décembre par Michel Barnier et début janvier par Michel de Bonnecorse. Le « monsieur Afrique » de l’Élysée lui a présenté ses condoléances suite au décès de son père, un ancien tirailleur de l’armée française. Sans plus. Jacques Chirac, lui, n’a plus parlé à Laurent Gbagbo depuis le 31 octobre, il y a presque trois mois. Décidément la Françafrique d’Houphouët est bien morte…

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