D’où vient le mot Tabaski ?
Question de Robert Verdant, Cointrin, Suisse
Le 20 janvier, les musulmans ont célébré la fête annuelle de l’Aïd al-Adha (littéralement, « fête du sacrifice »), qui commémore l’alliance d’Ibrahim (l’Abraham des juifs et des chrétiens) avec Dieu. Elle est marquée traditionnellement par l’immolation
d’un mouton, voire d’une chèvre ou d’un veau seuls les chevaux, les ânes et les chameaux ne peuvent être sacrifiés.
La fête, qui a lieu le dixième jour de dhou l-hijja, le douzième mois du calendrier de l’Hégire, soit cinquante jours après la fin du ramadan, signe la fin du pèlerinage à La Mecque. Si le rite est à peu près le même dans toute l’immensité du monde musulman, les appellations de cette fête sont très variables.
Au Maghreb, Aïd al-Adha est appelé Aïd el-Kebir (« grande fête »). En Asie, on parle de Bayram alors qu’en Afrique de l’Ouest on rencontre les expressions Dyuulde Layya des Peuls et Idi-n Layya des Haoussas. Mais c’est le mot Tabaski, emprunté aux Wolofs, qui connaît le plus grand succès dans les pays de l’aire soudano-sahélienne, du Sénégal au Tchad, en passant par le Mali, le Burkina et le Niger. Ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que les Wolofs ont adopté l’islam dès le XIe siècle et que le Sénégal, enfant
chéri de la colonisation française, a été le pôle de référence de la région pendant plusieurs siècles.
L’islam, comme dans beaucoup d’autres endroits, s’est adapté aux circonstances locales. La structure fortement hiérarchisée des confréries et le poids des marabouts sont ainsi le reflet de la société wolof traditionnelle. Ce phénomène d’acclimatation est très net sur le plan lexical. Au Sénégal, les fêtes ont des noms wolofs, et le calendrier islamique a été complètement « wolofisé ». Muharram, qui marque le début de l’année
musulmane, est devenu Tamxaritt. Ramadan se dit Koor. La fête et le mois concerné sont parfois confondus. La naissance du Prophète (Mawlid, en arabe) se situe dans le mois de gamu (rabi’ al-awwal, en arabe), un terme qui désigne également des manifestations religieuses locales telles que le pèlerinage annuel à Tivaouane, ville où repose El Hadj Malik Sy, l’homme qui a implanté la confrérie tidjane au Sénégal à la fin du XIXe siècle. Quant à la Tabaski, c’est à la fois le mois du pèlerinage à La Mecque et la fête du sacrifice.
Beaucoup de Sénégalais ont oublié ce vocabulaire. Dans les villes, on utilise désormais
un calendrier emprunté au français. Janvier se dit saawye, février fewarye, décembre
desaambar. Pour en revenir à la Tabaski, les historiens s’accordent à rapprocher ce mot de tifeski, nom du printemps en Mauritanie. Selon un auteur très sérieux, le professeur
Raymond Mauny, qui a occupé l’une des premières chaires d’histoire de l’Afrique en France, le mot tabaski viendrait du berbère ce qui confirme le rapprochement avec la Mauritanie, puisque les Maures sont essentiellement des Touaregs arabisés où il aurait été inspiré du latin pasqua, « pâques », lui-même issu de l’hébreu pesakh. Ce qui nous rappelle qu’une partie des Berbères est longtemps restée fidèle à la religion juive.
Si la Pâque juive commémore l’exode d’Égypte et les Pâques chrétiennes la résurrection du Christ, entre ces fêtes et celle du sacrifice d’Ibrahim il y a bien un point commun : la consommation de viande de mouton.
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