Des armes, pour quoi faire ?

Depuis la levée de l’embargo, les marchands de canons retrouvent le chemin de Tripoli.

Publié le 24 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

C’est reparti ! La Libye redevient un marché d’armements lucratif. C’est la conséquence directe de la suspension, en 2000, suivie de la levée définitive, en 2003, de l’embargo de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur les ventes d’armes à la Libye, en vigueur depuis 1992, ainsi que de l’abrogation, en octobre 2004, de celui qu’avait décrété l’Union européenne (UE) en 1986.
Entre 1973 et 1991, Mouammar Kadhafi s’est doté d’un important arsenal d’armes conventionnelles dans lequel il a investi, au bas mot, 27 milliards de dollars, payés pour près de la moitié à l’ex-Union soviétique. Impressionnants par leur nombre (400 avions de combat, 2 020 tanks, 2 000 pièces d’artillerie, plus de 500 mortiers, des missiles Frog-7 et Scud B, 41 hélicoptères d’attaque, 6 sous-marins, etc.), les équipements de l’armée libyenne, en l’absence de personnel capable d’en assurer la maintenance, sont quasiment inopérants depuis une vingtaine d’années. La situation n’a fait que s’aggraver avec l’embargo européen, puis onusien, qui a interdit toute importation de pièces de rechange. Certes, le marché noir a pallié cette pénurie, mais de façon très imparfaite, de sorte qu’au fil du temps une bonne partie de cet équipement s’est transformé en amas de ferraille. La plupart des avions sont incapables de franchir les limites de leurs abris ou parcs de stationnement. Plus de la moitié des tanks sont immobilisés à jamais. Les fameux avions Mirage achetés en France dans les années 1970 sont devenus des pièces de musée ; trente-cinq d’entre eux ont été bradés à l’armée pakistanaise qui s’en sert pour récupérer des pièces de rechange. Sur six sous-marins achetés, un seul est, prétendument, en service. En 2004, l’état de vétusté des armes libyennes était tel que les experts militaires confiaient, avec ironie, que « la Libye n’avait pas de forces militaires modernes, mais une farce militaire moderne ».
Ce désarmement de fait a connu son épilogue officiel lorsque Kadhafi, en 2004, a renoncé à son programme secret de fabrication d’armes de destruction massive et livré tous les documents, équipements et matières acquis pour le développer. En retour, la Libye est devenue « fréquentable » et peut donc reconstituer son arsenal.
Déjà en pourparlers avec Tripoli pour des ventes d’armes, l’Italie et la Grande-Bretagne sont les pays de l’UE qui ont le plus milité pour la levée de l’embargo. Le président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, visiteur régulier de la Libye où son pays a également de gros intérêts pétroliers et gaziers, veut pourvoir Tripoli en hélicoptères militaires, en systèmes de communication, en patrouilleurs rapides et en équipements de vision de nuit, sous le prétexte de doter les gardes-côtes libyens de moyens pour lutter contre l’émigration clandestine vers l’Italie. Le Premier ministre britannique Tony Blair, qui a rendu visite à Kadhafi en mars 2004, favorise discrètement les discussions en cours depuis plusieurs années entre British Aerospace Systems et les Libyens, qui, dit-on, seraient intéressés par les avions militaires produits par la compagnie britannique.
Pour ce qui est de la France, grand fournisseur dans les années 1970, la question des ventes d’armes n’a pas été évoquée lors de la visite du président Jacques Chirac en Libye, même si quelques représentants d’entreprises liées à l’armement figuraient dans la délégation qui l’accompagnait. Des rumeurs non confirmées font néanmoins état d’une prochaine visite à Tripoli de Michèle Alliot-Marie, ministre française de la Défense. La Pologne, elle aussi fournisseur de la Libye, du temps de la guerre froide, veut apparemment reprendre pied au pays de Kadhafi. En visite à Tripoli le 7 janvier, le Premier ministre polonais Marek Belka a indiqué que les perspectives pour établir une coopération en matière de défense entre les deux pays étaient bonnes et devraient inclure la modernisation de la flotte d’hélicoptères MI-2 de l’armée libyenne. La livraison d’armes aurait également été évoquée en marge de la visite, en décembre, du Premier ministre canadien Paul Martin.
Cela dit, il est clair que, jusque-là, la Libye n’a pas encore trouvé un pays susceptible de remplacer l’ex-Union soviétique en tant que principal fournisseur. Les pays actuellement sur les rangs ne seraient pas prêts à lui fournir des modèles sophistiqués, surtout en matière d’armes offensives. La Russie et l’Ukraine se cantonnent, pour le moment, à la fourniture de pièces de rechange et à la modernisation du matériel de fabrication soviétique acquis il y a une vingtaine d’années. En matière d’exportation d’armes, les pays de l’Union européenne sont tenus de respecter un code de conduite assez limitatif quand il s’agit de pays peu respectueux des droits de l’homme, comme c’est le cas de la Libye. La Grande-Bretagne elle-même, tout en levant l’embargo, a donné à ses marchands d’armes des instructions restrictives.
Commerce oblige, toutefois, aucun de ces pays n’a abordé l’épineuse question de savoir pourquoi le pays de Kadhafi aurait encore besoin de dépenser des sommes folles pour acquérir des armes sophistiquées qui, tôt ou tard, iront rejoindre le parc à ferraille actuel. Après tout, la Libye n’est menacée par aucun de ses voisins et, à l’intérieur, le risque est nul, puisque, à en croire le Guide de la révolution, « c’est le peuple qui détient le pouvoir et les armes ».

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