Autopsie d’un crime

Comment la violence de l’apartheid engendre, chez un métis rejeté par les siens, la folie et la mort.

Publié le 24 janvier 2005 Lecture : 2 minutes.

La Bouche pleine de verre est bien plus que la biographie de Démétrios Tsafendas. L’homme qui, le 6 septembre 1966, a poignardé Hendrik Verwoerd, Premier ministre sud-africain qui restera dans l’histoire comme l’architecte de l’apartheid. À la police, Démétrios déclarera qu’un ver dans son ventre lui avait dicté cet assassinat.
Plutôt que d’interpréter ce meurtre comme le symptôme d’un malaise social, l’Afrique du Sud officielle niera sa dimension politique pour n’y voir que le geste fou d’un déséquilibré. Ce qui vaudra à Démétrios Tsafendas d’échapper à la peine capitale et de croupir, jusqu’à sa mort, fin 1999, de cellule de prison en hôpital psychiatrique.
Si la psychologie criminelle vous fascine, vous serez happé par ce récit qui déroule la destinée de son personnage comme pour démontrer par quel fatal enchaînement on devient assassin, et le passé d’une nation comme pour expliquer le terreau sur lequel pousse une violence extrême.
Né en 1918 à Lourenço-Marques, au Mozambique, des amours illégitimes d’un père crétois et d’une mère mozambicaine, Démétrios sera rapidement rejeté par son père, Michaëlis, qui convole en justes noces avec Marika, comme lui grecque d’origine, et s’établit avec sa nouvelle famille à Pretoria. À cause de la discrimination raciale en Afrique du Sud, Michaëlis préférera envoyer son fils métis à Alexandrie, chez sa grand-mère paternelle. Ce rejet constituera pour Démétrios, qui ignore encore que sa mère est une femme noire, une sorte de blessure originelle qui, infailliblement, le condamnera à une exclusion et un exil éternels. Partout où il ira, on lui claquera la porte au nez. Il aura beau sillonner le monde, encombré de son inconsolable désir d’appartenance, il ne trouvera sa place nulle part. Des cinq langues qu’il pratique, il n’en parle d’ailleurs aucune correctement.
Une fois adulte, il tentera à maintes reprises de s’installer en Afrique du Sud, où vivent les membres de sa famille et où, à l’instar de Henk van Woerden, l’auteur de ce roman, il a passé son adolescence, mais en sera expulsé autant de fois. Il parviendra finalement à obtenir un permis de séjour et, occultant ses origines, parviendra même à décrocher un emploi au Parlement – promotion inespérée pour un métis au temps de l’apartheid. Il ne pouvait pas être plus près de Hendrik Verwoerd, l’homme dont la politique l’a condamné à vivre loin des siens, dans une errance tant géographique que psychologique. Inévitablement, à la première occasion, il le tue.
Troisième roman de Henk van Woerden, écrivain et peintre néerlandais, La Bouche pleine de verre se situe comme les précédents en Afrique du Sud, « rien n’est simple, tout a une dimension raciale, même la folie ». À travers le parcours de Démétrios, van Woerden ne retrace pas seulement le passé récent de cette nation, mais aussi sa propre relation avec un pays dont le sordide épisode de l’apartheid l’obsède.

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