[Édito] Tant que Bamako respire, le Mali vit
Je reviens de Bamako. Hormis les barrages nocturnes et les lourdes chicanes de métal qui encagent hôtels et restaurants dans la capitale malienne, rien ou presque n’indique que nous sommes ici au cœur d’un pays en état de guerre.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 23 juin 2019 Lecture : 4 minutes.
Dans le hall climatisé du Sheraton, dernier-né impersonnel des établissements de luxe bamakois, une délégation du FMI venue de Washington croise la troupe bodybuildée du chanteur franco-ivoirien Vegedream et de la rappeuse belgo-congolaise Shay, prêts à enflammer le Palais des sports. Tout juste descendu de sa suite, le ministre burkinabé de la Sécurité, le très sankariste colonel Ousseini Compaoré, se rend à son audience avec le président Ibrahim Boubacar Keïta, suivi de peu sur la colline de Koulouba par son collègue algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum.
Dehors, sous la chaleur épaisse annonciatrice des premières pluies de l’hivernage, la procession des mototaxis forme une chenille incessante le long des trois ponts qui enjambent le fleuve. Sur un mur du quartier de Hamdallaye, une affiche enjoint aux Aigles du Mali de « ramener à la maison » la Coupe d’Afrique de football, qui s’ouvre ce 21 juin en Égypte. Le soir, Novelas, Bollywood et – pour ceux qui la captent – la série sénégalaise Maîtresse d’un homme marié scotchent les téléphages devant leurs écrans. Bamako, la ville aux trois caïmans, c’est Africa as usual…
Archétype de la nouvelle génération de hauts responsables maliens, Boubou Cissé devrait apporter au régime la capacité d’anticipation qui lui faisait défaut
Politesse du désespoir ? Il faut un peu de temps au Premier ministre, Boubou Cissé, que je rencontre dans son bureau de la cité ministérielle offerte par Kadhafi à l’époque de sa splendeur, pour aborder l’extrême gravité de la situation sécuritaire de son pays.
Ce docteur en économie de 45 ans, ancien de la Banque mondiale, né d’un père peul et époux d’une fille de notable touareg du Niger, est un cas rare au Mali. Que ce soit en 2013, quand IBK l’a appelé à ses côtés ou en avril dernier, lorsque ce dernier l’a nommé à la primature, il n’a rien demandé, on est venu le chercher. Succéder dans des circonstances complexes à l’un des animaux politiques les plus doués (et les plus redoutés) du Mali, l’inoxydable Soumeylou Boubèye Maïga, à qui il voue une réelle admiration, n’est pas tâche aisée pour ce technocrate. Archétype de la nouvelle génération de hauts responsables maliens, Boubou Cissé devrait pourtant apporter au régime la capacité d’anticipation qui lui faisait défaut.
Il pourra en cela compter sur quelques personnalités marquantes au sein d’un gouvernement largement renouvelé au début de mai : le magistrat Malick Coulibaly, profilé droits de l’homme (Justice), l’ancien patron d’Onusida pendant dix ans Michel Sidibé (Santé) et bien sûr Tiébilé Dramé aux Affaires étrangères. Opposant migrateur à la faveur de l’accord politique de gouvernance conclu en avril et déjà critiqué pour cela par d’ex-ministres ayant pris le chemin inverse, tels Mountaga Tall et Choguel Maïga, Dramé est l’un des plus fins connaisseurs des problématiques du Nord et du Centre malien.
Lueur de sortie de crise
C’est dans un salon de l’aéroport Modibo-Keïta de Bamako qu’entre deux avions l’ancien bras droit de Soumaïla Cissé dissèque au scalpel le maquis des milices, des groupes jihadistes et des factions séparatistes. Avec, en arrière-fond, l’odeur de brûlé des villages martyrs, les couleurs du drapeau malien flottant depuis peu sur Kidal et ce dialogue national inclusif prévu pour septembre dont la coordination a été confiée par IBK à l’ancien haut fonctionnaire onusien Cheikh Sidi Diarra – frère cadet de l’astrophysicien Modibo Diarra –, dialogue en lequel il n’est pas interdit de percevoir une lueur de sortie de crise.
Abordera-t-on, au cours de cette vaste concertation, la question que tout Bamako se pose, celle de l’ouverture de canaux de négociation avec les jihadistes ? Attablé dans un petit hôtel-restaurant de la rive gauche du Niger, mon interlocuteur l’ignore mais se demande, comme moi, ce qu’il y a à négocier avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa : la laïcité ? La forme républicaine de l’État ? L’application de la charia ? La liquidation des élites maliennes « apostates » ?
Prompts à embraser toutes les frustrations, les pyromanes de la « ruecratie » recrutent à visage découvert
Il faut dire que Mahamat Saleh Annadif, chef de la Mission des Nations unies au Mali, sait de quoi il parle. À 62 ans, cet Arabe tchadien a connu les maquis, les maroquins ministériels, les lambris de l’Africa Hall et même la case prison avant de diriger avec maestria depuis quatre ans la plus létale des opérations de paix de l’ONU. Cent cinquante casques bleus tués à ce jour (dix fois plus que les pertes françaises de l’opération Barkhane), 1,2 milliard de dollars par an, près de six mille hommes déployés à travers le Mali – y compris dans les régions de Mopti et de Ségou, épicentres des massacres.
Dissoudre dans le développement la violence quotidienne
Ce diplomate tout-terrain, ex-directeur de cabinet d’Idriss Déby Itno, avait réussi l’exploit de réunir secrètement chez lui en pleine crise postélectorale de 2018, le Premier ministre Boubèye Maïga et le candidat de l’opposition Soumaïla Cissé pour un tête-à-tête qui permit sans doute d’éviter le pire. Alors, quand des leaders d’opinion embrasent les rues de Bamako en mettant en doute la volonté de ses soldats (et du contingent français) à prendre de vrais risques pour protéger les civils, il s’insurge contre les adeptes pyromanes de la « ruecratie », prompts à manipuler toutes les frustrations.
Nul n’ignore en effet que les racines du mal malien plongent dans un océan d’inassouvissement au sein duquel terroristes, petits seigneurs de milice, narcotrafiquants et entrepreneurs en religion puisent à loisir. Parmi les milliers de cadets sociaux qui alimentent les rangs de la nébuleuse jihadiste malienne, rares sont ceux dont la motivation n’est pas avant tout alimentaire. S’il veut, à l’issue de son second et dernier mandat, tordre le cou aux cassandres qui se multiplient et sortir de l’Histoire par la grande porte, IBK n’a pas d’autre option que de dissoudre dans le développement la violence quotidienne.
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