Vingt ans, vingt dates
Retour sur quelques-uns des principaux événements qui ont marqué deux décennies de « Changement ».
Pour parler des vingt dernières années de la Tunisie sans tomber dans une compilation fastidieuse de données chiffrées, nous avons fait un choix simple : sélectionner vingt événements significatifs et en évaluer la portée.
En 1987, Zine el-Abidine Ben Ali, Premier ministre de Habib Bourguiba, prend toute la mesure de la zizanie qui régnait au sein du palais présidentiel et qui menaçait la sécurité du pays. La Constitution prévoyant qu’en cas d’incapacité du président à exercer ses fonctions le Premier ministre lui succède automatiquement, Ben Ali fit ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’osa même envisager : déposer Bourguiba, alors âgé de 84 ans, sur la foi d’un document, signé par des médecins, attestant qu’il n’était plus apte à présider aux destinées du pays. C’est le coup d’État médical du 7 novembre 1987 et la fameuse déclaration radiodiffusée de Ben Ali, avec ces premiers mots lourds de sens – et qui le sont encore aujourd’hui : « Notre peuple a atteint un tel niveau de responsabilité et de maturité que tous ses éléments et ses composantes sont à même d’apporter leur contribution constructive à la gestion de ses affaires, conformément à l’idée républicaine qui confère aux institutions toute leur plénitude et garantit les conditions d’une démocratie responsable. [] L’époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie, ni succession automatique à la tête de l’État. [] Notre peuple est digne d’une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de masse. »
27 février 1988
Renaissance du parti-État
Fondé en 1934 par Habib Bourguiba, le Néo-Destour adopte, dès le lendemain de l’indépendance (le 20 mars 1956), les choix économiques du gouvernement. En 1964, il change de nom pour devenir le Parti socialiste destourien (PSD). Nom qu’il conservera même après l’abandon de l’expérience socialiste au début des années 1970. Il faudra attendre le 7 novembre 1987, date de l’éviction de Bourguiba, pour que le PSD fasse enfin son « autocritique » (26-27 février 1988) et accomplisse sa mue en devenant le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Mais, à l’instar de ceux du PSD, les dirigeants du RCD élus ou ministres conserveront leurs fonctions partisanes, d’où la dénomination de parti-État.
2 avril 1989
Premier plébiscite
Avant d’affronter les électeurs, Ben Ali prend le soin de modifier la Constitution – en renforçant ses pouvoirs tout en limitant le nombre de mandats à trois -, mais ne touche pas au code électoral. Résultat, il est le seul à pouvoir se présenter aux présidentielles de 1989 et de 1994. Il est élu et réélu avec plus de 99 % des voix. Pour l’élection de 1999, les candidatures multiples deviennent possibles, mais elles sont strictement conditionnées. Ben Ali l’emporte avec 99,44 % de voix, contre 0,56 % pour ses trois adversaires réunis. Une nouvelle révision de la Constitution (mai 2002) lui permet de se présenter autant de fois qu’il le souhaite jusqu’à l’âge de 75 ans. Le 24 octobre 2004, il gagne face à ses trois rivaux avec 94,5 % de voix. Depuis 2005, les appels se multiplient pour qu’il se présente – une dernière fois – en octobre 2009. Né le 3 septembre 1936, il aura alors 73 ans révolus.
27 juin 1989
Amnistie politique
L’Assemblée nationale vote une loi d’amnistie qui permet de libérer 5 416 prisonniers politiques. Mais la lutte contre tous les « extrémistes » ne cesse pas (loi antiterroriste de 2003). Les grâces présidentielles deviendront périodiques : prisonniers de droit commun, opposants et contestataires (officiellement, il n’y a pas de prisonniers politiques). Plusieurs milliers de détenus ont été libérés depuis 1989, à l’occasion notamment des fêtes de l’Indépendance (20 mars 1956), de la République (24 juillet 1957) et du Changement (7 novembre 1987). Le contingent le plus important a été gracié à la veille du 20 mars 2006 : 1 657 libérations, dont 81 concernent des prisonniers considérés comme politiques : 75 islamistes (dont Hamadi Jebali) et 6 internautes. Le 20e anniversaire du Changement devrait être l’occasion d’une nouvelle grâce d’envergure.
31 octobre 1990
Départ de la Ligue arabe
C’est grâce à la Tunisie que la Ligue des États arabes sauve les meubles, en 1979, après le boycottage arabe de l’Égypte, son pays hôte, qui venait de conclure un traité de paix séparée avec Israël (accords de Camp David). Elle y trouve un siège provisoire, des fonctionnaires compétents et toute la logistique nécessaire (logements et équipements) pour fonctionner sur une durée indéterminée. Dix ans après, l’Égypte réintègre la Ligue. Décidé au terme d’un vote à l’arraché (12 voix sur 21), le retour de l’organisation au Caire se fait dans la précipitation, en quinze jours. Quatre ans après, le 11 juillet 1994, c’est au tour de Yasser Arafat, chef de l’OLP, de quitter Tunis – où il avait trouvé refuge en 1982 – pour s’installer à Ramallah, en Cisjordanie. Et c’est en grande pompe que Ben Ali accueillera le 16e sommet de la Ligue (mai 2004).
4 décembre 1992
Contact avec « les zones d’ombre »
Ben Ali affectionne les visites impromptues dans un lycée, un laboratoire ou un coin perdu de la Tunisie profonde. Le 4 décembre 1992, il prend son hélicoptère. Direction : deux localités montagneuses du Nord-Ouest, Zouakra et Barrama, dans la région de Siliana. Le constat est sans appel : enclavées, les deux zones manquent d’écoles, de logements, de dispensaires, de routes. Pis, les 217 familles n’ont accès ni à l’eau potable, ni à électricité. Impossible de laisser les choses en l’état. Le 8 décembre, Ben Ali décide d’éradiquer toutes « les zones d’ombre » du pays et crée à cet effet un fonds de solidarité nationale (le fameux 26-26). Résultat : le nombre de familles pauvres a reculé, passant de 84 000 en 1995 à 59 000 en 2005. Et le combat contre les inégalités continue.
12 juillet 1993
La femme est l’avenir de l’homme
Depuis la promulgation du Code du statut personnel (CSP), le 13 août 1956, par le président Habib Bourguiba, la Tunisie s’est distinguée dans le monde arabe par sa politique féministe et anti-voile islamique. Ben Ali est allé encore plus loin en ajoutant des droits (garde des enfants, pension alimentaire) et en en renforçant d’autres (modalités du divorce, droit de demeurer dans le domicile conjugal). Plus particulièrement, la loi du 12 juillet 1993 érige la mère en chef de famille, avec le droit de représenter ses enfants dans une série d’actes juridiques de la vie quotidienne. Autre mesure phare : une Tunisienne mariée à un étranger peut désormais transmettre automatiquement sa nationalité à ses enfants, même si ces derniers sont nés à l’étranger.
20 mars 1994
L’opposition entre enfin au Parlement
Le scrutin électoral – majoritaire à un tour – accorde logiquement les sièges de députés au parti majoritaire En 1989, malgré les 20 % de voix qu’elle a récoltés, l’opposition ne dispose d’aucun siège. En 1993, un premier geste accorde 19 sièges aux partis minoritaires (le nombre de députés passant de 144 à 163). Pour la première fois, quatre partis de l’opposition sont représentés à l’Assemblée (élections législatives du 20 mars 1994). Second geste : le gouvernement leur attribue un quota de 20 % des sièges, soit 34 sièges sur 182 en 1999 et 37 sur 189 en 2004.
13 juin 1994
Tunis accueille le 30e sommet de l’OUA
Ben Ali ne pouvait rêver plus grand honneur que la visite à Tunis de Nelson Mandela, qui marque un double événement : le 30e sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et l’admission en son sein de l’Afrique du Sud (53e État membre). Ce sommet, le premier qu’accueille la Tunisie, attire 42 chefs d’État et de gouvernement, un record. Il marque le renouveau de l’organisation, avec l’adoption d’un programme économique panafricain, pilier de la future Union africaine (lancée le 9 septembre 1999 en Libye). Pour Tunis, c’est le début d’une nouvelle impulsion dans la coopération tuniso-africaine. En 2003, les dirigeants de la Banque africaine de développement (BAD) choisiront la capitale tunisienne pour y établir leur siège temporaire, en attendant le retour à Abidjan, en Côte d’Ivoire (qui devrait avoir lieu, si tout va bien, entre 2008 et 2009).
14 avril 1996
Visite de Jean-Paul II
Le diocèse de Tunis compte environ 20 000 catholiques (0,2 % de la population) représentant une quarantaine de nationalités (européennes, africaines et arabes). À cela s’ajoutent les nombreux touristes qui visitent l’imposante cathédrale de Tunis ou qui se rendent en pèlerinage sur les traces de saint Augustin à Carthage. Aussi brève fût-elle, la visite du pape Jean-Paul II à Tunis, le 14 avril 1996, lui a permis de rencontrer le président Ben Ali, les autorités locales civiles et religieuses, le corps diplomatique et la communauté chrétienne, y compris les évêques des autres pays du Maghreb (Algérie, Libye et Maroc).
1er mars 1998
Le choix européen
La Tunisie est le premier pays méditerranéen à signer, en juillet 1995, un accord de libre-échange avec l’Union européenne (UE) qui deviendra totalement opérationnel le 1er janvier 2008. Entré en vigueur le 1er mars 1998, l’accord de partenariat ne concerne pas seulement les échanges commerciaux. Il intègre les dimensions politique (droits de l’homme, libertés), économique (mise à niveau de l’industrie tunisienne, secteur privé), sociale (formation, développement local afin de décourager l’exode rural et l’émigration) et culturelle. Aujourd’hui, l’économie tunisienne est solidement ancrée à celle de l’Europe : les trois quarts de son commerce extérieur se font avec l’UE.
17 novembre 1999
Trois Premiers ministres en vingt ans
Après une période de transition de deux ans, le chef du gouvernement Hédi Baccouche, en poste depuis le 7 novembre 1987, cède la place, le 27 septembre 1989, à un vétéran du parti, Hamed Karoui. Avec des pouvoirs réduits, le rôle de Premier ministre se limite à la coordination de l’action gouvernementale. Il ne peut plus succéder automatiquement au président de la République en cas d’empêchement définitif (désormais, c’est le président de l’Assemblée nationale qui assure l’intérim et organise les élections). Responsables devant le président de la mise en uvre de la politique générale de l’État, les Premiers ministres voient donc leur longévité augmenter. Resté en place dix ans, Hamed Karoui est remplacé, le 17 novembre 1999, par Mohamed Ghannouchi, toujours en poste, qui s’était illustré jusqu’alors dans les départements du Plan, de l’Économie et des Finances.
3 avril 2000
Grève de la faim médiatique
Pour un passeport confisqué, un droit de visite à un prisonnier, un local, plus de liberté d’expression ou d’association, la grève de la faim est devenue un moyen de revendication politique. La médiatisation à outrance de l’action organisée par l’écrivain contestataire Taoufik Ben Brik, du 3 avril au 4 mai 2000, marque les esprits. L’action de Ben Brik s’achève par un voyage retentissant à Paris, mais aujourd’hui, il est moins flamboyant. D’autres ont pris le relais, notamment l’avocate Radhia Nasraoui (juin 2002), sept militants divers (octobre 2005) et, tout récemment, deux dirigeants de l’opposition (septembre 2007).
6 avril 2000
Décès de Habib Bourguiba
Père de la nation, Habib Bourguiba, président de la République de 1956 à 1987, meurt le 6 avril 2000, à 9 h 50, à sa résidence de Monastir, à l’âge de 97 ans. Inhumé le 8 avril, il reste dans la mémoire de beaucoup de Tunisiens et de touristes, qui sont nombreux à visiter le mausolée familial où il repose. Ben Ali lui-même ne manque d’ailleurs pas une occasion de se recueillir sur sa tombe, la dernière fois le 6 avril 2007. De nombreuses personnalités, notamment les présidents français Jacques Chirac et algérien Abdelaziz Bouteflika, l’ont accompagné jusqu’à sa dernière demeure lors d’obsèques très émouvantes, malheureusement non retransmises par la télévision. Bourguiba a un fils unique, Habib Bourguiba Jr (né le 9 avril 1927 à Paris).
11 avril 2002
Attentat terroriste à Djerba
Un camion-citerne rempli de carburants fonce sur la synagogue de La Ghriba, sur l’île de Djerba. L’explosion tue une vingtaine de personnes, des touristes étrangers et des Tunisiens de passage dans cette ruelle. On croit d’abord à un accident. Mais, très vite, celui-ci se révèle être, au grand dam des autorités, un attentat terroriste planifié par des agents d’Al-Qaïda en Europe.
26 octobre 2002
Légalisation d’un parti d’opposition
Créer et animer un parti politique en Tunisie n’est pas une sinécure, même pour les plus modérés des opposants. « Je veux militer pacifiquement », déclarait le médecin Mustapha Ben Jaafar. Opposant de longue date, il fonde son propre parti le 9 avril 1994 : le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL). Il patientera huit ans avant d’obtenir, le 26 octobre 2002, le fameux sésame du ministère de l’Intérieur. Le Parti des verts pour le progrès n’a attendu, lui, que trois mois (le 3 mars 2006).
14 février 2004
Enfin champions d’Afrique !
Pour la première fois de son histoire, la Tunisie remporte la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football. La finale oppose, au stade du 7-novembre, à Radès, les Aigles de Carthage aux Lions de l’Atlas (Maroc). Porté aux nues par 60 000 spectateurs et toute une nation, le onze tunisien, entraîné par le Français Roger Lemerre, a gagné la partie par 2 buts à 1. Dans les tribunes, le président Ben Ali, qui remet le trophée au capitaine tunisien, est entouré de son épouse Leila, du président de la Fifa Joseph Blatter et du président de la Confédération africaine de football (CAF) Aissa Hayatou.
20 février 2005
Heureux événement
Déjà père de cinq filles – trois sont nées de son union avec Naïma Kefi et deux de son second mariage (en 1992) avec Leila Trabelsi -, Zine el-Abidine Ben Ali devient, le 20 février 2005, à l’âge de 68 ans, père d’un garçon, prénommé Mohamed Zine el-Abidine. Quatre de ses filles sont mariées avec des hommes d’affaires : Ghazoua avec Slim Zarrouk, Dorsaf avec Slim Chiboub, Cyrine avec Marouane Mabrouk et Nesrine avec Sakhr Materi. La cadette, Halima, est âgée aujourd’hui de 15 ans.
16 novembre 2005
Internet à l’honneur
Un sommet mondial sur l’Internet en Tunisie ? Il fallait oser le faire dans un pays réputé pour filtrer méticuleusement tout ce qui transite par la Toile. Ben Ali a osé affronter tous ses détracteurs, et l’Union internationale des télécommunications, organisatrice du sommet, est allée jusqu’au bout. Prévu en deux étapes, l’une à Genève (2003) et la seconde à Tunis (16-18 novembre 2005), le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) n’aura finalement que des retombées bénéfiques malgré toutes les critiques. L’utilisation d’Internet s’est depuis généralisée : écoles, universités, administrations, entreprises et centres publics. On n’arrête pas le progrès !
27 mai 2006
L’indépendance de la LTDH en question
La Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) est la doyenne des ligues des droits de l’homme en Afrique et dans le monde arabe. Fondée en 1977, elle ne cesse pourtant de subir les tracasseries d’une administration qui n’arrive pas à se faire à l’idée que le monde a changé et que la liberté fait partie des droits universels de l’homme et de la femme. Contestant l’élection d’un indépendant, Mokhtar Trifi, à sa présidence (octobre 2000), ses adversaires – soutenus par le pouvoir – ont tout fait pour empêcher la tenue du 6e congrès (qui devait avoir lieu le 27 mai 2006 à Tunis) et maintiennent encore la pression. Mais le comité directeur de la Ligue continue malgré tout de se réunir une fois par semaine.
24 juillet 2007
Le temps des grands travaux
Des autoroutes aux barrages en passant par les aéroports et les lacs, les projets présidentiels sont légion. Le 24 juillet 2007, Ben Ali se rend à Enfidha, dans le Centre-Est, pour donner le coup d’envoi des travaux d’une aérogare de 75 000 m2 : piste d’atterrissage de 3 300 mètres de long, 32 hangars, 18 passerelles, une tour de contrôle de 85 mètres de haut Ce futur aéroport, situé en pleine steppe, pourra accueillir, à partir de 2009, 5 millions de passagers par an (autant que celui de la capitale) et 20 millions à long terme après extension.
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