Abderrahmane Mebtoul : « Les besoins électriques du nord et du sud de la méditerranée sont complémentaires »

À la tête de la délégation de la société civile algérienne à l’occasion du Sommet des deux rives, les 23 et 24 juin à Marseille, l’économiste Abderrahman Mebtoul estime que pays européens et nord-africains sont condamnés à construire un nouveau modèle de coopération, notamment en matière énergétique.

Abderrahmane Mebtoul au micro de la Radio algérienne. © Capture d’écran (Youtube)

Abderrahmane Mebtoul au micro de la Radio algérienne. © Capture d’écran (Youtube)

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Publié le 24 juin 2019 Lecture : 4 minutes.

À l’initiative du président français, Emmanuel Macron, les ministres des Affaires étrangères des 5+5 (France, Italie, Espagne, Portugal, Malte, Maroc, Mauritanie, Algérie, Tunisie, Libye) se retrouvent à Marseille pour le Sommet des deux rives (23-24 juin). Originalité de l’événement : la volonté de mettre les sociétés civiles méditerranéennes au cœur de la coopération entre ces États.

Chef de la délégation de la société civile algérienne, l’économiste Abderrahmane Mabtoul, est docteur en sciences économiques. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il n’est pas seulement une référence pour qui veut comprendre les problèmes de l’économie algérienne.  Il fourmille également d’idées d’avenir pour une zone méditerranéenne dont il vante les nombreuses potentialités. Rencontre.

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Jeune Afrique : Qu’attendez-vous concrètement du Sommet des Deux Rives ?

Abderrahmane Mebtoul : D’avril à juin 2019, des jeunes, des acteurs économiques, sociaux, scientifiques et culturels de la Méditerranée occidentale ont travaillé ensemble pour faire émerger des solutions concrètes pour la région. L’ensemble de ces réflexions et propositions d’initiatives sera partagé avec les dirigeants lors du Sommet à Marseille pour déterminer celles qui seront mises en œuvre de façon prioritaire.

Pour ma part, j’appelle depuis longtemps à la création d’une université euro-méditerranéenne, qui serait un lieu de fécondation des cultures et de combat contre l’intolérance, ainsi que d’une banque et une bourse euro-méditerranéenne dotées d’instruments financiers adaptés à la réalisation de projets concrets, en plus de la création d’un conseil économique et social au niveau de l’Europe occidentale.

Reste à déterminer combien coûte cette transition énergétique, combien elle rapporte et qui en seront les bénéficiaires

Vous avez été chargé du dossier stratégique de la transition énergétique. Pour le moment, l’énergie est surtout source de conflits entre les États. Comment la mettre au service du codéveloppement en Méditerranée ?

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La transition énergétique n’est pas simplement un sujet technique, elle est au cœur des politiques de sécurité des États. Il s’agit de passer d’un modèle construit sur une énergie essentiellement fossile, polluante, abondante et peu chère à un modèle où l’énergie est renouvelable, rare, chère, et moins polluante. Reste à déterminer combien coûte cette transition, combien elle rapporte et qui en seront les bénéficiaires. Cela implique d’imaginer un nouveau modèle de croissance et de consommation.

Le potentiel de l’espace méditerranéen – énergies éolienne, solaire, hydrocarbures – peut faire de cette zone, soumise depuis toujours à des tensions politiques fortes, une nouvelle région énergétique du monde, au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen-Orient. Les interconnexions des réseaux et l’optimisation de leur gestion devraient favoriser l’émergence d’une industrie de l’énergie, au service de l’intégration économique. L’énergie apparaît donc comme un puissant facteur de coopération et d’intégration entre les deux rives de la Méditerranée.

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Quelles en sont les pistes concrètes ?

Une communauté méditerranéenne de l’énergie est possible dans la mesure où les besoins électriques sont complémentaires : la pointe de consommation d’électricité en Europe se situe en hiver, alors que dans les pays du Sud, elle se situe en été. Le sud de la Méditerranée est mieux placé que le nord pour exploiter les énergies renouvelables. L’ensoleillement y est deux fois plus important. Quant à l’éolien terrestre, il y a des sites extrêmement favorables, notamment sur la bordure Atlantique, avec des durées de fonctionnement qui sont le double de celles des sites allemands ou français.

Dans le contexte actuel du marché, l’exploitation du gaz de schiste n’est pas encore une solution rentable pour l’Algérie

Il est tout à fait imaginable d’échanger de l’électricité tantôt dans un sens tantôt dans l’autre : l’électricité conventionnelle de l’Europe vers l’Afrique dans les périodes d’été ; l’électricité d’origine renouvelable de l’Afrique vers l’Europe dans les périodes d’hiver. Le déficit structurel européen et la forte hausse de la demande de la rive sud impliqueront à l’avenir de construire les éléments d’un partenariat qui dépasse le modèle classique fournisseur-client.

L’exploitation des hydrocarbures de schiste semble prometteuse en Algérie. Est-ce une solution d’avenir selon vous ? Comment concilier cette exploitation avec les impératifs écologiques ?

L’Algérie est en effet le troisième réservoir mondial selon des études internationales. Dans le contexte actuel du marché, ce n’est pas encore une solution rentable pour l’Algérie. D’autant que l’exploitation de ce gaz nécessite une forte consommation d’eau douce et peut avoir des effets nocifs sur l’environnement, la fracturation des roches pouvant conduire à un déséquilibre spatial et infecter les nappes phréatiques, rendant l’eau impropre à la consommation, avec des risques de cancers. Mais d’autres techniques économisant l’eau et les produits chimiques sont en cours de développement et demandent à être plus largement testées.

Vous vous impliquez également dans la vie politique algérienne, en proposant des scénarios de sortie à la crise actuelle.

Ne soyons pas pessimiste vis-à-vis de la situation actuelle où notre jeunesse et l’Armée nationale populaire ont montré une maturité sans faille. Mais il faut impérativement dépasser le statut quo actuel avant la fin de l’année 2019 par des élections transparentes, car une plus longue période de transition conduirait forcément le pays à la dérive économique et sociale. Et en économie, le temps perdu ne se rattrape jamais…

Le dialogue productif avec des concessions de part et d’autre au profit exclusif de l’Algérie, assorti à une profonde restructuration des partis et de la société civile sur la base de nouveaux réseaux, est la seule voie de sortie de la crise actuelle.

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