Mounir Halim (Afriqom) : « Le monde des engrais est très opaque en Afrique »

Les fermiers africains, les plus pauvres au monde, sont aussi ceux qui payent le plus cher pour se procurer des fertilisants. Pour comprendre pourquoi, Jeune Afrique a interrogé Mounir Halim, fondateur et éditeur d’Afriqom, une agence d’information sur les prix spécialisée sur le marché des engrais en Afrique.

Mounir Halim. © DR

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Publié le 5 juillet 2019 Lecture : 4 minutes.

Docteur en physique (diplômé des universités de Durham et Oxford), ancien directeur des ventes en Europe d’OCP (2009-2012), Mounir Halim, 46 ans, a lancé en septembre 2018 Afriqom, une agence d’information sur les prix spécialisée sur le marché des engrais en Afrique.

Ce Maroco-Britannique – qui a acquis la nationalité après ses années d’études en Angleterre – a pour objectif affiché de rendre le secteur plus transparent. Entretien.

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Jeune Afrique : Les agriculteurs africains sont à la fois ceux qui utilisent le moins d’engrais – environ 15 kg/ha contre plus de 200 kg/ha en Chine, près de 190 kg/ha en Europe ou aux États-Unis, et plus de 100 kg/ha en Inde – et ceux dont les rendements sont les plus faibles. En cause en particulier, le prix anormalement élevé auquel ils ont accès aux fertilisants. Quels sont les facteurs majeurs qui expliquent cette anomalie ?

Mounir Halim : L’écart de prix entre l’Afrique et les autres continents va parfois du simple au triple. Pour expliquer ce phénomène, je citerais en premier lieu le manque de transparence du secteur sur le continent. Les informations circulent peu, ce qui rend la situation difficilement lisible, tant pour les vendeurs que pour les acheteurs. Cette opacité nuit à la concurrence.

Il faudrait qu’acteurs publics et privés s’entendent pour investir dans la logistique

Ainsi, et alors que le système d’appel d’offres pour les engrais NPK mis en place par le Ghana Cocoa Board était censé garantir le meilleur prix aux producteurs de cacao ghanéens, le dernier en date a été remporté avec un prix plus de deux fois supérieur au marché. Quand on voit ça, on se dit qu’il y a un problème !

Le deuxième facteur majeur, et qui n’est pas spécifique aux engrais, est celui des coûts, en particulier ceux du transport. Quand les engrais arrivent à un port africain, ils ne sont pas vraiment plus chers qu’ailleurs. Mais dès qu’ils touchent terre, leur prix commence à grimper. Les files d’attente aux ports, le temps de déchargement, les taxes, les énormes coûts du transport terrestre et toutes les autres inefficacités du système font que le temps qu’ils arrivent aux portes des exploitations agricoles, leur prix ont parfois augmenté de 50 %.

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Comment résoudre ces problèmes ?

D’abord en diffusant l’information aux différents acteurs. Et c’est la raison même d’être d’Afriqom : instaurer une sorte d’index des prix en Afrique. En communiquant sur les deals et les prix dans chaque pays, on permettra au marché de s’ajuster, de renforcer la concurrence sur les appels d’offres et, au final, de diminuer les prix.

Rassembler les différentes commandes des négociant permettrait d’agir sur les prix

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Ensuite, il faudrait qu’acteurs publics et privés s’entendent pour investir dans la logistique et mieux administrer un certain nombre de facteurs qui déterminent le prix. Le niveau des taxes par exemple. En zone Cedeao, les produits transformés comme les engrais sont taxés à hauteur de 7,5 %. C’est beaucoup.

L’application des réglementations, notamment en matière de subventions, pourrait aussi être mieux contrôlée afin d’empêcher le phénomène des ghost farmers, ces faux agriculteurs qui bénéficient de subventions pour ensuite revendre les engrais au marché noir. Côté secteur privé, les producteurs devraient avoir une vision à long terme et accepter de réduire pendant quelque temps leurs marges pour augmenter la taille du marché.

Une autre action qui permettrait de diminuer les prix serait d’utiliser des bateaux plus grands pour l’importation de fertilisants en rassemblant les différentes commandes des négociants. Cette pratique est justement en train de se développer en Afrique mais pour qu’elle se généralise, encore faudrait-il que les ports africains possèdent les infrastructures nécessaires pour accueillir ces bateaux…

Les producteurs d’engrais s’intéressent de plus en plus à l’Afrique. Cet intérêt doit déboucher sur des investissements

En 2006, au sommet de l’Union Africaine à Abuja (Nigeria), les États membres se sont résolus à faire passer la consommation d’engrais sur le continent de 8 à 50 kg/ha en 2015. L’échec est patent. Outre le prix, qu’est-ce qui explique une consommation si faible ?

Il y a les questions d’accès aux financements par les fermiers, de qualité des engrais et de leur optimisation par rapport aux terrains sur lesquels on les applique, la question de la formation des fermiers aussi… Sur toutes ces questions, les producteurs d’engrais internationaux, les gouvernements et les bailleurs de fonds ont un rôle déterminant à jouer pour créer l’écosystème qui réduira les goulots d’étranglement, qui améliorera la disponibilité, la qualité, la pertinence et le prix des produits.

Les producteurs d’engrais s’intéressent de plus en plus à l’Afrique car c’est le continent où le potentiel de développement est le plus fort que ce soit en termes de rendements en augmentant les quantités d’engrais utilisés, de disponibilité des terres arables ou de démographie. Cet intérêt doit déboucher sur des investissements.

OCP est un bon exemple puisqu’il tente à travers différents programmes de former les agriculteurs, de cartographier les sols africains ou d’aider les fermiers à avoir accès à des financements et à davantage d’informations. Ces efforts doivent être encouragés et multipliés. Du côté des pouvoirs publics, ont peut citer la Presdential Fertilizer Initiative (PFI) instaurée au Nigeria, où le gouvernement a décidé d’interdire les importations d’engrais NPK afin d’encourager la production locale et de négocier des prix compétitifs pour le phosphate marocain. Cela permet au pays d’augmenter sa production et de créer de l’emploi au niveau local.

Comment voyez-vous évoluer la situation dans les années à venir ?

La consommation devrait continuer à croître mais pas aussi rapidement qu’espéré. L’Afrique pourrait atteindre les 30 kg/ha d’ici 2030. On voit que la consommation d’engrais est en train d’exploser dans certains pays, avec un fort impact sur les rendements. Au Bénin, au Mali, au Ghana, les consommations ont parfois doublé en un an, notamment dans le secteur du coton.

Le problème, c’est que la volatilité est grande. Les acteurs sont très sensibles au moindre changement. Au Ghana par exemple, l’importation d’engrais était de 230 000 t en 2016, de plus de 400 000 t en 2017, mais elle est redescendue à 300 000 t en 2018, notamment du fait de changements dans les politiques de subventions.

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