Paysage après la bataille (électorale)

Majorité absolue pour le parti du président, beau score de l’opposition, échec des partisans du Premier ministre Les législatives du 14 octobre ont traduit un indéniable désir de renouvellement.

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

Pour la première fois dans l’histoire de leur pays, les Togolais ont, le 14 octobre, élu leurs députés dans des conditions que tous les observateurs, nationaux ou étrangers, jugent « régulières et satisfaisantes ». En soi, la tenue du scrutin était une gageure, tant les clivages sociopolitiques sont ici profonds. Les précédentes consultations ont presque toujours donné lieu à des flambées de violence. Ce fut notamment le cas au lendemain de la disparition du président Gnassingbé Eyadéma, en février 2005. En attendant la proclamation officielle des résultats, ces législatives dessinent donc les contours d’un paysage politique largement renouvelé.
En obtenant, avec 49 sièges, la majorité absolue à l’Assemblée nationale, le Rassemblement du peuple togolais (RPT) reste la première force politique du pays. L’Union des forces du changement (UFC), de Gilchrist Olympio, qui avait boycotté les consultations législatives de 1994, 1999 et 2002, devient le premier parti de l’opposition parlementaire, avec 33 députés. Le Comité d’action pour le renouveau (CAR), du Premier ministre Yawovi Agboyibo, arrive en troisième position avec 4 sièges – ce qui n’est assurément pas un succès.
Pour la première fois, ces deux vieux ennemis que sont le RPT et l’UFC siégeront donc au sein de la même Assemblée. Dirigée par le fils du père de l’indépendance du pays, l’UFC a réussi, au fil des années, à capitaliser la « compassion » qu’inspire aux Togolais le martyre de Sylvanus Olympio, tué, en 1963, lors d’un coup d’État militaire auquel prit part Gnassingbé Eyadéma. Gardien de la mémoire de son père, Gilchrist Olympio anime depuis une opposition non dénuée de volonté de revanche, pour dire le moins, encore aggravée par le traditionnel clivage entre le nord, fief de la famille Eyadéma, et le sud du pays. Les deux partis ont progressivement constitué deux pôles irréconciliables dans la vie politique togolaise. « Plus l’UFC fait de la surenchère et refuse de s’impliquer dans la recherche d’une solution à la crise multiforme que traverse le pays, plus elle rassure ses partisans, pour qui le seul responsable est l’État-RPT », analyse une politologue locale.

Au Parlement, « ça va être l’enfer », prédit Agboyibo, dont le parti pourrait jouer le rôle de « troisième force de conciliation » entre l’UFC et le RPT. À condition, bien sûr, qu’il soit accepté par les deux camps. « Idéologiquement, explique-t-il, je me sens plus proche de l’UFC, parce que nous avons lutté ensemble pour le changement. » Mais l’opposant devenu Premier ministre d’un gouvernement d’unité nationale mis en place après la conclusion de « l’accord global intertogolais » du 20 août 2006 sait que le parti d’Olympio lui tient rigueur d’avoir collaboré avec le RPT.
Cette « collaboration » expliquerait d’ailleurs, selon certains analystes, la défaite de quelques grandes figures politiques locales comme les anciens Premiers ministres Edem Kodjo, de la Convergence patriotique panafricaine (CPP), et Joseph Kokou Koffigoh, de la Coordination des forces nouvelles (CFN). Associés par les électeurs de l’opposition aux « barons » de l’ère Eyadéma, ils sont les premières victimes de la participation de l’UFC au scrutin.
« Avant de parler de changement à l’échelle du pays, l’UFC doit d’abord songer à se renouveler de l’intérieur, suggère un membre de l’entourage de Faure Gnassingbé. Il faut qu’elle accepte de jouer jusqu’au bout le jeu de la démocratie pour nous aider à remettre le pays sur la voie du développement. Son radicalisme passé n’est plus de mise. Toute forme d’arrogance de notre part, non plus. »

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Dans les états-majors des principaux partis d’opposition, UFC en tête, on persiste à contester la régularité du scrutin, on pointe du doigt divers dysfonctionnements dans l’organisation.
En amont, les opérations de recensement ont connu des ratés. Et le nombre insuffisant des timbres d’authentification a contraint certains bureaux de vote à suspendre leurs activités en attendant d’être approvisionnés. En aval, l’opposition critique l’invalidation de plus de quarante mille bulletins jugés douteux par les scrutateurs, même s’il est probable que tous les partis en lice ont ainsi été pénalisés.
Le choix de la Commission électorale indépendante (Ceni) de ne publier les résultats que lorsque des tendances sérieuses seraient apparues a conduit l’ancien Premier ministre haïtien Gérard Latortue, qui dirige la mission d’observation de la Francophonie, à demander au président Faure Gnassingbé de raccourcir autant que possible le délai d’attente. Sur les panneaux publicitaires, des appels au calme sont placardés un peu partout, de même que des invitations pressantes à accepter le verdict des urnes, quel qu’il soit. « Le Togo, commente un journaliste, est traumatisé par une longue suite d’événements malheureux, voire sanglants, qui ont plombé son destin depuis l’indépendance. Aujourd’hui, les gens sont fatigués et souhaitent passer à autre chose. »

Autre fait notable de la consultation : le renouvellement de la classe politique. Les primaires au sein du RPT avaient déjà permis d’écarter plusieurs caciques de l’entourage de feu Gnassingbé Eyadéma, tel Fambaré Natchaba, l’ancien président de l’Assemblée. Cette tendance a été confirmée et amplifiée par la défaite d’une série de dignitaires comme l’ancien Premier ministre Kwassi Klutsé, dans son fief de Zio. Ce coup de jeune n’épargne d’ailleurs pas l’opposition, dont certains leaders ont été sanctionnés par les électeurs.
Agboyibo, qui n’est parvenu à grappiller quelques sièges que grâce à la fidélité de son fief de Yoto, dans le sud du pays, ne manquera pas de tirer les leçons de cet échec. Et si Faure Gnassingbé, qui a désormais les cartes en main, lui proposait de rester à la primature ? « S’il le faisait, je m’interrogerais d’abord sur mon utilité en tant que Premier ministre, dans cette nouvelle configuration. Ensuite, seulement, je déciderais », répond-il, énigmatique. Dans l’entourage présidentiel, on laisse entendre que la collaboration avec le CAR ne dépend pas de l’éventuel maintien d’Agboyibo à la primature.
En attendant la nomination du gouvernement, Faure Gnassingbé promet de poursuivre sa politique d’ouverture et de tendre la main aux perdants. Même si, selon ses proches, il devra aussi écouter le message des électeurs du 14 octobre, qui ont rejeté toute espèce de cohabitation avec l’UFC. Pour l’heure, le pays redevient fréquentable. Les bailleurs de fonds ne devraient pas tarder à revenir. Et les robinets de l’aide au développement à se rouvrir.

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