Leadership et développement en Afrique : la compétence à la bonne place ?

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 6 minutes.

Au fur et à mesure des avancées de l’économie mondialisée, le développement et le progrès se généralisent, de manière inéquitable. L’Afrique demeure la région la plus pauvre et la plus marginalisée de la planète.
Le dernier rapport annuel de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), publié le 30 octobre 2006, souligne que l’Afrique subsaharienne est la plus touchée par la famine avec plus de 206 millions de personnes sous-alimentées en 2002-2003, soit une augmentation de 37 millions représentant plus de 22 % par rapport à la période 1990-1992.
Cette situation extraordinaire est intenable sur le long terme et mérite une réflexion sérieuse tant les écarts de développement qui se creusent font le lit des États défaillants. Pourtant, la mondialisation offre en théorie à tous les pays de notre planète des possibilités réelles de croissance et de développement, à condition que le monde soit réellement ouvert. Or la libre circulation se limite en fait aux biens et aux capitaux alors que celle des personnes n’échappe pas à la loi du choix et de la sélection.
D’ailleurs, d’aucuns considèrent que la mondialisation est la perpétuation de l’inégalité économique dans laquelle les pays pauvres, ceux d’Afrique tout particulièrement, sont maintenus comme des sources d’approvisionnement en produits de base et en ressources naturelles. Cette situation de domination garantit aux pays riches le maintien et l’accélération de leur croissance et de leur développement.

Et toutes choses étant égales par ailleurs, il n’en demeure pas moins que l’explication du désespoir ainsi provoqué se trouve dans l’absence d’une direction éclairée avec pour corollaire un déficit de leadership. Celui-ci manque souvent de vision dans la conduite et la gestion des affaires de ces pays.
Aussi, force est de reconnaître que s’il y a un continent où l’on ne peut pas se permettre de tolérer et de promouvoir l’incompétence et la médiocrité dans la conduite des institutions, qu’elles soient nationales ou intergouvernementales, c’est bien l’Afrique.
Ce continent accuse un retard technologique et industriel croissant ?par rapport aux autres parties du monde. Ce qui entraîne des conséquences désastreuses sur l’emploi et le bien-être des populations. Les systèmes administratifs et de gestion restent dans l’ensemble mal outillés, mal organisés et peu autonomes pour fonctionner au service de ses vrais clients dont, entre autres, un secteur privé dynamique. À cela s’ajoutent une mauvaise gouvernance et un manque de transparence flagrants. Ce qui fait dire à certains qu’il faut appliquer la tolérance zéro pour combattre l’incompétence et la médiocrité en Afrique.

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S’il est vrai que le xxie siècle pourrait être celui du continent, nul doute qu’il faut revoir la problématique du leadership afin de pouvoir bâtir aujourd’hui l’Afrique de demain, au service des Africains en priorité. Sur le continent, le leadership est caractérisé non seulement par l’absence étonnante d’une vision porteuse d’avenir mais tout simplement par l’absence d’une vision tout court. Les discours des leaders sont loin d’être en phase avec les réalités et la mise en uvre de leurs contenus reste bien aléatoire. Le développement tel que bâti récemment dans les pays asiatiques est une belle illustration de l’importance d’un leadership visionnaire dont la responsabilité dans la sortie du sous-développement d’une grande partie de cette région n’est plus à démontrer.
Sans exagérer, on peut même dire qu’en Afrique le leadership et le processus décisionnel qui le sous-tend ne sont ni bienveillants ni cohérents quand ils ne sont pas tout simplement inexistants. Malheureusement, le leadership ne peut pas être fourni de l’extérieur. C’est une capacité qu’il faut faire émerger de l’intérieur du continent en y associant les Africains de la diaspora. Il conditionne l’appropriation du processus de développement et détermine le rôle et le respect des institutions et des règles.
En Afrique, où très souvent le leadership est compris à tort comme l’affaire d’un individu « tout seul », il n’est pas rare de le voir évoluer vers des méthodes policières, ouvrant elles-mêmes la voie à l’autoritarisme, voire à la dictature et à ses conséquences néfastes.
Cette vision du leadership trouve son terreau dans le fait peut-être que le phénomène de la ville et de l’État n’est pas bien africain. Ainsi nombre d’Africains sont-ils avant tout individualistes dans leur comportement. Ils pensent d’abord à eux-mêmes, ensuite à leur famille, à leur village, à leur clan, à leur province, à leur pays, à leur région, à leur ethnie.
Et cela se ressent très concrètement dans le choix des personnes opéré par les premiers responsables pour composer les équipes de direction des institutions nationales. Des pratiques souvent allégrement exportées par les mêmes responsables lorsqu’ils se retrouvent à la tête d’organisations internationales, malgré les « tapages » faits autour de la transparence et la bonne gouvernance.
Au lieu de recruter et de nommer les collaborateurs parce qu’ils ont la compétence la plus appropriée pour assumer pleinement les responsabilités qu’impose le poste, la tendance observée est de faire appel à des femmes et à des hommes sur une base subjective et personnelle en mettant en avant le critère d’allégeance, de docilité et du « larbinisme ».
C’est la peur pour leurs positions qui fait que ces dirigeants ne souhaitent pas avoir à leurs côtés des collaborateurs plus qualifiés et à même de leur faire entendre un autre son de cloche que ce qu’ils souhaitent entendre. Cela relève d’une forme spéciale du complexe de l’incompétence et de la médiocrité avec en sus une phobie de la contradiction, surtout quand celle-ci vient de leur entourage immédiat ou des médias.

En Afrique, les exemples sont légion et peuvent être constatés au niveau des gouvernements, dans les institutions sous-régionales, régionales et panafricaines où le leadership se cache maladroitement derrière des critères politiques fallacieux. En fait, cela relève beaucoup plus du mimétisme ou de la complaisance qui conduisent tout naturellement à cultiver le dogme de l’incompétence et de la médiocrité dans les nominations et les recrutements et d’en faire une vertu.
C’est précisément ce qu’il faut changer, dans les gouvernements, les institutions nationales, sous-régionales, régionales et panafricaines, qu’elles soient politiques, économiques, sociales et culturelles. La compagnie multinationale Air Afrique, outil d’intégration par excellence, a fait les frais de ce type de leadership, et les leçons ne semblent pas en avoir été vraiment tirées.
L’optimisme est encore permis pour faire du xxie siècle celui de l’Afrique compte tenu des ressources naturelles et des compétences humaines nécessaires et suffisantes en quantité et en qualité dont elle dispose pour sortir victorieuse de son combat pour le développement durable et l’éradication de la pauvreté. L’intérêt porté à l’Afrique par des pays émergents comme la Chine, l’Inde, la Corée, la Malaisie permettra aux dirigeants les plus avisés de faire la différence en utilisant les nouvelles ressources disponibles pour servir dans la dignité leur peuple.

À terme, l’espoir pour tous est dans l’évolution de la situation économique et sociale du continent qui devrait conduire dans les meilleurs délais à l’émergence d’un autre type de leadership : celui qui éradiquerait l’incompétence et la médiocrité, et qui donnerait ipso facto toute la considération requise à l’excellence et à l’efficacité au service des populations. Cela se traduira par une utilisation plus rationnelle des compétences qui existent, en mettant les hommes et les femmes qu’il faut à la place qu’il faut, en vue de réaliser de meilleurs résultats.
Ainsi l’Afrique n’aurait plus à faire appel à des politiciens manquant de vision et parfois dépourvus de compétences et de qualifications appropriées pour gérer les structures nationales et panafricaines. Et le fait d’avoir tout simplement assumé des charges de ministre, de chef de gouvernement et/ou d’État ou d’appartenir au « sérail familial, clanique ou ethnique » ne sera plus un critère suffisant pour la gestion des pays et des institutions dans une économie mondialisée.
Un leadership africain, intégrant nos cultures et nos valeurs ancestrales dans ce qu’elles ont de positif et qui les adapte au monde moderne, propulserait ainsi l’Afrique dans la réalisation de sa quête d’un développement durable.
C’est ce à quoi aspirent légitimement les populations africaines et c’est ce vers quoi s’orientent résolument les efforts de la communauté internationale en faveur du continent.

*Ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, ancien directeur général adjoint de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

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