La Toussaint rouge algérienne

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

Boufarik, dimanche 31 octobre 1954. Il est 23 h 45 et, à la tête d’un commando d’une vingtaine d’hommes médiocrement armés, Amar Ouamrane attend patiemment l’heure H pour passer à l’action. Sa cible : une caserne de l’armée française. Un peu avant minuit, deux explosions déchirent le ciel. On ne saura jamais vraiment ce qui s’est passé, mais, pour Ouamrane et ses hommes, l’effet de surprise est complètement manqué. Ils se ruent à l’assaut, tandis qu’un complice à l’intérieur de la caserne leur ouvre les portes. Les assaillants ont tout juste le temps de s’emparer d’une dizaine de fusils avant de décrocher à la hâte et de se replier dans le maquis du mont Chréa.
Presque au même moment, tout près de là, à Blida, un autre groupe dirigé par Rabah Bitat, un ex-magasinier dans une manufacture de tabac (il deviendra, bien des années plus tard, président de l’Assemblée nationale), lance ses combattants tout aussi sommairement armés à l’assaut d’une autre caserne. Précipitation, peur ou impréparation ? L’offensive est un échec total.

D’autres opérations d’ampleur très limitée ont lieu dans l’Algérois au cours de la même nuit et le lendemain. Elles visent, notamment, une coopérative d’agrumes, une usine de transformation d’alfa, les immeubles du central téléphonique et de la radio, une usine à gaz ou un dépôt de carburant dans le port d’Alger. Soit elles échouent, soit elles ne provoquent que des dégâts légers. Dans l’Oranais, la gendarmerie de Cassaigne et deux fermes appartenant à des colons français sont mitraillées (un mort). En Kabylie, des dépôts de liège et de tabac sont incendiés, des casernes de l’armée, des postes de la gendarmerie et des mairies sont criblées de balles par les hommes de Krim Belkacem. Caporal-chef dans l’armée française pendant la Seconde Guerre mondiale, celui qu’on surnomme le « Lion des djebels » a pris le commandement des maquis de Kabylie dès 1947 après avoir été plusieurs fois condamné à mort par contumace par les Français. Dans les Aurès, Mostafa Ben Boulaïd dispose de près de quatre cents combattants aguerris et relativement bien armés. À 3 heures du matin, le 1er novembre, toute une série d’installations administratives et militaires sont prises pour cible à Khenchela, où un officier français est tué, à Batna (deux morts), à Biskra, à Arris, à T’Kout
C’est la seule région où les autorités coloniales se heurteront à quelques difficultés pour rétablir l’ordre : deux jours durant, Arris et sa région resteront, par exemple, coupés du monde. Mais ces succès spectaculaires sont ternis par une bavure : l’assassinat d’un instituteur français, Guy Monnerot, dans les gorges de Tighanimine, alors que les organisateurs de l’insurrection avaient explicitement recommandé à leurs hommes de ne pas s’en prendre à des civils européens.

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Bien entendu, la simultanéité de ces attaques ne doit rien au hasard. Au mois de juin précédent, vingt-deux dirigeants nationalistes convaincus de l’inéluctabilité de la lutte armée s’étaient secrètement rencontrés au Clos-Salembier, sur les hauteurs d’Alger. Au cours des semaines suivantes, ils obtiendront le soutien de leurs camarades réfugiés au Caire (Ben Bella, Aït Ahmed et Khider) et diviseront le territoire en six « zones » (qui prendront ultérieurement le nom de wilaya). Les ultimes préparatifs de l’insurrection n’eurent lieu que le 23 octobre, près d’Alger, au cours d’une réunion où sera décidée la création du Front de libération nationale (FLN). Au départ, celui-ci ne disposait que d’à peine un millier d’hommes faiblement armés. Sur le plan militaire, les résultats des attaques antifrançaises de la Toussaint rouge furent d’ailleurs médiocres : une dizaine de morts et très peu d’armes récupérées. Sur les plans symbolique et politique, ils furent considérables. Comme le dira plus tard Didouche Mourad, l’un des dirigeants « historiques », c’est ce jour-là que « fut allumée la mèche » de la guerre de libération.

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