La Zlec ne réussira que si elle adopte des règles simples, estime la Cnuced

Pour la Cnuced, faute de « règles d’origine » simples, souples, transparentes et évolutives, les Africains risquent de continuer à ne pas commercer avec les Africains, même après l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale (Zlec), programmée le 7 juillet lors du sommet de l’Union africaine à Niamey.

Au sommet de l’UA à Kigali, le 20 mars 2018, lors de la signature de l’accord sur la Zlec. © DR / union africaine

Au sommet de l’UA à Kigali, le 20 mars 2018, lors de la signature de l’accord sur la Zlec. © DR / union africaine

Publié le 27 juin 2019 Lecture : 3 minutes.

Le rapport « Made in Africa », publié le 26 juin par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), invite les dirigeants africains à ne pas se laisser bercer par la naissance de la Zlec. Certes, celle-ci « est une avancée décisive vers l’unification du continent », souligne Mukhisa Kituyi, secrétaire général de l’institution.

En facilitant le commerce intra-africain, elle pourrait augmenter ces échanges de 33 %, et rapporter à l’Afrique 16,1 milliards de dollars de revenus supplémentaires. Grâce à elle, le continent aurait la possibilité de doubler sa production industrielle, de multiplier des emplois dignes de ce nom et de tirer de la pauvreté des centaines de millions d’Africains.

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Toutefois, ces heureuses perspectives ne se réaliseront qu’à la condition que les Africains soient incités à acheter et à vendre aux Africains. Ce qu’ils ne font pas aujourd’hui, puisque le commerce intra-africain représente seulement 15 % du commerce total de l’Afrique, alors que cette proportion atteint 67 % en Europe.

Comment définir les « règles d’origine » ?

L’exemple du cacao est caricatural. L’Afrique produit 75 % du tonnage annuel de fèves, mais elle transforme peu son cacao et demeure importatrice nette de chocolat, parce que les droits de douane africains sur la matière première – comme sur les produits semi-finis – sont trop élevés. Conséquence : les industriels du chocolat égyptien ou sud-africain ne se fournissent pas chez les premiers producteurs mondiaux que sont la Côte d’Ivoire et le Ghana.

Trop haute, la proportion d’origine africaine des produits découragerait les exportateurs africains. Trop basse, elle ferait le jeu des produits des pays tiers

Tout dépendra donc des « règles d’origine » qu’élaboreront les 52 États signataires de l’accord de libre-échange. La règle d’origine est une sorte de passeport permettant à une marchandise de circuler au sein de la Zone sans payer de droits de douane. Elle certifie que cette marchandise est, dans une certaine proportion, d’origine africaine.

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La difficulté est de calculer cette proportion. Trop haute, elle découragerait les exportateurs africains qui ont besoin d’intrants « étrangers » pour fabriquer leur produit final. Trop basse, elle ferait le jeu des produits des pays tiers qui envahiront le marché africain sous couvert de produits faussement africains.

Le casse-tête de la valeur ajoutée

Le maquis technique qu’affrontent les négociateurs de la Zlec est impressionnant. Les zones de libre-échange régionales (Comesa, CAE, Ceeac, Cedeao, SADC) ont fixé des pourcentages d’origine différents. Leur mode de calcul est souvent basé sur la valeur du produit, mais aussi parfois sur le tonnage. Certains pays n’ont pas les moyens institutionnels pour calculer la valeur ajoutée par leurs propres producteurs dans un produit.

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Les pays peuvent avoir la tentation de fixer un taux élevé par ambition panafricaine (50 %), et uniforme pour tous les produits pour se simplifier la vie. Dans les deux cas, ce serait le meilleur moyen pour empêcher la Zlec de fonctionner.

« Il ne peut y avoir une seule solution pour tous les produits, explique Milasoa Chérel-Robson, économiste à la Cnuced et co-auteur du rapport. Par exemple, on ne peut appliquer les mêmes règles au café robusta et au café arabica. De même, les pays africains les moins avancés (PMA) ne peuvent mettre en place des règles aussi poussées que les pays en voie d’émergence. »

La nécessité d’élaborer des règles « claires »

En fait, chaque producteur va faire ses calculs et voir s’il fait un meilleur bénéfice en achetant des produits africains et en respectant les règles d’origine dont la certification aura inévitablement un coût en termes de temps et d’argent. Dans le cas où la règle d’origine lui coûterait plus cher à respecter que la suppression des droits de douane, il se tournerait vers des fournisseurs non africains.

« Les règles d’origine peuvent être un obstacle dans 35 % des cas, poursuit Milasoa Chérel-Robson. C’est pourquoi nous conseillons aux États d’élaborer des règles claires, compréhensibles, transparentes, prévisibles, évolutives et accessibles aux petites et moyennes entreprises que leur complexité risque de bloquer. »

La Cnuced plaide pour la création d’une plateforme numérique expliquant en langues locales les règles d’origine applicables dans la Zlec

La Cnuced plaide pour la création d’une plateforme numérique expliquant en langues locales « les règles d’origine applicables dans la Zlec et dans les communautés économiques régionales d’Afrique ». Et comme la mise en place de cette Zone de 1,3 milliard d’Africains n’ira pas sans tensions, elle estime que « la création de plateformes dédiées au maintien d’un dialogue public-privé régulier pourrait faciliter le repérage des difficultés de mise en œuvre de la Zlec et l’évaluation périodique de ses retombées ».

La Zlec promet, en résumé, d’être une œuvre de très, très longue haleine.

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Les chefs d’État africains lors du sommet de l’UA, à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 30 janvier 2017. © Mulugeta Ayene/AP/SIPA

[Tribune] La Zlec, et après ?

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