L’Afrique face à la flambée du blé

Confrontés à une hausse des cours mondiaux, les producteurs de farine tentent de faire face. Et plaident pour la vérité des prix. Les États rechignent et les consommateurs grognent.

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

« Ca va faire mal. » Philippe Steffan, directeur des Grands Moulins de Dakar, entreprise régnant sur 55 % du marché de la farine de blé au Sénégal, voit arriver la fin du mois d’octobre avec beaucoup d’angoisse. Le gouvernement a décidé d’appliquer la vérité des prix sur le pain et une augmentation de 25 F CFA est prévue sur la baguette, actuellement vendue à 150 F CFA. Confrontés à la hausse du sac de farine de 50 kg, qui atteint actuellement 20 000 F CFA contre 14 800 F CFA précédemment, les boulangers réclament 25 F CFA supplémentaires afin de préserver leur marge. Les associations de consommateurs rejettent ce scénario et demandent à l’État de maintenir ses subventions afin de bloquer le prix du pain. Avec un déficit budgétaire de 6 % du produit intérieur brut (PIB), les autorités sénégalaises n’ont, quant à elles, plus guère de marge de manuvre. « Ils n’ont pas les moyens de poursuivre cette politique très longtemps, prédit Steffan. Ce n’est que reculer pour mieux sauter. » Le débat s’enflamme. Il fait la une de la presse sénégalaise et le compromis attendu fera forcément des victimes. En cause : l’envolée du prix du blé sur le marché mondial. À la Bourse de Chicago, la tonne est passée de 140 dollars en août 2006 à 352 dollars le 1er octobre dernier. Cette hausse touche tous les pays d’Afrique, où le blé, sous forme de pain ou de couscous, est devenu un produit de première nécessité. Si, au nord du continent, on récolte du blé, au sud du Sahara, impossible de faire germer la moindre graine.

La tonne de blé a plus que doublé en deux ans
Au Sénégal, le tarif de la baguette n’avait pas bougé depuis une dizaine d’années. « Nous avons commencé à avoir des problèmes en 2006, raconte Philippe Steffan. Les cours ont grimpé. Le gouvernement a bloqué le prix du pain et nous a demandé de modérer la hausse sur la farine. » Les minotiers ont dû rogner leur marge. Jusqu’au moment, en août dernier, où ils ont commencé, affirment-ils, à perdre de l’argent. Les Grands Moulins appartenant au groupe Mimran restent discrets sur cette perte, se bornant à indiquer qu’aucun licenciement n’est prévu parmi les 300 employés travaillant au moulin. « Nous avons alerté le gouvernement, car nous ne pouvions plus faire face », continue le directeur. Alexandre Vilgrain, président-directeur général de Somdiaa, société française fabriquant notamment du sucre et de la farine, a moins de pudeur pour évoquer ses difficultés. Son groupe a produit 88 000 tonnes de farine au Gabon et au Cameroun (voir tableau ci-dessus) en 2006, soit 22 % du chiffre d’affaires consolidé, qui s’établit à 204 millions d’euros. À Libreville, deux cadres de la filiale (Smag) sont déjà partis en préretraite sur un effectif total de cent personnes. « Nous ne pouvions plus les garder », précise-t-il. Au Gabon, le prix du pain est également fixé par l’État. En situation de monopole, le minotier avait anticipé et constitué des stocks avant que la flambée des cours n’intervienne. Mais lorsque ces réserves seront épuisées – ce qui devrait intervenir dans les semaines qui viennent -, l’entreprise évalue ses pertes à plus de 600 000 euros par mois (400 millions de F CFA). Somdiaa réalise 15 % de son chiffre d’affaires au Gabon, soit 31,4 millions d’euros en 2006. Pour Alexandre Vilgrain, ce n’est pas tenable, et l’État, actionnaire à hauteur de 30 % de la Smag, ne peut se permettre de voir le seul moulin du pays en situation de quasi-faillite. Le sac de farine se vend actuellement 14 000 F CFA. Son prix doit donc nécessairement augmenter, ce qui entraînera automatiquement une hausse sur la baguette. Au Gabon, où 50 % de la population est urbaine et où les cultures d’autres céréales sont peu développées, ce surcoût risque de peser lourd politiquement. Avec, à la clé, un climat social particulièrement délicat.
À travers toute l’Afrique, les minotiers mettent les États devant leurs responsabilités. Soit ils pratiquent la vérité des prix, ce qui revient à faire payer la hausse aux consommateurs. Soit ils subventionnent les importations de blé. Il y a autant de solutions que de pays mais seuls les plus riches peuvent choisir la seconde option. C’est le cas de l’Algérie. Bien que producteur de blé à hauteur de 2 ,4 millions de tonnes en 2005, le pays importe une partie de sa consommation, estimée à 6,7 millions de tonnes. Cette année, les récoltes n’ont guère été bonnes. En conséquence, le prix du pain a augmenté, provoquant la colère de la population. Le gouvernement a choisi de faire croître les importations et de proposer aux minotiers une farine subventionnée. Mais cette initiative gouvernementale a un effet pervers : le blé importé concurrence le blé local. Sans compter que la farine algérienne vient perturber le marché marocain voisin, qui fait face au même problème. Au contraire, d’autres pays se refusent d’intervenir, misant sur la concurrence entre les différents opérateurs. C’est notamment le cas au Cameroun, qui compte douze moulins (voir encadré ci-contre). La filiale de Somdiaa implantée à Douala, la SGMC, vend son sac de farine de 50 kg 17 500 F CFA. « La concurrence a permis de maintenir les prix. Car sinon, on craignait de devoir monter à 20 000 F CFA », explique Alexandre Vilgrain. En Mauritanie également, l’État n’est pas intervenu. Pour le moment, couscous et baguettes ne sont pourtant pas plus chers. « Nous avons encore beaucoup de stocks, explique un opérateur de la filière. Mais ils s’épuisent, et nous commençons déjà à augmenter nos prix depuis une semaine. » De 170 à 180 dollars la tonne de blé en fret, les dernières cargaisons s’échangent de 450 à 460 dollars aujourd’hui. Mécaniquement, la hausse devrait se reporter sur le pain.

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La production est insuffisante et les stocks baissent
« Cette hausse mondiale des prix est conjoncturelle. Elle est principalement due à de mauvaises récoltes en Australie et en Argentine, pour cause de sécheresse, ainsi qu’aux États-Unis et en Ukraine en raison de mauvaises conditions météorologiques », explique Bénédicte Hermelin, directrice générale du Gret, le Groupement de recherche et d’échanges technologiques basé à Paris. Sur la campagne agricole 2005-2006, la production mondiale de 624 millions de tonnes a baissé de 5,3 % et les stocks ont enregistré une chute de 15,8 %. Sur la campagne 2006-2007, la production est estimée à 591 millions de tonnes. Devant cette situation, l’Union européenne, dont la production avoisine les 135 millions de tonnes, a pris les devants en libérant 10 % des terres mises en jachère. La prochaine récolte sera plus importante, et les stocks devraient être « rapidement reconstitués », espère la spécialiste. André Oka, directeur commercial des Grands Moulins d’Abidjan, n’est pas pour autant rassuré. « Nous avons joué la vérité des prix, mais il faudrait que les cours cessent de grimper pour que nous puissions survivre. » Depuis septembre, les Grands Moulins d’Abidjan, qui représentent 90 % du marché ivoirien, affirment avoir vendu 30 % à 40 % de farine en moins. Les ménagères se sont tournées notamment vers les bananes plantain, le sorgho et le mil. Si les minotiers et les boulangers souffrent, les paysans peuvent donc, à première vue, se réjouir de voir les populations aller vers leurs produits. Encore faudrait-il qu’ils puissent, à terme, répondre à la demande en augmentant leur productivité et leur volume. Sans compter que les habitudes alimentaires sont longues à faire évoluer. Le Gret a récemment travaillé au Sénégal avec des paysans pour transformer les céréales locales en biscuits, mais cette initiative est encore loin de la production industrielle. « Depuis vingt-cinq ans, le pain était si peu cher qu’on en a oublié qu’il reste un produit de luxe », analyse Alexandre Vilgrain. L’Afrique a peut-être mangé son pain blanc.

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