« Je tue les journaux »

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

J’ai gagné mon premier dollar sur Internet. Soudain, le problème auquel sont confrontés les grands médias m’est apparu plus clairement que jamais. Je suis en effet devenu un concurrent des studios de cinéma, des chaînes de télévision et des principaux journaux pour une somme modique !
Tout a commencé par un séjour en Grèce, cet été, où je faisais des recherches universitaires. J’en ai profité pour aller faire une partie de pêche à la mouche en Épire. J’ai été frappé par la beauté des paysages, par l’absence de touristes américains et par le manque d’informations sur cette région. J’ai donc décidé de créer un site Internet fournissant des renseignements de base : où se loger, prendre ses repas, pêcher la truite
Ancien rédacteur en chef de journal,? j’ai été nourri à l’encre et à la pâte à papier. ?Et comme c’est le cas pour presque tout le monde aux États-Unis, Internet fait partie ?de ma vie. Mais, jusqu’ici, j’étais dans le camp des consommateurs. Avec l’aide de Bill Lord, ?un professeur à la retraite, et du logiciel FrontPage de Microsoft, j’ai très vite construit un site à la fois simple et pratique, epirusfishing.com, mis en ligne des textes et des photos, créé des liens avec d’autres sites. Au dernier moment, par hasard, j’ai décidé de faire un partenariat publicitaire avec Google.
Cette démarche m’a ouvert les yeux sur l’évolution spectaculaire des médias dans le monde. Pour reprendre la terminologie marxiste, les grands groupes perdent la ?maîtrise du marché, car ils ne contrôlent ?plus les moyens de production, du moins ?tant que mon ordinateur portable trônera ?sur la table de ma salle à manger.

En remplissant un questionnaire et en acceptant que mon site soit contrôlé, je suis entré dans le nouveau marché des publicités Google. Ce moteur de recherche m’a fourni un code, que j’ai inséré en langage HTML sur mon site et, depuis, lorsque ce dernier apparaît sur un écran d’ordinateur, des publicités pour des hôtels de pêcheurs s’affichent aussitôt. Chaque fois qu’un internaute clique sur l’une d’elles, je gagne un peu d’argent. Très peu.
Cette situation pose à l’ancien journaliste et professeur de journalisme que je suis un certain nombre de problèmes. Par exemple, devrais-je construire un site de manière à exploiter les algorithmes de Google, avec recherche des mots clés qui rapportent de la publicité ? Ou n’avoir que l’intérêt des utilisateurs à l’esprit ? C’était jadis le problème des éditeurs, non celui des journalistes. Aujourd’hui, sur Internet, je suis les deux à la fois.
Autre dilemme : j’adore les journaux, je suis abonné à trois titres et je suis convaincu que leur travail de collecte et d’analyse de l’information est essentiel à la démocratie. Or ces petites publicités qui clignotent sur mon site érodent leurs positions. La presse a, en effet, besoin de ces recettes – ne serait-ce que parce que me faire parvenir le journal chez moi tous les matins coûte très cher.

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Google, de son côté, ne débourse pas un sou pour se procurer l’information. Son business repose en partie sur la collecte du travail des autres ou sur une taxe frappant les publicités qui figurent sur des sites comme le mien. Il n’est guère étonnant qu’avec un modèle économique aussi performant, sa capitalisation boursière atteigne 160 milliards de dollars ! En un sens, j’ai ajouté aux difficultés de la presse écrite en entrant dans le marché de la pub sur Internet. Est-ce bien, est-ce mal ? La question ne se pose pas en ces termes : c’est inévitable.
Hier, j’ai consulté le récapitulatif que Google envoie aux propriétaires de sites hébergeant ses publicités. Mon revenu total pour la première semaine était de 1,05 dollar. Loin des 46 milliards de dollars de recettes publicitaires gagnées par les journaux américains l’an dernier. Cela étant, je ne suis que l’un des millions de propriétaires d’un site Internet, et je suppose que mes revenus atteindront 2 dollars la semaine prochaine. Le temps joue pour moi.

*Président du département journalisme à l’université de Boston.

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