Greffe du Caire

Après le succès planétaire de L’Immeuble Yacoubian, l’Égyptien Alaa el-Aswany sort un deuxième roman. En passe de rencontrer le même écho.

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

Sorti en janvier 2007, Chicago, le nouveau roman de l’Égyptien Alaa el-Aswany, en est déjà à sa neuvième édition arabe. Sa traduction française, elle, est parue en octobre aux éditions Actes Sud. Après le succès foudroyant de L’Immeuble Yacoubian (2002), son best-seller international (voir encadré ci-dessous), l’écrivain, dentiste de profession, a attendu avant de reprendre la plume. Pour laisser décanter la pression du succès, surmonter la peur d’un échec futur, mais, surtout, pour éviter de se répéter. Résultat : Chicago est aussi réussi, aussi puissant, aussi drôle que L’Immeuble
Écrivain le matin aux aurores, dentiste l’après-midi, le docteur Alaa el-Aswany est un citoyen engagé. Militant de la première heure au sein du mouvement Kefaya (« Assez ! ») qui réunit intellectuels, démocrates, laïques et professions libérales, il écrit aussi des articles contestataires dans la presse pour dénoncer le système. Né en 1957 au Caire dans une famille d’intellectuels francophones, fils unique du célèbre avocat et poète Abbas el-Aswany, il a effectué sa scolarité dans le lycée français de la capitale égyptienne et a étudié la médecine dentaire à l’université de Chicago à la fin des années 1980.

Polyglotte, il maîtrise également l’anglais et l’espagnol. Avant de devenir l’écrivain le plus lu en Égypte et le plus traduit dans le monde, il a publié des nouvelles passées inaperçues. « Écrire a toujours été le rêve de ma vie, confie-t-il. Mais il fallait trouver un métier, car on ne peut pas vivre de la littérature dans le monde arabe. » L’illustre Naguib Mahfouz lui-même a dû se rendre à son bureau de fonctionnaire jusqu’à la retraite (ce dernier était d’ailleurs un proche ami de son père). S’il est sans doute aujourd’hui l’un des rares romanciers arabes à pouvoir vivre de sa plume, Alaa el-Aswany continue cependant d’exercer sa profession. « Devenir dentiste m’a permis d’être un écrivain indépendant. C’est aussi une fenêtre sur le monde, une façon de rester en contact avec les gens. »
Dans ce nouveau roman, il ausculte les plaies de son pays en recréant une « Little Egypt » au cur des États-Unis. Chronique de la vie d’émigrés égyptiens au département d’histologie, sur le campus de l’université de Chicago, le roman recrée un microcosme où chacun est confronté autant à lui-même qu’au regard des autres dans une Amérique traumatisée par le 11 septembre 2001. « Je ne prétends pas faire le portrait de la société, explique Aswany. Cela, c’est le travail des sociologues. Moi, je raconte des histoires d’hommes et de femmes. »

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L’auteur dépeint comment la terreur de la dictature et le poids des traditions poursuivent les Égyptiens outre-Atlantique. Il croque une microsociété qui, même à des milliers de kilomètres du Nil, reste en proie à ses complexes et à ses contradictions. Formant une communauté bigarrée, toutes sortes de personnages se croisent ainsi dans la métropole américaine (étudiants boursiers, professeurs américains), avec, en toile de fond, la préparation de la visite officielle du président égyptien. Dès l’annonce de celle-ci, le système policier de l’ambassade d’Égypte à Washington resserre son étau. Complot, manipulation, revendication de liberté ou soumission au pouvoir dans Chicago, la dimension politique fait contrepoids à la perspective sociale.

Alaa el-Aswany se penche sur le mal-être des émigrés, ceux qui renient l’Égypte pour mieux croire à leur intégration ou, à l’inverse, ceux qui rejettent en bloc l’American Way of Life. Il décrit leur déchirement entre la nostalgie du pays natal et la fascination de l’Occident. Avec son art de croiser indissolublement les destins des protagonistes d’un chapitre à l’autre, le romancier met en scène des personnages qui, quel que soit leur désir de s’intégrer, souffrent d’avoir été transplantés dans un univers étranger.
Tout comme La Bruyère, qui l’a profondément marqué, Aswany dépeint des caractères. Il dessine une galerie émouvante de figures comme celle de la pieuse et studieuse Chaïma, une jeune femme chaste et voilée qui, succombant au plaisir de la chair, se découvre débordée par sa sensualité ou du chirurgien copte Karam Doss qui reste patriote malgré lui et ne peut opérer qu’en écoutant des chansons d’Oum Kalsoum. Sans parler des personnages beaucoup moins sympathiques : Danana, président de l’association des étudiants égyptiens et véritable « il de Moscou », veillant à l’endoctrinement des étudiants pour le compte des services secrets égyptiens ; ou encore le sinistre Safouat Chaker, ancien tortionnaire qui incarne la violence et la répression.
S’il est vrai que Chicago écorne le système capitaliste des États-Unis « qui broie les plus faibles » ou dénonce l’islamophobie née du 11 Septembre (certains critiques y ont même vu une virulente charge anti-américaine), on découvre que tous les « Yankees » ne sont pas d’affreux racistes – une femme juive s’éprend même d’un musulman. Le romancier s’attache surtout à observer ses compatriotes égyptiens émigrés en Amérique et les dépeint avec ironie et tendresse mêlées.
Reprenant les thèmes de l’amour, de la politique et de la religion, on retrouve aussi la même écriture limpide, le langage épuré, sans fioritures ni digressions stylistiques, l’humour, la plume acérée, le vocabulaire cru mais jamais obscène qui semblent désormais la marque d’Alaa el-Aswany. Confirmant son talent dans la construction du récit comme dans la subtilité quasi balzacienne des portraits qu’il dessine, par petites touches, l’écrivain peut se prévaloir d’une prestigieuse filiation : il est sans conteste le digne héritier du Nobel de littérature Naguib Mahfouz, disparu l’an dernier, et s’impose comme le nouveau chef de file du roman égyptien populaire et moderne.

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