Genèse d’une icône africaine

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

Ils avaient 3 ou 4 ans au moment de son assassinat. Mais ils sont très nombreux à honorer aujourd’hui la mémoire de celui qu’ils considèrent toujours comme le chantre de la bonne gouvernance, la figure emblématique de la lutte contre le néocolonialisme. Sur les campus les plus turbulents d’Afrique, Sankara fait partie des pseudonymes que s’attribuent les meneurs les plus charismatiques et les plus intransigeants de grèves estudiantines. La figure de Thomas Sankara est devenue, au fil du temps, l’incarnation africaine d’un certain romantisme révolutionnaire. Sur les murs des cités universitaires, ses portraits aux traits juvéniles trônent aux côtés de ceux d’autres icônes « rouges » tombées au champ d’honneur, à la fleur de l’âge. Comme l’Argentin Ernesto Che Guevara (39 ans), le Sud-Africain Steve Biko (31 ans) ou le Congolais Patrice Lumumba (36 ans), Sankara est mort jeune (37 ans). Et il occupe une place d’autant plus élevée au panthéon des héros africains que son destin a été fulgurant.
La fascination que le révolutionnaire assassiné continue d’exercer sur des millions d’Africains n’a d’égale que leur défiance à l’égard de ceux qui incarnent le pouvoir depuis des décennies sur le continent. Ce qui séduit la jeunesse chez lui ? D’abord son image. Avec sa Renault 5, son uniforme de parachutiste à la fois austère et élégant, sa passion pour la bicyclette et la guitare, il représente le dirigeant proche du peuple. Le pouvoir sankariste, dépouillé de flonflons, tranche avec celui qu’exercent la plupart des autres chefs d’État, reclus dans leurs munificents palais.
De lui, les Africains ont aussi aimé le style. Après le Congolais Patrice Lumumba, Sankara est le symbole africain de l’impertinence dans le cénacle policé de la diplomatie internationale. Recevant François Mitterrand à Ouagadougou, il qualifie Pieter Botha de « tueur » en critiquant l’accueil que le président français a réservé au Premier ministre sud-africain quelques jours auparavant. Lors d’un sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) à Addis-Abeba en juillet 1987, il improvise un discours dans lequel il propose de sanctionner ses pairs absentéistes, avant d’assimiler l’obligation de rembourser la dette au néocolonialisme. « La dette sous sa forme actuelle est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers. Faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de les rembourser », clame-t-il. Un discours qui continue de faire mouche auprès des couches populaires. L’ancien membre du Regroupement des officiers communistes (ROC) tenait un discours iconoclaste inhabituel sur le continent.
Pour ses admirateurs, Sankara est un dirigeant visionnaire, qui s’est très tôt attaqué à la corruption. Et l’avenir lui a donné raison, puisque le fléau, devenu endémique, gangrène inexorablement les sociétés africaines. Son combat contre les institutions financières internationales engagé bien avant que les plans d’ajustement structurel ne révèlent leurs limites fait également dire de lui qu’il était en avance sur son temps.
La survivance des idées du « camarade-président » s’étend bien au-delà de l’Afrique. Un Groupe Thomas Sankara s’est créé en février 2005 à Liège, en Belgique, à l’initiative de jeunes Européens, dans l’objectif de perpétuer sa pensée et uvrer pour plus de solidarité entre le Nord et le Sud. Lui qui déclarait : « Mon pays est un concentré de tous les malheurs des peuples, une synthèse douloureuse de toutes les souffrances de l’humanité, mais aussi, et surtout, des espérances de nos luttes. [] C’est pourquoi je vibre naturellement au nom des malades qui scrutent avec anxiété les horizons d’une science accaparée par les marchands de canons. » La révolution n’était pas exempte de dérapages. Elle était portée par un homme plein d’illusions. Et de nombreux jeunes Africains ne demandent qu’à continuer de les partager avec lui.

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