En attendant les lecteurs

Véritable source d’information pour bon nombre d’internautes, les blogs restent encore confidentiels dans les pays francophones d’Afrique subsaharienne.

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

Si vous voulez vraiment vous faire une idée de ce qui se passe dans un pays, un conseil : délaissez – pour un temps seulement – les médias traditionnels et intéressez-vous aux blogs. De préférence à ceux tenus par des « locaux ». Ils regorgent d’informations recueillies directement sur le terrain, souvent bien plus pertinentes que celles que l’on peut trouver dans les journaux. C’est valable en Europe, en Asie et aussi en Afrique, où la blogosphère ne se limite plus désormais aux seuls expatriés occidentaux. Mais si, au Maghreb et dans les pays anglophones, les internautes ont rapidement pris conscience de l’espace de liberté inespéré que leur fournissaient les blogs, ce n’est pas encore le cas dans les pays d’Afrique subsaharienne francophone.
Fin 2006, le quotidien camerounais Le Messager estimait que la quasi-totalité des habitants de Douala ignorait ce qu’était un blog. Pourtant Gratuit, et très simple d’utilisation, un blog s’apparente à un minisite Internet. Un journal intime, en quelque sorte, dans lequel on peut aussi bien exposer ses photos de vacances, que ses problèmes sentimentaux et sa passion pour le football. Ou bien lancer des « coups de gueule » contre telle décision du gouvernement ou tel phénomène de société. Un concept qui devrait a priori ne laisser personne indifférent Du moins pas plus les Camerounais et les Maliens que les Kényans.
À première vue, cet apparent désintérêt pourrait être mis sur le compte des contraintes liées à l’utilisation d’Internet en Afrique subsaharienne : coûts de connexion prohibitifs, problèmes de réseau fréquents De quoi en décourager plus d’un. Mais pour Cédric Kalonji, l’un des blogueurs les plus populaires en République démocratique du Congo (RDC)1, si les gens sont si peu nombreux à se laisser tenter par ce passe-temps d’un genre nouveau, c’est « parce qu’ils n’ont pas la formation adéquate. Ou tout simplement parce qu’ils manquent de motivation. À Kinshasa, je suis le seul Congolais à tenir un blog. Ce qui peut-être pesant. J’aimerais encourager les jeunes du pays, les aider à créer leur propre espace sur le Web. Et – qui sait ? – à terme, lancer une plate-forme qui réunirait les blogs de douze jeunes issus de chaque province du pays ».
Si les blogs n’en sont encore qu’à leurs balbutiements en RDC, ils gagnent peu à peu du terrain en Afrique de l’Ouest, au Sénégal et en Côte d’Ivoire notamment. Même si, là aussi, « bloguer » reste l’apanage d’une poignée d’initiés – des hommes, exclusivement : journalistes politiques, écrivains, intellectuels En Côte d’Ivoire, parmi les blogs les plus populaires, figurent ceux de Théophile Kouamouo et d’Edgar Yapo, tous deux journalistes au Courrier d’Abidjan2.

À Dakar, le « Blog politique du Sénégal »3, qui se vante d’être « le seul journal sans journaliste diplômé, sans stagiaire, sans politologue ni intellectuel » a choisi de prendre le contre-pied de cette tendance : « Au Sénégal, certains blogs servent de vitrines à des partis politiques et se contentent de répéter le discours creux de leurs dirigeants. Les autres sont tenus par des intellectuels qui se présentent comme des experts. Mais jamais ils ne s’engagent, ils préfèrent rester neutres. Ici, il ne faut surtout pas fâcher », explique Naomed, le créateur du « Blog politique du Sénégal ». « Dire, par exemple, que la moitié des jeunes bacheliers ne sait pas lire, c’est mal vu ! Et pourtant, c’est la réalité. »
Cédric Kalonji, lui, écrit sur ce qu’il vit au quotidien et sur ce qui le révolte. Non sans susciter quelques réactions. « On m’accuse de véhiculer une mauvaise image du pays, de ne parler uniquement de ce qui ne marche pas. Je sais qu’il y a des choses positives au Congo, mais, personnellement, je n’en vois pas beaucoup. » Ceux qui lui adressent le plus de reproches font partie de la diaspora. Car même si elle tend à se développer, l’audience sur le continent reste encore limitée.
Quel que soit leur pays d’origine, les internautes qui visitent ces blogs se trouvent pour la plupart en Europe ou en Amérique du Nord. À chaque événement notable, comme en période d’élections par exemple, la popularité des sites engagés – les « blogs de combat » comme on les appelle – augmente considérablement. Ces journaux virtuels permettent aux communautés qui vivent à l’étranger de rester en contact avec leur pays d’origine, d’obtenir des informations différentes de celles publiées dans les médias régionaux traditionnels, mais aussi de « corriger les faiblesses de la presse locale tout en créant un espace de critique qui n’existe nulle part ailleurs », analyse Ethan Zuckerman, du Berkman Center for Internet and Society de l’université de Harvard.
Ces plates-formes de revendications peuvent se transformer en véritable défouloir. Les administrateurs des blogs en font parfois les frais lorsqu’ils subissent la vindicte de certains visiteurs. « Pour les articles dans lesquels je parle de politique, je reçois en général très peu de commentaires, s’étonne Naomed. En revanche, si je m’attaque à un marabout, je peux recevoir plusieurs courriels d’insultes. » Cédric Kalonji, lui, a reçu des menaces au téléphone. On lui a clairement fait comprendre qu’il serait dans son intérêt de mettre un terme à ses activités sur le Net.

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Pour le moment, ces blogs ne font pas l’objet de censure. Mais pour combien de temps encore ? Selon Léonard Vincent, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières, « en Afrique subsaharienne, les blogs prennent souvent l’apparence de sites qui se présentent eux-mêmes comme des journaux d’opposition. Les opposants en exil y mettent en ligne tout ce qu’ils n’ont pas pu éditer dans leur pays ». Parfois même de fausses informations Au risque de porter préjudice à ceux qui ont fait de leurs blogs des espaces de contestation destinés avant tout à alerter leurs concitoyens sur les éventuelles dérives du pouvoir en place. « Les blogs sont nécessaires dans certains pays, souligne Léonard Vincent. Surtout, dans ceux qui sont sous l’étouffoir, comme la Guinée par exemple. Là, ce sont des médias à part entière, de véritables sources d’information. » Aux internautes de faire le tri. Et d’aiguiser leur sens critique.

1. http://cedric.uing.net
2. http://kouamouo.afrikblog.com et http://wwwleblogdedgaryapo.blogspot.com
3. http://www.blogs-afrique.info/senegal-politique

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