Douze capitaines en colère

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

Augmentation massive de la présence militaire américaine en Irak ou retrait immédiat des troupes ? Tels sont les termes de l’alternative à laquelle les États-Unis sont désormais confrontés, s’il faut en croire douze anciens capitaines de l’US Army, qui, le 16 octobre, ont publié conjointement une tribune dans le Washington Post. Les auteurs ont tous servi en Irak entre 2003 et 2006. Le récit qu’ils font de la situation sur le terrain est absolument effrayant. En voici de larges extraits.
Depuis cinq ans, la guerre menée par les États-Unis en Irak manque de soldats et de moyens. Et, depuis cinq ans, ce pays est plongé dans le chaos. En tant que capitaines ayant servi à Bagdad et ailleurs, nous savons ce qu’est une situation tendue à l’extrême. Et nous savons quand il est temps de se retirer.
À quoi ressemble l’Irak aujourd’hui ? Beaucoup de routes, de ponts, d’écoles et d’hôpitaux sont dans un état déplorable. Les habitants ayant accès à l’eau potable ou au réseau de traitement des eaux usées sont moins nombreux qu’avant la guerre.
Par ailleurs, les institutions irakiennes sont largement déficientes. Même si les Irakiens étaient disposés à travailler ensemble, les ministères ne possèdent pas assez de cadres et de techniciens pour coordonner leurs efforts. Localement, presque toutes les communautés restent dirigées par les mêmes autocrates qui étaient déjà en place au temps de Saddam. Il n’y a pas de réseau postal ni de système bancaire efficace. Pas d’administration pour veiller sur la population et ses besoins.
À tous les niveaux, l’incapacité de gouverner est aggravée par une corruption galopante. L’ONG Transparency International classe l’Irak parmi les pays les plus corrompus du monde. Et, en effet, beaucoup d’entre nous ont été témoins du détournement de l’US Tax Dollars [impôt prélevé pour la reconstruction, NDLR] par les responsables politiques et militaires irakiens. Les sabotages et la prévarication ont eu un impact désastreux sur l’industrie pétrolière, qui ne parvient toujours pas à dégager les revenus escomptés pour financer la reconstruction. Et le dirigeant de la commission chargée d’enquêter sur la corruption a démissionné le mois dernier en dénonçant les pressions du gouvernement et les menaces de mort qu’il a reçues.
Dans ce contexte, les troupes américaines ont tenté en vain de maintenir la cohésion nationale. Mais, chargées d’opérations trop nombreuses sur un champ de bataille trop vaste, elles sont des cibles vulnérables. La conséquence inéluctable de leur retrait progressif est une intensification des attaques, non seulement contre elles, mais aussi contre les leaders civils et les diverses équipes de conseillers : tous seront sans doute pris sous les feux croisés de la guerre civile qui menace. Les forces de sécurité nationales seront incapables de rétablir la situation. Même si tous les militaires et tous les policiers recevaient l’entraînement et l’équipement adéquats – et étaient réellement engagés -, leurs 346 000 membres ne seraient pas suffisants. Dans les faits, les soldats irakiens ne manifestent pas une grande volonté de se battre et la police est contrôlée par les milices. Là encore, la corruption est démoralisante. L’US Tax Dollars profite aux généraux peu scrupuleux, ainsi qu’à divers intérêts qui entreront inévitablement en conflit après notre départ.
Voilà ce qu’est l’opération « Liberté Irak » telle que nous l’avons vécue. Nous avons essayé d’en informer notre commandement. Mais soit celui-ci n’en a rien dit au pouvoir politique, soit nos dirigeants ont choisi de l’ignorer. Alors que la stratégie de nos généraux se fonde sur l’hypothèse du rétablissement de la paix, les Irakiens préparent la guerre civile. Et nos compatriotes sur le terrain, ainsi que leurs familles, continuent de souffrir.
Une seule solution pourrait, peut-être, nous permettre de nous en sortir. Pour mener à bien une opération d’une telle intensité et d’une telle durée, il nous faudrait abandonner le système de recrutement volontaire pour revenir à celui de la conscription. À défaut, nous n’aurons d’autre choix que de quitter l’Irak immédiatement. Un retrait échelonné n’empêchera pas la guerre civile. Il fera couler davantage de sang et entraînera des dépenses supplémentaires – en pure perte.

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